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Le Midi esclave

Introduction

L'étude qu'on va lire est tirée de la Gazette de France et date de près de quatre ans 1 ayant paru les 19, 22 et 24 décembre 1903.

À travers les méandres inséparables de ce procédé discursif et de ce mode épistolaire qui sont presque imposés pour un article de journal, le lecteur attentif y trouvera sans peine un exposé et une analyse de la situation présente de notre Midi.

Les causes politiques, découvertes au temps où elles agissaient dans l'ombre, ont depuis mûri au grand jour. Leur effet se charge de dire qui avait raison, de nos contradicteurs ou de nous. Alors on n'était patriote qu'à la condition de flétrir le Midi. Tout le parti nationaliste et conservateur se plaignait de voir les Jaurès, les Lafferre, les Sarraut, c'est-à-dire, prétendait-on, le Midi entier, devenus les tyrans du reste de la France. Ils sont tout d'abord, répondais-je, les tyrans du Midi lui-même. Loin d'être par eux votre maître, le Midi est autant que vous, plus que vous leur esclave. On douta, on railla. Mais voici que, soudain, en se révoltant contre de prétendus mandataires qui le trahissaient 2, contre les administrateurs envoyés par ces traîtres et qui l'exploitaient, le Midi contre-signe brillamment tous nos aperçus. Encore un diagnostic jugé paradoxal qui se vérifie point par point !

Il sera juste d'observer que les pages qui suivent sont loin de se suffire. Si l'espace n'eût fait défaut, on se serait fait un devoir de les compléter en réimprimant aussi, en préface, l'étude publiée l'année précédente sur Le Mauvais Midi.

Il faut du moins la résumer.

Je m'étais efforcé de bien établir dans ce travail que le gouvernement républicain, subissant les nécessités de sa composition et de son histoire, favorise (ou plutôt feint de favoriser) les Méridionaux en choisissant systématiquement parmi eux la plupart de ses fonctionnaires, agents et sous-agents : mais, par un rigoureux système compensateur, ce gouvernement s'applique en échange à maintenir le Midi — territoire, races, industries — dans un état aussi voisin que possible de l'inertie, de la pauvreté et, par là même, dans l'éternelle impuissance de se suffire, afin de le garder toujours dépendant, sujet, serf. Le Midi esclave que l'on va lire ne fait donc que développer une des données de mon ancien Mauvais Midi.

Cette donnée a été contestée dernièrement avec une légèreté incroyable. Un député, M. Plichon, a même cru l'escamoter au moyen d'un bon mot. « En dix-sept ans, dit-il, on a fait dix-sept lois en faveur de la viticulture. » M. Donazac, collaborateur de L'Éclair de Montpellier (26 juin dernier), s'est donné la peine d'analyser ces dix-sept lois. Sous des formules d'une hypocrisie remarquable, elles ont « presque toutes tourné contre la viticulture et progressivement sanctionné l'emploi du sucre en vinification ». Il y a donc lieu de maintenir tout ce fondement de notre doctrine. La protection de lois de circonstance, tentée au jour le jour, ou plutôt à l'année l'année, n'aurait valu sans doute que ce que vaut un expédient destiné à pallier et à recouvrir le fond des choses : hostilité fondamentale d'une politique économique dictée par les conditions du régime et du parti qui gouvernait. Mais il faut constater, de plus, que le palliatif demeura tout verbal, manqua d'efficacité, et alla constamment contre sa propre fin. Il ne fit même pas son misérable office.

J'ai cru devoir annoter copieusement ces pages déjà bien anciennes. Pour les corrections introduites dans le texte, elles ne sont que de pure forme ; aucune ne présente le caractère d'un changement ou d'une addition. On y trouvera même, à la place qu'elles ont occupée l'une après l'autre, une erreur et la rectification qui suivit.

I
Un discours de M. Jules Lemaître 3

Ceux des Méridionaux qui pensent comme nous, souffrent peut-être plus que nous des conséquences de la tyrannie parlementaire, étant opprimés de plus près.
Jules LEMAÎTRE (Discours de Caen).

Je voudrais dire quelques mots de la grande querelle du Nord et du Midi. Mais une question délicate se présente d'abord. Je me demande si je suis libre de penser et de parler en un tel sujet. M. Ranc a pris la défense du Midi contre M. Lemaître 4 ; suis-je libre de m'allier à aucun adversaire de mon Midi contre quelqu'un qui le défend, ce quelqu'un fût-il M. Ranc 5 ?

J'y voudrais réfléchir, et je ne peux pas. Ma réponse est toute prête, elle est non.

Non et non.

Non, si M. Lemaître était l'agresseur du Midi, un instinct plus puissant que cette admiration qui est l'amitié de l'esprit, et supérieur même aux plus sages considérations politiques, supérieur à tout, me rangerait contre les ennemis de mon sol natal. Ces instincts sont innés. Ils découlent du sang : du sang qui, dit Mistral, tire plus fort que les câbles. L'éducation mistralienne est venue cultiver et développer cette volonté naturelle. Mistral nous a liés par les bénédictions et les malédictions distribuées avec une majesté souriante aux amis et aux ennemis de la patrie.

Que i’ague quaucarèn
De plus dous que Prouvènço e qu’amour fugue rèn,
O fraire dóu Miejour, leissas-lou dire en d'autre
6.

« Qu'il y ait quelque chose — de plus doux que Provence et qu'Amour ne soit rien, — ô frères du Midi, laissez-le dire à d'autres ! » Ce que l'homme a de plus profondément personnel, son amour, ce qu'il a de plus général, sa race, se trouve ainsi fondu au diamant de la poésie. L'évêque de Marseille, Foulque ou Fouquet, s'étant laissé aller par passion monastique, à prendre une guerre de races pour un conflit religieux, et s'étant oublié jusqu'à traiter les Albigeois comme il n'eût point traité les païens et les Maures, le grand poète ne l'appelle, que Fouquet l'abominable. Cet anathème de la muse, ce fatal exemple historique nous sauveraient, je crois, de toute complaisance envers M. Lemaître, si, suivant sa propre expression, il osait jamais proposer aux gens du Calvados « d'aller faire le siège du Grand Café de la Comédie de Tarascon ». Bienheureusement, il se trouve que la question était fort mal posée par M. Ranc, le Midi n'a pas à se plaindre de M. Lemaître : informations bien prises, textes lus et relus, c'est à nous délivrer qu'il a convié ses Normands.

Je ne songe pas seulement à exprimer à M. Lemaître la gratitude des Provençaux décentralisateurs, autonomistes, fédéralistes et même royalistes pour le programme mistralien qu'il a exposé à Caen. Ce programme est, sans doute, excellent presque de tous points. On n'y reprendra même pas « l'élection du chef de l'État par un collège électoral beaucoup plus large que le Parlement » : un collège électoral « beaucoup » plus large que le Parlement c'est, en effet, celui qui comprendrait, en outre des quarante millions de Français vivants, le milliard et demi des Français qui sont morts depuis que la France est la France. Ce mode de votation, qu'un oracle conseillait aux Grecs de Mégare, donnerait infailliblement une puissante majorité royaliste. Sur cette base, on peut discuter.

Où la discussion cesse, où l'accord se fait nécessairement, absolument et sans débat, c'est quant au reste du programme de M. Lemaître. Il se résume dans le mot décentralisation. M. Gérault-Richard traduit : fédéralisme, et M. Ranc : séparatisme. Un royaliste, partisan d'un pouvoir monarchique, c'est-à-dire essentiellement unitaire, ne peut être suspect de vouloir rompre l'unité de son pays. Il peut être fédéraliste ; le séparatisme lui est interdit par définition. M. Lemaître qui, de toute façon, demande que le pouvoir exécutif soit consolidé, prolongé et fortifié, ne sera traité de séparatiste par aucun adversaire de bonne foi. Mais il faut compter les perfides en politique. M. Ranc en est un, M. Gérault-Richard en est un autre. L'un et l'autre seraient réduits à l'état de simples jocrisses, si M. Jules Lemaître leur répondait : Vive le Roi ! Il ne le dira pas ! il ne le fera pas ! et c'est pourtant de la position monarchique seule, c'est uniquement des hauteurs de cette forteresse, qu'il pourrait opposer aux censeurs de son fédéralisme cette réponse péremptoire :

— La Monarchie est le gouvernement d'un seul.

Observons, en passant, que les censures qu'on lui inflige étaient bien attendues ici. Que de fois nous avons signalé la tendance nécessairement centralisatrice de la démocratie ! Les fédéralistes ou décentralisateurs républicains n'en veulent rien croire, leur illusion résiste aux évidences de l'Histoire des ligues suisses et de l'Histoire américaine. Ils ne sont même pas convaincus de la nécessité inhérente au régime électif, au gouvernement des partis. Cependant, tout parti devenu chef d'un gouvernement électif centralise et ne peut vraiment faire autre chose. Avant d'être ministre, M. Millerand disait dans un discours à Troyes : « Nous irons, en ce sens, jusqu'au fédéralisme. » Or, il est allé dans le sens contraire, jusqu'à resserrer l'étau de l'an VIII 7. Quant aux collectivistes, ils n'eurent longtemps à la bouche que les mots d'autonomie et de fédération spontanée : M. Gérault-Richard conseillait avant-hier aux amateurs d'autonomie locale et de fédération régionale de se défier de leur rêve, même sous un régime républicain ! M. Gérault-Richard a raison. De vrais républicains ne sauraient penser à la fois contre le principe et contre la tradition de la République ; son principe : au rebours de la monarchie, la République émiette le pouvoir souverain, mais elle concentre, pour le mettre à la disposition du « parti » régnant toutes les fonctions secondaires de l'administration. Sa tradition : souvenez-vous de l'échafaud des Girondins, l'épouvantail classique qui n'a pas fini de servir.

M. de Ricard et M. Paul Boncour ne manquent pas de raisons, bonnes ou mauvaises, contre ce double sentiment 8. Je ne serais pas mécontent de les leur voir répandre à cette heure. Leurs réponses à M. Gérault-Richard ne manqueraient pas de saveur. S'ils ne répondent pas, on pensera que les menaces ont semé la terreur parmi la nouvelle Gironde. Quoi qu'il en soit, le programme décentralisateur de M. Jules Lemaître est excellent. Je l'ai appelé mistralien, on pourra le nommer aussi bien nancéen ou barrèsien ; il ressemble à celui que Barrès nous apporta de Nancy et que nous défendîmes Lorrains et Provençaux mêlés, dans La Cocarde de 1894 :

Il faut réclamer la décentralisation administrative et l'extension des pouvoirs et libertés de la commune, du département et, mieux, de la région. — Ne pas oublier, d'ailleurs, que la réduction du fonctionnarisme, donc la possibilité d'économies sérieuses et, par conséquent, la possibilité de certaines lois sociales, sont liées à la décentralisation.

Il n'y a pas une seule de ces lignes substantielles que nos Provençaux ne puissent illustrer d'un vers de ce Mistral, notre inoubliable leçon. Pour la commune et pour la région contre le département, contre le fonctionnariat, pour les joies et pour les fiertés de l'indépendance locale contre le servage administratif : je ne pense pas qu'il y ait au monde poésie plus riche en tableaux de regrets et d'encouragement. Ces larmes du passé et ces élans vers un avenir de réformes n'auraient aucune raison d'être si nous étions aussi heureux et aussi puissants qu'on le croit. Jules Lemaître ajoute son autorité de Français du Centre à l'influence de nos éducateurs du Midi. Je répète qu'il faut lui en savoir beaucoup de gré.

Mais son titre capital à la gratitude de nos populations, c'est de s'être employé, sans salaire, pour le plaisir, et peut-être sans être tout à fait certain du sérieux de la chose, à la délivrance de Tarascon.

Lorsqu'il parle de Tarascon, M. Jules Lemaître pense à la ville fabuleuse d'Alphonse Daudet. Le Tarascon de chair et d'os est plus intéressant. Sait-on où est Tarascon ? Dans l'arrondissement d'Arles. Or, combien cet arrondissement contient-il d'électeurs ? Exactement vingt-huit mille cent soixante-deux 9. Et par combien de voix M. Henri Michel, licencié ès lettres, professeur de lycée, est-il envoyé à la Chambre ? Dix mille quatre cent trente et une 10. Et combien ont voté dans cette élection ? Dix mille neuf cent quatre-vingt-deux. — M. Henri Michel est radical-socialiste.

Prenons l'arrondissement d'Aix, qui est limitrophe, La première circonscription y compte quinze mille sept cent quatre-vingt-quatre électeurs 11. On a nommé M. Baron, par six mille six cent cinquante-neuf voix 12. — M. Baron est radical-socialiste.

Même arrondissement, deuxième circonscription. Seize mille huit cent soixante-trois électeurs 13. Ils ont élu M. Pelletan en 1902 par sept mille trois cent soixante et onze voix 14 ; en 1893, par quatre mille trois-cent soixante et onze voix, M. Pelletan aura gagné des voix en se rapprochant du pouvoir. — Il est radical-socialiste.

Un département tout voisin, le Gard. M. Fournier est député de la première circonscription de Nîmes. Électeurs : 23 398 15. Il en représente 9 652 16. — Il est radical-socialiste.

La deuxième circonscription de Nîmes compte 26 275 électeurs 17. M. Doumergue en représente 10 735 18. — Il est radical-socialiste.

Dans l'Hérault, M. Mas rallie, pour la première circonscription 19 de Montpellier, 7 982 électeurs. Il y en a 20 113. — M. Mas est radical-socialiste.

La deuxième circonscription de Montpellier compte 18 013 électeurs 20, M. Salis en représente 5 966 21. — Il est radical-socialiste.

La première circonscription de Béziers : 30 898 électeurs 22 ; 11 727 23 seulement nomment M. Lafferre, — radical-socialiste.

La deuxième circonscription de Béziers : 30 898 électeurs 24 entre lesquels 11 171 25 nomment M. Auge, — radical-socialiste.

Estime-t-on que de tels chiffres soient à commenter ? Ils témoignent évidemment de l'existence d'énormes minorités hostiles aux élus, et d'une forte majorité de voix silencieuses et non représentées.

Dira-t-on que c'est le cas de la France entière ? Mais nulle part la proportion n'est aussi forte. Cela devrait faire réfléchir les personnes tentées de construire un système d'ethnographie morale et politique de la France d'après le résultat brut du dernier mouvement électoral.

Nous savons par exemple que la France a été désorganisée par la Révolution ; mais cela est particulièrement vrai de la France du Midi où, — en sus des libertés religieuses, scolaires et domestiques communes à tous, — on disposait, en Languedoc, en Provence, en Béarn, de libertés locales prodigieusement étendues. Nous avons donc bien plus perdu à la Révolution que la plupart de nos pays du Nord, de l'Est, de l'Ouest et du Centre. Mais, ayant aliéné plus de puissance politique, nous avons par surcroît subi plus de servitudes nouvelles. La Bretagne perdit ses libertés provinciales. Mais elle ne fut pas subjuguée au même moment par une tribu étrangère campée sur la terre d'Armor. Notre Midi fut moins heureux.

Le Midi est, en effet, le point de la France où abondent à la fois les juifs et les protestants. La capitale des Dreyfus est aux entours de Carpentras. Ce département de Vaucluse posséda les ghettos les mieux garnis du territoire. Le Gard, le Tarn-et-Garonne, les Pyrénées-Orientales 26, l'Hérault, l'Ardèche sont des pépinières de huguenots. La Franc-Maçonnerie trouvait donc le terrain aménagé pour elle. Maçons, juifs, protestants s'y fédérèrent et dominèrent d'autant plus facilement que les vieux Français catholiques étaient plus émiettés et plus désunis par le hachoir du premier Consul. Ces quatre petits corps d'État maintenus par la voix du sang purent ce qu'ils voulurent contre notre poussière d'individus non groupés, partant concurrents et rivaux.

Aussi, dès que, sous la troisième République, ces trois États en s'unissant aux métèques, devinrent les quatre États confédérés et se furent emparés du pouvoir central, le Méridional indigène, déjà vassalisé par l'organisation étrangère, perdit son dernier protecteur : l'État français.

Il s'était beaucoup fié à ce protecteur. Ce sentiment est naturel au membre d'une communauté désorganisée. La confiance que le « déraciné » et le « dissocié » aiment à témoigner à l'État providentiel est de tout temps, de tout pays. Les circonstances s'en mêlèrent. Certaines crises agricoles et viticoles, qui furent ruineuses, augmentèrent encore la débilité du Méridional et, par là, sa mendicité. L'État républicain le tint à sa merci. Il lui fallut pour vivre se louer ou se vendre à cet État qui, venant de changer de maître, était passé aux mains des pires oppresseurs locaux. Naturellement, ce trafic indigne outra ce que le pays comptait d'âmes fières. La colère la honte, la commune douleur tentèrent vaillamment de réagir, d'organiser. Mais l'État juif, protestant, maçon et métèque, qui voyait dans ces régions-là son boulevard le plus sûr, se mit en défense dès le premier moment. Défense électorale, défense administrative. Il inventa d'invraisemblables sectionnements. Il recourut aux pressions les plus éhontées. Il ne craignit aucune fraude. Qu'aurait-il craint ? De tomber du pouvoir ? Il prenait justement le moyen de n'en pas tomber. Il appliquait d'avance à ces départements le régime qu'il imposerait au pays entier le jour où l'opposition constitutionnelle et légalitaire deviendrait un peu menaçante. Mais cet État tyran prenait soin de demeurer bon pourvoyeur pour ses amis. Il sut étendre, il sut renouveler une clientèle à qui la sportule ne fit jamais défaut. Les électeurs de ce parti victorieux acquirent ou affermirent, à l'usage de ces moyens, leur mentalité, dite radicale-socialiste. Ils ne parlent pas de socialiser les usines, les mines, les machines et les autres sources de production, comme le voudraient les socialistes purs, mais ils veulent mettre des ressources immenses à la disposition de l'État en imposant les riches aussi lourdement que possible afin d'en partager les dépouilles entre leurs meilleurs paroissiens.

La désorganisation politique, l'émiettement individuel, enfin la domination d'un parti étranger, maintenue par le brigandage administratif et fiscal, ces trois causes, activées par des circonstances critiques, rendent un compte général de la situation du Midi de la France. Elle est grave : des populations jadis fières en sont avilies. Elle n'est pas perdue, tant que subsistent, trois espoirs :

Mais ces trois espérances sont bien liées au sort général de la France ! Les Provençaux et les Languedocien qui ne consentent pas à servir de bon cœur le parti étranger devront subir, dans leur pays, la pire servitude tant que le gouvernement n'aura point changé, à Paris. Une libération partielle et durable n'est point possible. On peut reprendre quelques mairies ou conseils généraux. Mais on en perdra d'autres. L'État interviendra et sa pression, jointe au sectionnement local et aux fraudes traditionnelles aura toujours le dernier mot.

Le chiffre énorme des abstentions doit être interprété conformément à cette vérité. Ceux qui s'abstiennent sont des clairvoyants ou des timides, qui sentent ou voient les effets de la Terreur imposée par le gouvernement du parti : faire de la politique d'opposition en un pays de petite propriété, de petit commerce et de moyenne industrie comme celui-là, c'est tourner contre soi tous les pouvoirs publics et par là, dans la vie privée, se paralyser et se ruiner nécessairement… Il est très joli de prêcher : soyez généreux, soyez braves! Pour donner, il faut posséder. Pour agir vaillamment, il faut n'être point ligoté par une administration sans laquelle rien ne respire. La liberté électorale en certaines situations précaires est du grand luxe.

L'État dispose, en outre de sa puissance propre, de la puissance financière judéo-protestante. Cet instrument s'ajoute à celui du budget. Ceci aidant cela, il n'est point malaisé à l'État de changer l'opinion elle-même par le simple intermédiaire de la presse locale. Dans tout le vaste rayon de Toulouse, un grand journal radical a fait, à ce point de vue, des merveilles. Menaçant, libéral, odieux, magnifique, il est devenu, au temporel aussi bien qu'au spirituel, le véritable administrateur d'un beau territoire. Mais l'œuvre de ce journal n'est point cause, comme on le croit. Elle est effet. Elle suppose la possession du pouvoir ou des avenues du pouvoir. Mais ce pouvoir lui-même est un résultat. Il résulte de la coalition et de la victoire des États consanguins, — juif, protestant, maçon, métèque, — dans la France contemporaine. Mais ni cette coalition ni cette victoire ne sont non plus des phénomènes originels ni primitifs. La coalition ne se fût point faite et le succès en eût été impossible sans cette Révolution désorganisante qui donna notre corps, dissolu et liquéfié à ronger à nos parasites.

Ce sont nos parasites, et ce ne sont pas nos organes.

Lorsque Barrés, dans La Patrie 27 de l'an dernier 28 jetait un premier cri de révolte contre les Jaurès, les Pelletan, les Delcassé et les Doumergue, faux élus d'Albi, de Pamiers, de Nîmes ou de Salon qui imposent leur volonté à Nancy ou à Caen, je ne pouvais pas me tenir de l'approuver, tout en traduisant sa formule.

— Oui : vous êtes menés par des députés du Midi. Mais non : vous n'êtes pas menés par le Midi. La volonté de M. Pelletan n'est pas la volonté de Salon, les idées de M. Doumergue et celles de la campagne nîmoise n'ont rien de commun. Ce sont là des autorités exotiques, qui s'imposent à nos pays contre les traditions, les vœux et les intérêts autochtones. Réclamez donc contre Pelletan ou Doumergue, mais, croyez-moi, laissez tranquille Nîmes et Salon, qui sont plus à plaindre que vous ! La représentation nancéenne défend du moins votre Nancy contre l'État, la représentation provençale est la complice de l'État pour exploiter, pressurer et déshonorer la Provence.

Je fais le même écho au discours de M. Lemaître.

« Si, dit-il, l'État se renfermait dans sa fonction naturelle (police intérieure, défense nationale, législation économique, établissement du budget), sans doute on pourrait encore estimer regrettable que, grâce à notre absurde système d'élections, la part des diverses régions françaises dans le gouvernement soit inégale à ce point ; mais enfin l'on se résignerait, — puisque tel est le tempérament de notre peuple, — ou l'on se contenterait de réclamer mollement la réforme de la loi électorale.

« Mais, comme l'État (et ce mot mystérieux ne désigne aujourd'hui que la majorité parlementaire, c'est-à-dire trois cents bonshommes que nous connaissons), — comme l'État, dis-je, outrepasse avec insolence son droit et sa fonction, se mêle de choses qui ne sont point de son domaine et qui devraient ne regarder que la commune, le département et la « région », il est clair qu'un Normand, un Breton, un Flamand, un Lorrain, n'est que trop fondé à se dire : “En somme, on supprime mes écoles libres, on expulse mes religieuses, on ferme mes couvents, etc., parce que cela plaît à des politiciens qui ne sont pas d'ici et que je n'ai jamais eu, moi, l'idée d'ennuyer chez eux… Il paraît que c'est une conséquence du parlementarisme… Eh bien ! donc je pense qu'un gouvernement qui rend ces choses-là possibles n'est pas un bon gouvernement.” »

« Les politiciens qui ne sont pas d'ici », ne sont pas « de là-bas », non plus, mon cher maître ! Ils ont la patrie de leurs négriers, Jérusalem, ou celle de leurs prêtres et docteurs, Genève, Berlin, Londres. Quand leur « chez eux » n'est pas une de ces villes étrangères, c'est un point de l'espace aussi éloigné du sud que du nord et qui est la Ville des Coucous bâtie dans les Nuées. C'est de là-haut qu'ils font pleuvoir tant de sottises et d'iniquités sur notre patrie. Mais avant d'atteindre le corps de la nation française, elles tombent d'abord sur nos villes et nos régions. Le Midi que vous appelez un tyran est bien plus que vous leur esclave. Vous l'avez bien senti.

Ne craignez pas d'y revenir, le vrai Midi tout entier sera avec vous.

II
Contre une théorie de guerre civile 29

Je voudrais ajouter quelques réflexions à l'article de samedi sur la querelle du Midi et du Nord soulevée à propos du discours de M. Lemaître. Ces réflexions me sont suggérées par deux articles excellents parus dans La Libre Parole et dans L'Éclair de Montpellier, le premier signé de Léon Daudet, le second de Jules Véran. Nous sommes, on le voit, entre amis, entre compatriotes et coreligionnaires. Daudet et Véran ne sont pas éloignés de tomber d'accord avec Jules Lemaître que les Méridionaux souffrent plus que les gens du Nord, puisqu'ils en souffrent de plus près, de la domination de l'Étranger de l'intérieur. Mais je voudrais leur faire admettre, à l'un et à l'autre, l'exactitude de l'explication proposée ici samedi.

Cette explication a pour elle de ne pas se borner au seul cas qui nous est soumis : elle se rapporte à un ensemble de faits beaucoup plus vaste. Comment expliquons-nous qu'un Loubet, un Combes, une majorité de trois cents Homais, imbus de sentiments et de volontés anti-patriotes, impose sa loi à la France ? Par la puissance naturelle à toute minorité compacte et unie dans un peuple désorganisé. Nous disons : — La France n'est pas gouvernée par les chefs nominaux de l'État politique ; derrière le gouvernement apparent, existe le gouvernement réel, et ce gouvernement est celui des Juifs, des Protestants, des Francs-Maçons et des nouveaux naturalisés que nous appelons nos Métèques. Chacun de ces quatre groupes forme dans l'État français un petit État très puissant. Ces quatre États se sont confédérés. Leur Conseil fédéral, souvent représenté par les décisions tacites de leur esprit public, est le vrai maître de la France.

Cette explication, admise plus ou moins consciemment par tous les membres de l'opposition nationale, s'applique à toute notre France. Or, voici qu'un problème de détail se présente. Il s'agit d'expliquer le fait que les départements du Midi nomment la majorité favorable au gouvernement anti-français. Il me semble que, avant de se pourvoir d'une autre lumière, il est d'une bonne méthode de chercher si l'explication générale dont nous disposons n'éclaire pas complètement la difficulté particulière. C'est ce que j'ai fait samedi. J'ai essayé de voir si la théorie des quatre États, juste pour toute la France, ne se trouvait pas être plus juste encore pour le Midi. Les régions du Midi, qui envoient à la Chambre des radicaux-socialistes, ne seraient-elles pas plus infectées que les autres régions françaises des éléments qui composent ces quatre États ?

Un coup d'œil sur la carte ethnographique et religieuse de la France permet de voir qu'il en est ainsi. Tel département, tel arrondissement du Midi subit l'inondation de ses anciens ghettos. Telles régions abondent en petites enclaves protestantes qui, au XVIIe siècle, servaient « de places de sûreté » à ceux de la Religion. Ces régions et les régions circonvoisines seront donc nécessairement, en toute période anarchique où les divers pouvoirs nationaux et locaux se décomposeront, des foyers actifs d'influence judéo-protestante, de propagande maçonnique. Le fait confirme donc l'hypothèse. Il la vérifie pleinement.

Nous étions sûrs, pour d'autres raisons et d'après d'autres faits, de la domination secrète des Quatre États confédérés sur la France contemporaine. Mais le Midi présente un cas privilégié, qui confirme cette domination : où les juifs et les protestants se trouvent les plus nombreux et les mieux rassemblés, là aussi se trouvent les boulevards et les plateformes de la République opportuno-radico-socialiste, ennemie du catholicisme, désorganisatrice des finances et de l'armée. Le radicalisme électoral et parlementaire se révèle ici — toutes choses étant égales d'ailleurs 30, — proportionnel à la force des judéo-protestants dans telle ou telle région de la France. — Voilà une de ces épreuves qu'on appelle, je crois, en méthode expérimentale l'épreuve des variations : où le judéo-protestant se raréfie, le niveau électoral se relève, et le même niveau s'abaisse dans les lieux où ces corps étrangers deviennent plus compacts et plus agissants.

Je me demande ce qui manque à cette explication.

S'il ne lui manque rien, je me demande à quoi bon en rechercher d'autres. Dans un sujet si délicat, le vrai même mérite d'être dit avec précaution et ménagement. L'erreur est deux fois dangereuse, quand elle risque de froisser, et de froisser à juste litre, des Français excellents qui souffrent plus que nous du mal dont on leur fait un crime.

Cette erreur, ce serait, je crois, de recourir précipitamment à de grandes généralités historiques. Je ne nie pas les grandes lois. Je voudrais en réserver et en mesurer l'usage aux cas d'évidence parfaite. On nous parlait, hier matin, de l'antinomie du Celte et du Latin. Il y a six mois, on remontait à la croisade Albigeoise. Eh bien, je ne sais pas du tout si les Albigeois, les Celtes et les Latins ont quelque chose à voir dans ce phénomène de radicalisme et d'anticléricalisme méridional qui n'est pas vieux de cinquante ans. J'en doute même infiniment, et je pense tout le contraire. Qu'on ne me prenne pas pour un athée à la religion de la race ; mais peut-être faut-il la comprendre ou la limiter, et n'est-il pas bien nécessaire de parler préhistoire ou protohistoire pour expliquer qu'on monte en fiacre ou que l'on s'en va prendre l'air.

Des explications aussi vastes n'expliquent rien et, ne servant à rien, servent parfois à pis que rien. Quand les Celtes auront expliqué aux Latins qu'ils sont des criminels, quand ceux-ci auront répondu : — Vous en êtes d'autres… la question aura-t-elle avancé d'un pas ? Elle aura reculé. Il est trop naturel aux Latins, si Latins il y a, de se préférer aux Celtes, s'il y a des Celtes, et réciproquement. Ce n'est pas une raison de se disputer, car la seule issue d'une telle dispute serait l'appel aux armes ou, du moins, la culture systématique de la haine entre les Français, entre des hommes de même tradition religieuse, politique et morale !

Si vous appelez cela une solution…

Je n'aime pas non plus que l'on dise que telle région, n'ayant pas connu d'invasion récente, en éprouve nécessairement une moindre affection envers la patrie. Le Gers, le Gard, les Landes n'ont pas été envahis depuis quelque temps. Ces départements en nomment-ils moins des députés patriotes ?

Si le patriotisme n'était que la phobie de l'ennemi, et encore d'un certain ennemi longuement spécifié et localisé, — l'anglais pour celui-ci et pour celui-là l'allemand, — le patriotisme ne serait plus grand-chose. Serait-il le patriotisme ? On oublie d'ailleurs trop que la menace peut exciter les mâles natures, mais qu'elle refroidit d'autant les timides. Je sais bien qu'on distinguera. Il y aura des régions braves et des régions poltronnes, des provinces trembleuses et des départements héroïques. La vérité est que l'esprit militaire varie sans doute avec les climats, mais aussi dans les mêmes climats avec les temps. Dès lors, pour bien nommer ces variations, quels scrupules sont nécessaires !

À feuilleter les vieilles annales militaires de la nation, on trouvera peu de races plus braves que les populations du Dauphiné et de la Gascogne. N'est-ce pas le Midi ? Les habitants de la haute Provence font de bons soldats ; la basse Provence est généralement décriée pour la qualité médiocre de ses recrues, mais il ne faut pas oublier qu'elle fournit d'excellents marins, qui, sans avoir l'endurance et l'impassibilité de leurs frères bretons, montrent, sous de bons chefs, des qualités d'initiative intrépide et d'adresse qu'on ne retrouve pas ailleurs au même degré.

La politique nous les gâte, comme il est naturel ! Mais la cause de cette politique de gaspillage, n'a rien de régional, elle est nationale, et elle gâtera le Nord et l'Est comme elle a pu gâter une part du Midi. Dans le Midi même elle pervertira jusqu'à ces montagnards languedociens dont la tenue émerveillait les connaisseurs aux avant-dernières manœuvres. Elle a déjà touché la région bordelaise. Qu'y faire ? Un remède est possible, un seul. À ce mal politique, un remède politique. Mais, en l'attendant, il est sage de constater que toute région où l'influence des Quatre États, non contente de s'exercer administrativement de Paris, sera immanente et se fera sentir directement, immédiatement, sur place, de près, cette région sera asservie plus rapidement et liquidée plus vite. La nature des choses ne permet pas que le contraire soit. Sachons-le et comprenons-le, en évitant d'invoquer l'activité de facteurs si lointains qu'ils en semblent imaginaires, et dont la mention seule, pour le moins superflue, aura toujours l'inconvénient de hâter la mise en morceaux du pays.

L'antithèse Nord et Midi, au point de vue du patriotisme, est proprement une nuée. Incriminer le patriotisme du Midi, c'est oublier toute l'histoire du Midi. Qui sauva la France de l'invasion des Impériaux sous François Ier ? Les paysans provençaux. Ils coupèrent leurs oliviers, et brûlèrent leurs propres blés pour mieux affamer l'ennemi. Qui soutint Charles VII, alors le simple roi de Bourges, et qui seconda Jeanne d'Arc ? Des capitaines du Midi, Dauphinois et Gascons, des Armagnacs, comme on disait. Ainsi tuèrent-ils dans l'œuf ce « puissant royaume du nord » formé de l'union de l'Angleterre et de la moitié de la France, dont M. Joris-Karl 31 Huysmans porte encore le deuil. L'unité et l'intégrité de la France sont issues de l'effort commun des Français, tant que cet effort a été discipliné par la monarchie ou par ses fondations durables. Eh bien ! (dans « l'Interrègne » comme Henri Vaugeois a coutume de dire) je voudrais que les nationalistes sincères se fissent des âmes de rois.

Nous ne devons connaître, en fait d'ennemis, que l'Étranger, qu'il soit en France ou hors de France. Ce n'est pas de la faute de nos populations de l'Est si leurs provinces ont été occupées les premières par les Allemands. Il ne faut pas leur en faire un mérite. Ce n'est pas de la faute des Provençaux, des Languedociens et des Dauphinois, si les Protestants et les Juifs ont établi au milieu d'eux leurs quartiers généraux. Il ne faut pas leur en faire un grief. Ils sont les premières victimes d'une position défectueuse. Nulle part ne sévissent au même degré que dans le Midi, la délation, la tracasserie et toutes les cruelles formes de l'oppression la plus barbare. Cette occupation étrangère est si bien conçue, que la résistance électorale en est paralysée d'avance. Les actes publics, qui doivent préparer le vote secret s'il est jamais secret, actes de propagande, de publicité, souvent même actes de candidature, sont rendus ou pratiquement impossibles ou tellement difficiles qu'il faudra, aux chefs et aux foules, des âmes de héros et, par surcroît, une fortune de miracle pour en triompher.

L'État tel que l'a fait la Constitution de l'An VIII, l'État présent partout, et, depuis la troisième République, partout le serviteur des Quatre États confédérés et de ses créatures, n'a souvent qu'à se retirer d'un pays ou d'une industrie pour les mettre dans l'alternative de se rendre ou de se ruiner. Et la politique constante de l'Administration à l'égard de tout pays et de toute industrie est de les maintenir l'une et l'autre, pour y maintenir sa tutelle, dans une condition de médiocrité, de demi-pauvreté qui rend nécessaires ses fréquentes interventions.

C'est sans doute une chose fort curieuse que tous nos hommes politiques influents soient originaires du Midi, mais c'en est une plus curieuse et plus significative encore que les intérêts économiques du Midi n'aient jamais été aussi négligés que depuis la domination de ces hommes politiques Ce qu'ils dispensent à leurs compatriotes, ce sont les places, par lesquelles ils retiennent et accroissent leur clientèle. Ils ne refusent point de faveur aux personnes, pourvu que ces personnes puissent faire valoir en intérêts électoraux le petit capital de bien-être qui leur est concédé par l'administration, mais c'est de bienfaits collectifs que les méridionaux au pouvoir se montrent singulièrement parcimonieux envers leur patrie. Je relève dans l'article de Jules Véran une note singulièrement propre à faire réfléchir ceux qui me lisent, et je la cite tout au long.

M. Jules Lemaître avait dit que le Midi embêtait le Nord.

« Le Midi peut embêter le Nord au point de vue politique, mais il est certain , répond M. Véran, que, le Nord embête le Midi au point de vue économique, et que, si l'une de ces deux parties de la France est lésée dans ses intérêts matériels, c'est le Midi. Et c'est bien là ce que nous reprochons aux députés méridionaux de la majorité. Ils sont assez actifs, assez intrigants, assez éloquents pour imposer leurs idées politiques au Parlement, et ils semblent perdre toutes ces qualités lorsqu'il s'agit de défendre et surtout de faire triompher les intérêts de leur région. Le canal des Deux Mers, les canaux du Rhône, les ports francs, la crise, ou plutôt les diverses crises de la viticulture, toutes ces questions, et j'en passe, qui sont d'une importance primordiale pour notre pays, les ont trouvés à peu près sans voix, sans ardeur, sans passion. Voilà des années que les Méridionaux ont une part prépondérante dans le gouvernement : qu'y avons-nous gagné ? Quels avantages pratiques en avons-nous retirés ?

Eh ! ces avantages pratiques enrichiraient le Midi. Un pays enrichi est un pays indépendant. Qui possède l'indépendance matérielle ne songe plus à mendier les postes de l'État, il n'est plus le client, le sportulaire, ni l'esclave de l'État, il ne rêve plus de socialisme d'État. Il ne rêve plus d'être fonctionnaire de l'État, pour l'amour du salaire fixe, de la retraite. S'il ne fait plus ce rêve, il ne rêve plus de voter pour ceux qui leur font ces promesses.

Or, il importe que le Midi vote ainsi. Il doit vivre pendu aux chausses de l'État. Pourquoi? Parce que, tant que l'État le tient, les Quatre États confédérés le tiennent aussi. C'est ce qu'il s'agit d'assurer. Toute la haute politique de l'État français ne tend qu'à cette unique fin : l'hégémonie juive, protestante, métèque et maçonne, elle n'est assurée que par un statut de famine. Moins le Midi pourra mettre en valeur ses richesses naturelles, plus il sera forcé de vivre du trésor public ; la pauvreté d'hier explique déjà l'asservissement graduel d'aujourd'hui ; les faits indiqués par Jules Véran montrent qu'on veut encore l'appauvrir davantage pour l'affaiblir plus complètement et l'assujettir de plus près aux oligarchies dirigeantes.

Voilà donc ce Midi dénoncé comme tyran à tous les Français. C'est le plus à plaindre de tous les serfs.

III
Éclaircissements 32

Les protestants dans la Catalogne française — Rectification

Je dois une amende honorable à nos compatriotes de la Catalogne française. Dès vendredi soir, mon ami M. Jean Forcade me faisait remarquer que j'avais eu tort de compter le département des Pyrénées-Orientales entre ceux où l'État protestant a établi ses pépinières ; de fait c'était à un département limitrophe que j'avais songé en écrivant par mégarde le nom du vieux Roussillon. J'avais omis de rectifier l'erreur lundi soir, mais cette négligence n'est plus à regretter puisqu'elle me vaut une intéressante lettre de notre confrère M. Guixou-Pagès, du Clairon de la Villette-Belleville. M. Guixou-Pagès est précisément originaire de là-bas :

Laissez-moi protester, me dit-il avec raison, pour les Pyrénées-Orientales. Avant 1870 ce département dont la population dépasse 200 000 âmes ne comptait certainement pas dix protestants parmi ses habitants, et encore étaient ils d'importation étrangère et nullement autochtones. Depuis que nous avons l'insigne avantage de vivre sous le régime républicain, Perpignan a été doté d'un temple protestant et naturellement d'un pasteur. Il faut en conclure que le nombre des huguenots s'est sensiblement accru, mais je ne crois pas qu'il dépasse 200 pour cette ville et deux ou trois autres localités du département. La plupart sont des exotiques qui sont venus planter leur tente en Roussillon, et le plus grand nombre se trouve parmi les fonctionnaires du Gouvernement, qui semble se faire un plaisir de nous choisir 33 parmi les réformés…

M. Guixou-Pagès me permettra de l'interrompre ici. Le plaisir du gouvernement n'est pas douteux. Il importe, à mon sens, de noter que c'est un plaisir systématique. Dès la victoire des républicains, le nouveau régime a dû choisir ses fonctionnaires dans l'une, des deux classes suivantes : classe a, ceux qui se seront retranchés du reste de la population, du commerce de la bonne société, au prix d'une bassesse ou d'une infamie ; classe b, ceux qui n'auront pas eu la même tradition que la foule et que l'élite de cette population, c'est-à-dire les juifs, les protestants, les métèques fraîchement naturalisés. C'est ainsi qu'un régime, étranger à la nation par son principe anglais et suisse, lui est devenu plus étranger encore par son personnel.

Je continue à lire l'intéressante communication de M. Guixou-Pagès :

Tous les protestants du Roussillon font preuve d'un très grand prosélytisme, et je me rappelle la femme d'un ingénieur fort riche qui poussait le zèle jusqu'à faire des néophytes à prix d'argent. Les conversions ont été rares, et la population a plutôt vu d'un mauvais œil ces façons de procéder.

En résumé, mon cher ami, les Catalans des Pyrénées-Orientales sont tous exclusivement de religion catholique fort tièdes peut-être, et peu pratiquants en majorité, mais catholiques tout de même et n'ayant jamais senti le fagot. Le protestantisme n'a point de sérieuses racines chez eux et ne s'y reproduit pas en pépinière. Le Juif pas davantage. Nous en comptons une centaine de spécimens importés de Vaucluse et de Gironde depuis une trentaine d'années. À peine étaient-ils deux douzaines avant la Guerre. Mais, comme le pays était bon à exploiter, ils ont fait des petits. Très mal vus aussi ces derniers.

M. Guixou-Pagès ajoute, en terminant son exposé, un souvenir l'histoire, qui l'explique parfaitement : au moment de la Réforme et tant que le protestantisme fut dans sa période de virulence, le Roussillon dépendait de l'Espagne à qui les rêveries calvino-luthériennes furent heureusement épargnées, — et pour cause.

C'est donc l'influence maçonnique qui contribue à peu près seule, dans les Pyrénées-Orientales, à faire élire des représentants radicaux et socialistes. Il n'en est pas moins intéressant de poser, d'après le tableau que nous trace M. Guixou-Pagès, l'infiltration judéo-protestante dans ce pays. « Vus d'un mauvais œil » et « mal vus », ces nouveaux venus n'en sont pas moins les favoris et les agents du régime. On ne les aime pas. On les craint cependant. Ils sont les maîtres, ou les amis et les parents des maîtres. Ils se tiennent entre eux. La bureaucratie d'une part, les Loges de l'autre leur fournissent plus d'un moyen de modifier, sinon l'opinion, l'attitude des habitants. Guixou-Pagès nous a résumé leur effort de trente ans, sous une République anarchique et flottante : depuis quatre ans, cette anarchie est devenue un anarchisme ; on ne flotte plus, on gouverne, mais droit à l'abîme. Vous nous en donnerez dans dix ans des nouvelles, — s'il existe encore en France dans dix ans !

Les cas de résistance ou de réaction

On me permettra de marquer une distinction assez forte.

La prédominance inévitable des judéo-protestants sur les points de France où leurs groupes sont les plus nombreux et les plus denses est certaine, assurément, comme loi d'ensemble. Dans le détail, il ne peut manquer de se produire des réactions plus compliquées. Précisément à cause de ce qu'il est en nombre et en force, la présence de l'adversaire peut imposer aux nôtres une union presque stable. Ils peuvent oublier alors leurs mauvaises querelles de personne et de coterie, leurs dissentiments et leurs froissements mutuels, de sorte que les résultats électoraux en soient satisfaisants. On a vu cela à Paris en 1900.

Et ces victoires nationalistes dans tel et tel quartier parisien infecté de Juifs s'expliquent sans difficulté par ce mécanisme 34 ! La vue nette de la malfaisance de l'Étranger donne entrain et courage, impose discipline, assure succès. « Ils en ont trop fait », dit M. Jules Lemaître. Quand une minorité en a fait trop, elle exaspère ses victimes. C'est ce qui est arrivé en plusieurs lieux de France, ce qui arrive en quelques circonscriptions assez rares du Midi, ce qui, théoriquement, pourrait arriver partout, mais ce qui n'arrivera pas, tout au moins dans l'ordre électoral, parce que la minorité gouvernante saura bien faire en sorte (cela n'est pas très difficile) que cette réaction n'éclate pas simultanément 35.

Mais encore une fois, ceci est réaction. Or, c'est de l'action que nous nous occupons en ce moment. L'action radicale-socialiste du Midi officiel peut s'expliquer, s'explique même uniquement par la prédominance, dans le Midi, des Quatre États dont j'espère avoir appris le nom à notre public.

Insolences séparatistes

M. Jules Lemaître avait dit, à Caen, d'assez gros mots, comme embêter, mais le plus doucement et le plus habilement du monde. Tout en désirant le contraire, je crains que les petits mots proprets, gourmés et solennels de M. Jules Delafosse 36, dans Le Gaulois de l'autre jour, soient pris pour des aigreurs ou pour de maladroites violences.

Déjà M. Jules Delafosse nous avait expliqué assez doctement, l'année dernière, que toutes les infériorités historiques du peuple français lui venaient de notre élément méridional. J'avais égaré ce vieil article de M. Delafosse. Je suis bien aise de retrouver dans le nouveau quelques-unes des Nuées qu'on y avait saluées au passage. Il m'est permis de les noter avec calme. M. Jules Delafosse est normand ; si je me connais aucun ascendant hors de la Provence, le petit port de mer provençal où j'ai vu le jour a reçu au douzième siècle une colonie de normands ; ce cousinage nous permettra de causer en paix.

Voici des phrases qui m'ennuient, non comme Méridional, mais comme membre de la communauté française : « … S'il y a persécution, c'est des Albigeois qu'elle nous vient. Simon de Montfort est aujourd'hui vaincu, opprimé et proscrit. Mais il semble bien, à voir le caractère de la persécution qui sévit sur les catholiques et les Français du Nord, que les Albigeois et leurs frères puinés, les Camisards, ne font qu'exercer avec une triomphante insolence les rancunes ataviques accumulées au cours des siècles. » Si ces rancunes s'exercent quelque part, M. Delafosse peut être assuré que c'est au Midi. Les petites minorités camisardes ou albigeoises, appuyées sur l'État central, y oppriment en tout premier lieu un indigène aussi traditionnellement catholique, aussi patriotiquement français que M. Jules Delafosse pourrait le souhaiter.

Au lieu de regarder la carte religieuse du pays et d'y suivre la répartition des judéo-protestants sur le territoire français, M. Delafosse déclare que « la raison de cet accaparement » du Midi « est aussi régionale » : nous vivons sous le régime du parlementarisme c'est-à-dire de l'éloquence, or, l'éloquence est le fruit du Midi et, le Midi, «  considéré dans sa majorité » (je voudrais bien savoir en passant ce que peut être un pays considéré dans sa majorité), le Midi, poursuit M. Delafosse, « est le pays par excellence des cerveaux creux et des imaginations déréglées. On s'y grise de son, comme on se grise d'alcool ailleurs. Il n'est pas de sophisme, de chimère et d'extravagance qui ne trouve à s'y loger. »

Répondons à toutes ces choses qui sont plutôt des mots.

Si l'on prend pour mesure de la chimère, du sophisme et de l'extravagance, de l'imagination déréglée et du songe creux, — tel que les définirait par exemple, un ami de M. Delafosse, M. Leroy-Beaulieu, — le collectivisme de Marx, on trouve qu'un département de la France est et demeure le boulevard du collectivisme ; ce n'est pas un département quelconque du Midi, c'est même celui qui s'appelle par gageure, le Nord.

Entre l'ivresse de l'alcool et celle que produit le son de la voix humaine, quel hygiéniste osera préférer l'alcool ?

Si enfin le parlementarisme est le régime de l'éloquence, pourquoi ne vient-il pas du Midi, mais d'une région plus septentrionale encore que notre « Nord », l'Angleterre ?

« Industrie purement verbale », « démence électorale », « infirmité ethnique », voilà les mots que l'auteur d'une Théorie de l'ordre écrit à une place que devraient occuper les raisons et les faits ! Il n'est point de langage moins politique, et ces qualificatifs semblent même singulièrement impolitiques si l'on se donne la peine de le rapprocher de certaines paroles de M. Delafosse de certains autres propos du même écrivain. Je regrette d'avoir à le lui dire, mais on n'a pas le droit de parler de « provocation au soulèvement, à la rébellion, au séparatisme » douze lignes après avoir employé des expressions comme celles-ci : « Les départements de l'Est, de l'Ouest et du Nord, qui sont les plus nombreux en population, les plus productifs, les plus équilibrés et les plus sains, ceux qui composent la vraie France… »

Je souligne des termes que M. Delafosse, que les bons citoyens n'ont jamais le droit d'employer. Le chiffre de la population, le nombre des produits, cela se constate et se compte. Mais aucune région française ne peut-dire, n'a le droit de dire : — Je suis la plus équilibrée, ni : — Je suis la plus saine, ni surtout : — C'est moi qui suis la vraie France. Celui qui dit cela déchire le traité de paix intérieure qui préside implicitement aux destinées de toute nationalité définie et complète. Ce tacite engagement, chimérique pour les cas individuels, mais nécessaire pour ces sociétés de sociétés que forment les nations, stipule l'égalité ou l'équivalence des éléments territoriaux en contact. Nous pouvons, à nos heures de paix et de loisir, chercher, dans un esprit de concorde et de bienveillance mutuelles, quels furent les premiers ou les plus actifs de nos éléments nationaux : ces dissertations de science et de littérature n'ont point de sens au regard de l'homme d'État dans les heures sérieuses de la vie du pays. Aujourd'hui elles sont purement odieuses. Elles sont parricides. Tous les Français, du Nord au Midi, de l'Est à l'Ouest, tous les vrais Français sont menacés dans l'existence nationale, aussi bien que dans la tradition religieuse : voici venu pour eux le moment de s'unir et non de se battre.

Que M. Delafosse entreprenne un voyage dans le Midi, il verra si les véritables compatriotes d'Auguste Comte, de Bonald, de Stendhal, de Rivarol, de Montesquieu et de Vauvenargues 37 sont des rhéteurs à la Jaurès et à la Roumestan ou si, pauvres, actifs, persévérants, silencieux et graves, courbés sur leur terre maigre et légère au flambeau de leur magnifique soleil, ils ne se trouvent pas blessés tout les premiers de ce qui blesse leurs compatriotes du Nord ! Il découvrira surtout l'extraordinaire variété de sols, de climats et de races enveloppée sous cette vague étiquette du Midi. Et partout cependant il y verrait uniformément fleurir la domination des Quatre États confédérés, Juifs, Protestants, Maçons, Métèques, telle que je vous l'ai montrée. Une fois revenu de voyage, il sera revenu aussi de son préjugé diviseur sur la qualité des gens du Midi.

Je le prierai alors de ne pas insister non plus sur leur petit nombre. C'est indécent, mais imprudent. « Le nombre est notre loi commune », dit-il. Je le sais. J'ai beau le savoir, plus j'y réfléchis, plus me semble « naturel et juste » non pas ce qui vient renforcer la loi du nombre, mais ce qui la compense et ce qui en détruit les effets. En Amérique, dans la jeune république qu'on nous offre en modèle, des États insignifiants par l'étendue ou la population ont le même nombre de sénateurs que les États les plus vastes et les plus peuplés ; cet exemple de la plus récente des constitutions trouve ses analogues dans les plus anciennes, en Allemagne, en Angleterre, dans l'empire Austro-hongrois. Il n'est pas juste mais il est bon, il est politiquement bon, il est utile d'une utilité générale et par là même fort généreuse, qu'une circonscription compte 2 500 électeurs, qu'une autre en compte 22 000 ou 100 000 et que les élus de collèges si profondément inégaux deviennent égaux sous la coupole d'un parlement.

Je dis que cela est bon, en thèse générale, et sans souci de la querelle Nord et Midi ; je dis que cela est très bon, sans spécifier pourquoi, faute d'avoir le temps de donner toutes les raisons, en me bornant à dire que, dans un pays de suffrage universel, tout ce qui exprime autre chose qu'un total brut d'unités votantes, tout ce qui représente des unités morales ou locales, géographiques ou historiques, tout cela est certes excellent. Mais, si l'on n'est pas de cet avis, si l'on opte pour le droit des individus-rois et la stricte justice individuelle, je demande à M. Delafosse d'être logique et de commencer par le commencement, soit par la capitale : Paris a quatre-vingts quartiers, les quartiers de la périphérie ont une population immense, chacun d'eux nomme un conseiller ; les quartiers du centre, de population beaucoup plus restreinte, nomment également chacun son conseiller. Tout cela est à réviser. Un homme en vaut un autre, un Parisien de Ménilmontant vaut un Parisien de la Bourse : M. Jules Delafosse réclamera-t-il la révision du sectionnement de Paris ?

Une chose est certaine : ce profond politique plus rusé que Gribouille n'obtiendra pas l'appui de ses meilleurs amis.

Appendice aux « insolences séparatistes » 38

Il y aurait un dossier à former avec les insolentes grossièretés et les facéties injurieuses prodiguées au Midi dans les journaux parisiens pendant les deux ou trois jours qui ont précédé les massacres 39. Ce dossier qui contiendrait de véritables provocations ferait peut-être réfléchir les patriotes sur l'inconvenance et l'impropriété d'un certain langage usuel :

Triste langage, écrivais-je dans la Gazette de France du 23 juin 1907, langage qui court la France et qui n'est pas français, car il tend à déprécier les 33 centièmes de la population de la France !

Sous prétexte qu'il s'agissait d'une affaire méridionale, on ne pouvait admettre que le mouvement fût sérieux. Le mot « battage », démenti par un ministre, était repris par la presse parisienne à peu près entière, — le Midi parlait et criait, le Midi ne bougerait pas. Pourquoi d'ailleurs bougerait-il ? L'Action a soutenu que la crise économique était un mythe pur : il n'y avait même pas de vraie misère dans le Midi ! L'argent y ruisselait par les villes et par les campagnes. M. Henri Amoretti déclarait dans L'Aurore que le soleil du Midi était trop lumineux pour éclairer de vrais pauvres. Des mots, des mots, des mots que toutes les plaintes de nos compatriotes ! Leurs actes, de beaux gestes mais inventés pour ponctuer les mots !

« Ce qu'on aime surtout, c'est pérorer, c'est prendre des attitudes.

« — Mes bons amis, vous souffrez ? De quoi souffrez-vous ?

« — Nous n'en savons rien, mais il faut nous guérir.

« Et, en attendant, on fait du bruit. Et zou fen de bru. »

Et, comme le Dr Ferroul 40 et ses amis s'étaient laissés arrêter sans résistance, M. Amoretti concluait :

« Le dénouement de leur pièce manque d'originalité. Maintenant qu'elle est jouée, espérons qu'on ne voudra pas la corser d'un épilogue inédit. Mais on se demande qui paiera les chandelles. Sans doute, le gouvernement établira les responsabilités. Qu'il fasse bien la part de l'imagination. Ce sacré tempérament veut qu'on exagère tout. On va jusqu'au crime, mais sans penser à mal.

« À présent, la fête est finie. Il n'y a plus rien à voir dans la rue. Que chacun rentre chez soi tranquillement. L'heure est bonne encore pour les réflexions saines, etc., etc. »

Cette provocation intitulée « Révoltons-nous sans bouger » a paru dans L'Aurore du jeudi 20 juin. À cette même date, date d'incendie et de fusillade, un facétieux chroniqueur écrivait à la première page de Gil Blas des gentillesses qui donnent une bonne mesure de son jugement :

S'il avait voulu…

Sauf erreur — voyez cependant les dernières nouvelles — il faudra s'en tenir à ces mots. Un député de l'Hérault, interviewé à propos de la grande galéjade méridionale et de l'arrestation du « barbu », c'est-à-dire de Ferroul, répond : « Il n'y a pas eu de sang versé ; c'est à la prudence de M. Ferroul qu'on le doit. S'il avait voulu la population de Narbonne aurait résisté… »

S'il avait voulu !… Mais, naturellement, il n'a pas voulu…

Loin de moi la pensée de prétendre que nos bons Méridionaux vendent leur vin quand ils affirment qu'ils ne le vendent pas. Loin de moi la pensée de prétendre qu'ils le boivent, quand nous savons qu'ils préfèrent le vermouth. Ils sont bien malheureux ! Et nous donc ? sommes-nous si heureux que cela ?

Mais enfin, pendant des semaines, un nouveau « rédempteur » se présente à nos yeux éblouis, qui réunit dans un même élan contre les pouvoirs publics, les sectateurs du droit et même ceux de Mahomet… On nous annonce qu'il est, ainsi que le « barbu », protégé contre l'hostilité du gouvernement par des paysans ou des citadins qui veillent la nuit et qui mettront le Midi à feu pour le mettre à sang si on entreprend d'arrêter l'un ou l'autre… Et puis, l'arrestation de l'un ou de l'autre s'opère sans qu'un seul Méridional lève le plus petit de ses gros doigts !

S'il avait voulu !

Évidemment, s'il avait voulu !… Mais il n'a pas voulu. Et il a « bluffé » la France tout entière. Je n'ai point souci de politique et ne dis pas ce qu'on aurait dû faire plus tôt. Je résume seulement les sommaires observations psychologiques de tous ceux qui ont observé le mouvement méridional. La France finira par connaître le Midi. Elle l'aimera toujours. Elle ne se laissera plus émouvoir par lui.

Et cependant, si le Midi avait voulu !

S'il avait voulu !…

Tel a été le ton de la presse à Paris. J'aurais horreur de tout citer. Quelques patriotes ne se sont-ils pas égarés dans ces joyeux brocards aujourd'hui devenus funèbres ? Et chacun n'a-t-il pas parlé en anglais de bluff, en provençal de galéjade et même quelquefois de verbiage en français. Le Temps de mardi soir, dans un article que je garde aussi précieusement que les autres, mettait le « réalisme » et l'esprit politique au compte du président du Conseil — de M. Clemenceau ! du massacreur au cœur léger ! — et prenait sur lui d'annoncer que, devant la « méthode d'action  », le peuple du Midi ferait « d'amers retours sur son excitation passée », céderait tout, rentrerait chez lui.

Le Temps du lendemain dut garder devant les faits un silence où je souhaite que le repentir ait pu être égal à l'horreur… Enfin Le Temps d'hier soir, après quarante-huit heures de réflexion, a dû convenir qu'il ne s'était rien passé de plus réel ni de plus sérieux en France depuis les jours de la Commune.

Ce n'est pas sans tristesse, mais ce n'est pas non plus sans une sorte de sombre soulagement que, leurs frères par le sol, par la langue, par la tradition, par l'esprit et par la civilisation, nous voyons accorder aux insurgés méridionaux un hommage qu'ils ont acheté au prix de leur sang. Il faut convenir de leur savoir faire, et c'est de main de maître que s'est fait leur soulèvement. Ni au Nord ni à l'Est ni au Centre ni à l'Ouest on n'a fait mieux. Peut-être s'en souviendra-t-on. De sottes et fâcheuses habitudes perceront sans doute de temps à autre, et je sais bien qu'elles reprendront tôt ou tard. Tout de même, ce qui aura été restera, et les amateurs d'ethnographie comparée pourront étudier, sur des faits aussi publics que récents, ce que vaut la passion, ou le courage, ou l'entêtement des populations méridionales. Avec une sincérité qui l'honore, M. Gaston Méry l'a, d'ailleurs, reconnu dans La Libre Parole d'hier. L'auteur de Jean Révolte a fait la distinction que nous avons toujours supplié les bons Français de faire entre le Midi de la politique et le Midi du sol, du travail, de la tradition, et de la pensée.

Le premier ne subsiste que du plus superficiel verbiage : pour quelle cause, je ne désespère pas de recommencer un de ces jours à vous l'expliquer. Le second, avec ses défauts qui ne doivent point effacer de grandes qualités, ne le cède à aucune des provinces qui concourent à l'Unité du nom français.

Note précieuse à retenir : cette année, — à la différence de l'année 1903, — M. Delafosse s'est abstenu de faire du séparatisme normand, de sorte que tous les séparatistes, tous les ennemis du Midi, tous les adversaires de l'apaisement fédéral et de la concorde régionaliste, — y compris M. Ranc, qui demandait dans L'Aurore « un peu de Jacobisme s. v. p.  » — auront été des républicains orthodoxes. Il faut souhaiter aux conservateurs de savoir persister dans cette attitude. Elle est patriotique. Elle est de bon sens.

Charles Maurras
  1. Notre texte est celui de la revue L'Action française du premier juillet 1907, pour laquelle Maurras ajoute l'introduction qu'on lit ici. (n. d. é.) [Retour]

  2. On sait que 1907 est l'année de la grande révolte des vignerons du Languedoc soutenus par la population, mouvement qui fit trembler le pouvoir de Clemenceau, un régiment envoyé pour réprimer les troubles ayant fraternisé avec les émeutiers. L'agitation avait atteint son point le plus haut en mai et juin 1907. (n. d. é.) [Retour]

  3. Article tiré de la Gazette de France du 19 décembre 1903. [Retour]

  4. Jules Lemaître, 1853–1914, écrivain et critique dramatique, il joua un rôle dans l'affaire Dreyfus et fut membre de l'Action française. (n. d. é.) [Retour]

  5. Arthur Ranc, 1831–1908. En décembre 1851, il combat sur les barricades pour s'opposer au coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte. Il est condamné à la déportation en Algérie en 1854. Il réussit à s'évader et à rejoindre l'Italie, puis la Suisse. Il rentre à Paris après l'amnistie de 1859 et collabore au journal Le Réveil de Charles Delescluze, puis à La Rue de Jules Vallès. Il est condamné à de multiples amendes et peines de prison pour incitation à la guerre civile.

    Après la proclamation de la République le 4 septembre 1870, il est nommé maire du IXe arrondissement. Pendant le siège de Paris, il rejoint Léon Gambetta à Tours. Le 8 février, il est élu député à l'Assemblée nationale, mais en démissionne le 2 mars pour protester contre la signature des préliminaires de paix avec les Allemands. Le 26 mars, il est élu au Conseil de la Commune par le IXe arrondissement. Il démissionne le 6 avril pour protester contre le décret sur les otages que vient de prendre la Commune.

    Après la Semaine sanglante, il se présente en juillet 1871 aux élections municipales de Paris, mais la presse de droite l'attaque et il doit s'enfuir en Belgique. Il est condamné à mort par contumace par le conseil de Guerre en octobre 1873.

    Il revient en France après l'amnistie de 1880, puis est élu député de gauche de la Seine en 1881, sénateur en 1891. (n. d. é.) [Retour]

  6. Lis Isclo d'Or, Roumanin. (n. d. é.) [Retour]

  7. M. Clemenceau dans L'Aurore du 31 juillet 1903, s'était déclaré le « féroce ennemi de la Constitution de l'an VIII » ajoutant : « Mon idéal de gouvernement est le fédéralisme, tant je suis loin de mériter ce reproche du jacobinisme ! » Un an de ministère a suffi pour conduire M. Clemenceau jusqu'aux massacres de Narbonne et à la proclamation du petit état de siège dans quatre départements. Voyez La République et la Décentralisation, par MM. Paul Boncour et Charles Maurras (1904, Paris, Lemoine, 12, rue Bonaparte). Les articles de M. Clemenceau se trouvent reproduits dans ce petit livre. [Retour]

  8. M. Paul Boncour avait publié dans la Renaissance latine du 15 juillet 1903 son article « La République et la Décentralisation », M. Louis-Xavier de Ricard lui avait fait écho, dans le Figaro du 4 août. Je ne sais ce que pense des récents événements M. de Ricard : devenu conservateur d'un musée de province, je ne sais pas non plus s'il y pourrait changer quelque chose. Mais M. Paul Boncour, chef de cabinet de M. Viviani, collabore avec son ministre à sa répression jacobine. Et c'est éternel ! [Retour]

  9. Aujourd'hui, c'est-à-dire aux élections de 1906, ce chiffre s'est un peu accru : 29 489. [Retour]

  10. En 1906 : 11 164. [Retour]

  11. En 1906 : 15 848. [Retour]

  12. En 1906 : 7 292. [Retour]

  13. En 1906 : 17 300. [Retour]

  14. En 1906 : 7 452. [Retour]

  15. En 1906 : 25 617. [Retour]

  16. En 1906 : 9 385. [Retour]

  17. En 1906 : 26 790. [Retour]

  18. En 1906 : 11 329. [Retour]

  19. Circonscription dont M. Pierre Leroy-Beaulieu est aujourd'hui le représentant, après les extraordinaires péripéties qu'il est inutile de rappeler. [Pierre Leroy-Beaulieu (1871–1915), qu'il ne faut pas confondre avec son fils qui porte le même prénom. Faute de pouvoir le citer ici longuement, nous renvoyons le lecteur à l'article de Philippe Secondy intitulé « Pierre Leroy-Beaulieu : un importateur des méthodes électorales américaines en France » dans la Revue historique 2/2005 (no 634), p. 309–341. (n. d. é.) [Retour]

  20. En 1906 : 17 722. [Retour]

  21. 7 482. M. Salis a gagné des voix dans une circonscription qui perdait des électeurs. [Retour]

  22. En 1906 : 31 611. [Retour]

  23. En 1906 : 12 159. [Retour]

  24. En 1906 : 26 894. [Retour]

  25. En 1906 : 11 263. C'est le cas exceptionnel de M. Salis. [Retour]

  26. Erreur rectifiée plus loin. [Retour]

  27. Juillet-novembre 1902. [Retour]

  28. Les articles de Barres ont été réunis dans une belle et forte brochure Les Lézardes sur la maison (Paris, Sansot). Une note de cette brochure me fait l'honneur d'extraire et de signaler ces vieux articles dont voici la réédition. [Retour]

  29. Gazette de France du 22 décembre 1903. [Retour]

  30. J'ajoute cette phrase incidente au premier texte pour prévenir une objection : — il y a des enclaves protestantes en Franche-Comté, il y eut de nombreux ghettos en Alsace et en Lorraine… Eh bien, les enclaves protestantes de la Comté ont fait leur office électoral, qui est de provoquer l'élection de radicaux et de francs-maçons ; les ghettos d'Alsace et de Lorraine ont appuyé Dreyfus, soudoyé Picquart, exploité le cristal de la réputation de Scheurer-Kestner. Seulement nos populations, campées sur une frontière où la lutte est récente, ont bénéficié d'une éducation historique et géographique mieux orientée moralement et qui leur a permis de réagir avec plus de vivacité. Dans les conditions où elles étaient, elles comprenaient mieux que le juif, fût-il d'apparence et d'allure indigène, demeurait l'Étranger, demeurait l'Ennemi. De plus, le Juif de l'Est frère du « sale juif » de Pologne et d'Algérie, par ses mœurs répugnantes, par ses petits métiers (colporteur, usurier, cabaretier, marchand de biens), par son vêtement (la forme même de la houppelande est classique) se trouve plus directement désigné à l'aversion et à la méfiance publique. Drumont a fait la différence : le juif du Midi a plus de tenue, de prudence et de pudeur matérielle. Nous devons constater qu'il est d'autant plus dangereux. C'est le juif du Midi, le juif du type Crémieux qui a imaginé de nous exproprier, non par une série de dépossessions de détail opérées sur place et qui risquent de soulever les populations, mais au moyen de la politique et de la presse après s'être emparé du pouvoir central.

    Si l'on n'est pas satisfait de cette réponse à une objection, dont le tort est de ne pas tenir compte de causes adventices puissantes, je me ferai un devoir de compléter ou d'éclaircir cette esquisse rapide. [Retour]

  31. Maurras inverse ici l'ordre des prénoms. Nous rétablissons. (n. d. é.) [Retour]

  32. Gazette de France, 24 décembre 1903 — à l'exception de l'appendice infra. (n. d. é.) [Retour]

  33. Sic. Comprendre : « nous choisir des fonctionnaires parmi… ». (n. d. é.) [Retour]

  34. Cependant, Paris, en 1903, a beaucoup moins bien voté qu'en 1900. [Retour]

  35. Quel rêve, en effet, pour l'opposition si la résistance aux dreyfusards, la bataille des inventaires et le soulèvement du Midi avaient été des événements simultanés : successifs, ils sont pacifiées et résolus un par un ; c'est ce qui s'appelle manger l'artichaut feuille à feuille. [Retour]

  36. Jules Delafosse (1841–1916), député du Calvados en 1877, d'abord bonapartiste, il siège à droite, est partisan de Boulanger et vote régulièrement contre la gauche, en particulier pour s'opposer avec constance au colonialisme de Jules Ferry. (n. d. é.) [Retour]

  37. Si l'on acceptait les divisions du Nord et du Midi telles que les expose M. Delafosse, il faudrait ajouter les noms de Blaise Pascal et de Joseph de Maistre ; ce dernier était d'ailleurs d'origine provençale. [Retour]

  38. Cet appendice est de 1907. (n. d. é.) [Retour]

  39. La police, secondée par l'armée sur ordre de Clemenceau, tira sur la foule à plusieurs reprises. Il y eut deux morts le 19 juin 1907, puis cinq autres le 20 juin, à Narbonne. Le terme de massacre était aussi utilisé par Jaurès dans L'Humanité, qui titra après la confiance votée par les députés : « la Chambre acquitte les massacreurs du Midi ». Il faut préciser, car Maurras l'a sans doute à l'esprit en écrivant ces lignes, que c'est Marie-Georges Picquart, dont on sait le rôle déterminant dans les rangs Dreyfusards, qui était alors ministre de la Guerre. (n. d. é.) [Retour]

  40. L'un des chefs du mouvement de protestation viticole. (n. d. é.) [Retour]

Ce texte a paru dans la revue L'Action française du 1er juillet 1907. Première publication dans la Gazette de France des 19, 22 et 24 décembre 1903.

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