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Les Conditions de la victoire — I

Les Ordres du roi 1

12 août 1914

Monseigneur le duc d'Orléans a appris la déclaration de guerre au cours d'un voyage. Le Prince s'est hâté de rentrer à Bruxelles 2 et, dès son arrivée, il a adressé la dépêche suivante à notre ministre de la Guerre :

Monsieur le Ministre,

Devant les événements actuels, toutes lois d'exception, tout dissentiment politique doivent tomber ; tous les Français ont le devoir et le droit de reprendre leur place sous les drapeaux.

Ce droit et cet honneur, je viens vous les demander pour la durée des hostilités, certain que vous saurez comprendre à quel sentiment j'obéis.

J'attends donc avec confiance votre réponse télégraphique et vos instructions pour partir.

PHILIPPE, duc d'Orléans.
Hôtel Métropole, Bruxelles 3.

Au bout de plusieurs jours, Monseigneur le duc d'Orléans a reçu de M. René Viviani, président du Conseil, la réponse suivante :

Le Président du Conseil des ministres à Philippe, duc d'Orléans.
Hôtel Métropole, Bruxelles.

Paris, le 9 août, 14 h. 40.

L'état de la législation française ne permettant pas votre enrôlement dans l'armée française, tout en rendant hommage à votre initiative, je ne puis que vous faire la réponse déjà faite à d'autres demandes pareilles à la vôtre et vous engager à vous enrôler dans les armées amies ou alliées qui combattent à nos côtés.

N'ayant pu faire accepter ses services en France, le Prince a fait pressentir les Souverains belge et anglais.

Malgré l'indication contenue dans la dépêche de M. René Viviani, Monseigneur le duc d'Orléans a constaté que les puissances amies et alliées conservaient un scrupule et n'envisageaient pas comme possible la présence dans leurs armées du Chef de la Maison de France.

Patriotiquement résolu à ne susciter aucune difficulté dans les circonstances actuelles, Monseigneur le duc d'Orléans dont « toutes les pensées vont à la France », qu'il désire servir par tous les moyens restés à sa disposition, s'est résigné à sacrifier son vœu et son espoir de défendre sa patrie les armes à la main.

Il a pris la décision de demeurer à Bruxelles au milieu des malades de l'ambulance qu'il a organisée au château de Putdaël avec le concours du docteur Depage.

Sa Majesté la reine des Belges, qui est à la tête de la Croix-Rouge de Belgique, a agréé les services de Monseigneur le duc d'Orléans.

Le serviteur fidèle qui est allé chercher en Belgique ces informations et ces documents a rapporté aussi ces paroles du Prince destinées à un royaliste parisien :

« Dites à X… 4 que toutes mes pensées vont à la France.

« Il n'y a plus de divisions politiques qui tiennent.

« Face à l'ennemi ! » 5

La politique

Les étrangers à Paris et dans la Woëvre 6

Il est matériellement possible de soumettre les étrangers demeurés parmi nous à des persécutions odieuses et ridicules. Il est non moins possible de les traiter chacun et tous comme autant d'amis ou de frères et de nous exposer ainsi à d'affreux malheurs. Mais ne serait-il pas plus que possible, assez facile, de découvrir un moyen terme entre ces deux excès ?

Ce moyen terme consisterait à se tenir sur ses gardes avec courtoisie, mais constance. Le Temps vient de reconnaître sans barguigner que, à l'ouverture des hostilités, « Paris et sa région, comme aussi la frontière de l'est, étaient remplis d'espion allemands ». Comme la Normandie, dont on guigne le Cotentin ! Comme la partie la plus riche et la plus brillante du littoral de Provence, celle qui va de Toulon à Nice, le pays que l'espion Uhde écuma ! Il serait enfantin de supposer que tous ces allemands eussent déclaré leur nationalité au commissaire de police des localités infestées. Tous ceux qui le pouvaient ont dû choisir la patrie la moins compromettante, par conséquent la plus voisine et la plus amie de la France. Italiens, Suisses, Belges, Russes, Anglais me sont plus sacrés que jamais ; mais une élémentaire sagesse conseille de ne point accepter sur parole toute déclaration d'appartenir de près ou de loin à ces peuples amis. La vieille plaisanterie des gens qui se disent Espagnols et qui ne sont pas Espagnols est de circonstance.

Cette défiance nécessaire, non seulement n'implique pas, mais elle exclut l'attitude brutale qui moleste avant de connaître, exécute avant de juger. Il n'y a rien de moins français ! Ni la raison ni la générosité de la race ne saurait admettre ces tumultes sommaires dont les provocateurs internationaux aiment à donner le signal.

Mais, sur un tel sujet, il serait bien vain de se borner à prêcher ! Une bonne et sûre police est la seule garantie sérieuse de l'ordre qui est la condition de la véritable justice, si particulièrement délicate en tout ceci ! Notre contre-espionnage trop tardivement restauré n'a-t-il pas manqué de vigueur contre l'espionnage allemand ? Jetez aujourd'hui un coup d'œil sur la carte ! De tous les points de la frontière, c'est la Woëvre seule que l'ennemi a pénétrée ; maintenant, liez L'Avant-Guerre 7 ; vous verrez que la Woëvre fut pendant des années une véritable colonie d'espions allemands. Les faits d'hier donnent donc tristement raison à la sagacité lumineuse de Léon Daudet.

Plus délicate encore est la question de l'espionnage quand il se pratique à Paris ! C'est là qu'il ne faut point se contenter des déclarations ! C'est là que les déclaration authentiques et vérifiées ne suffisent pas. Un déserteur Russe est un vrai sujet russe : est-ce là un Russe ami de la France ? Est-ce un Russe de tout repos et dont le nom seul bannisse la méfiance ? S'il continue à conspirer contre son gouvernement, ne fait-il pas les affaires de la nation qui envahit la Russie ? On peut rêver d'une sozial democratie amie de la France : peut-on même la concevoir amie de la Russie ? Or de ces « Russes » souvent juifs, et social-démocrates plus qu'anarchistes, certains quartiers de Paris en comptent des dizaines de mille. Les prendrez-vous pour de féaux sujets du tsar ? Ces graves distinctions sont affaire d'État. Mais il faut que l'État les fasse.

Un jour, des Français qui avaient rencontré un Hongrois et qui l'entendaient s'exprimer sans douceur sur le compte des Allemands se montrèrent émus et touchés de tant d'amitié prodiguée sur le dos de nos vieux ennemis. Informations prises, les Allemands qu'on venait de malmener étaient ceux de Vienne : le médisant Hongrois était un prussianisant forcené. Tout le Danube en rit encore. Tâchons d'être sérieux aux bords de la Seine.

Charles Maurras
  1. Ce titre n'existe qu'en recueil, dans le premier volume des Conditions de la victoire en 1916.

    Les notes sont imputables aux éditeurs. [Retour]

  2. La loi du 26 juin 1886, dite loi d'exil, interdisait l’accès et le séjour sur le sol français aux chefs des familles royale et impériale ayant régné sur la France, ainsi qu’à leurs fils aînés. Elle interdisait également à tous les hommes de ces familles de servir dans l’armée française. Elle n'a été abrogée qu'en 1950. [Retour]

  3. Cette mention est omise dans le recueil en 1916, ici comme infra. [Retour]

  4. La version de 1916 porte ici « M… » [Retour]

  5. Le texte repris en 1916 dans le premier volume des Conditions de la victoire s'arrête ici. Dans le journal suit, sous le titre de rubrique « la politique », un autre texte signé Charles Maurras que nous donnons ci-après. Nous ne donnons pas la sous-rubrique des « lettres de nos amis », commentée par Maurras en quelques mots convenus. [Retour]

  6. La Woëvre est une région qui s'étend pour l'essentiel sur la rive droite de la Meuse, sans atteindre les villes de Longwy, Metz et Nancy. Nous rétablissons l'orthographe actuelle, L'A. F. écrit tantôt Wœvre tantôt Woèvre, prononciation courante à Paris à l'époque. La Woëvre était en 1914 une région frontalière dans sa partie nord, du fait de l'occupation allemande de la Moselle consécutive à la guerre de 1870. [Retour]

  7. L'ouvrage de Léon Daudet qui en 1913 dénonçait l'espionnage « juif-allemand ». [Retour]

Ce texte a paru dans L'Action française du 12 août 1914, repris dans le premier volume des Conditions de la victoire.

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