I
Idées réactionnaires de bons républicains 1
Nous citions l'autre jour la page utile et méritoire dans laquelle Monsieur Maurice Schwob en venait à poser la question de l'héritage et des lois de succession absolument dans les mêmes termes que toute la « réaction » française depuis plus de cent ans. Le partage égal y est enfin reconnu pour ce qu'il est : un crime contre la terre et la patrie 2. #
En voici bien une autre du même tour ! M. Schwob 3 est un écrivain indépendant : je présente un personnage officiel, M. Pasquet 4, sénateur des Bouches-du-Rhône. M. Pasquet ferait sûrement une maladie si, en le nommant, j'oubliais de dire qu'il fut toujours à l'avant-garde de la démocratie méridionale : M. Pasquet opine de même façon que les Blancs, les pires des Blancs, les nationalistes, sur la question de l'immigration et sur le problème de l'assimilation des métèques 5. #
II
Le tardif repentir
La dernière décade du XIXe siècle commençait à peine que nous attirions l'attention du pays sur cette plaie qui se formait : Barrès, d'abord, au Figaro, Barrès et nous en sa Cocarde, Paul Bourget dans son Outre-Mer, Barrès encore dans ses magnifiques Déracinés. Il y a là-dessus toute une vaste littérature réactionnaire antérieure même à l'affaire Dreyfus, attenante à l'antisémitisme de Drumont et qui le poussait. On ne voulut pas nous entendre. On refuse de prévoir les maux nécessaires engendrés par un système de nationalisation 6 sans paliers ni étapes. #
Mais maintenant il commence à en cuire. C'est pourquoi M. Louis Pasquet élève la voix. Il écrit au Journal : #
En vérité, l'immigration comporte certains périls, si, par ailleurs, elle répond à des besoins inéluctables. Elle peut affaiblir l'originalité et la pureté de la race. #
Le moment est venu de réglementer, de façon minutieuse, et sévère, comme aux États-Unis, notre politique d'immigration. #
Cette rencontre, cet accord, font le refrain de Béranger : Quel honneur ! quel bonheur ! ah Monsieur le sénateur… #
Mais non : le sénateur de Bouches-du-Rhône fait encore une erreur. Le « moment » dont il parle était venu depuis longtemps. Seulement, il ne l'a pas vu. Il lui a fallu les coups de bâton de l'expérience pour s'apercevoir d'un péril que la simple raison discernait depuis près de quarante ans. Hélas ! pour marcher au pas du Temps, pour en deviner les stades et les détours, il lui aurait fallu penser en homme libre. Il avait des idées qui lui fermaient les yeux. #
III
Vérités rétablies
J'ai le regret de lire dans La Croix d'hier, sous des signatures vénérées, que « la condamnation » de mes livres portée (dans la plénitude de son droit) par Pie XI, l'avait été déjà par Pie X. Il peut-être fâcheux que cette allégation soit fausse, mais, ne pouvant faire qu'elle soit vraie, je ne puis échapper au devoir de défendre la mémoire du grand bienfait qui est l'honneur de ma vie. Je défends, avec elle, la vérité dont j'ai la preuve, contre les fraudes de Mgr Esser 7, Allemand. #
D'abord les fraudes sont bien de lui. Lorsque le 18 janvier dernier je dévoilai le nom et la nationalité de l'ancien secrétaire de l'Index, qui trompa les membres de sa congrégation sur les paroles du pape Pie X, je tenais cela de renseignements sûrs, mais tout personnels ; depuis je les ai vus corroborés par La Documentation catholique : le moine qui, sous Pie X, venait, comme un chien 8 réclamer ma condamnation et qui, en pleine guerre, a renouvelé sans vergogne ces vaines instances auprès de Benoît XV, était bien l'Allemand natif d'Aix-la-Chapelle qui m'avait été signalé. Et d'un. #
Les feuilles du syndicat de condamnation, à la tête desquelles la simoniaque Vie catholique, essaient de contester la qualité que j'ai donnée à l'informateur oraculaire de S. É. la cardinal de Bordeaux, M. Passelecq 9. M. Passelecq qui, d'après son libelle, est un faussaire indubitable, n'est pas défendu sur ce point : on se contente de nier ses tendances gallophobes en alléguant diverses charges et fonctions dont le gouvernement belge l'aurait investi et qui l'établirent en enquêteur et en juge des déprédations allemandes. Mais l'essentiel est de savoir comment il s'est acquitté de cette fonction. Demandons-le aux Allemands : ils le couvrent de fleurs. On lit dans le Politischer Almanach pour 1926, de Muller, à l'article « Libre Belgique ». #
Collaborateur le plus important : PASSELECQ, qui a déjà souvent, dans la question des réparations, défendu des idées raisonnables ; a été adversaire de la saisie des biens privés des Allemands en Belgique et est une des têtes les plus claires du journalisme belge. La Libre Belgique ne met pas souvent des gants pour parler de la France. #
Le seul intérêt de leurs haines entraîne donc des écrivains dits catholiques à tromper le public sur leurs alliés. #
La même Vie catholique, invoquant les dires d'un prélat dont le nom me semble étranger, prétend tenir du lui que le pape Pie X avait refusé de me recevoir. Or, j'ai deux documents écrits adressés l'un à un journal au mois de décembre, l'autre dès septembre à un cardinal (ils n'en ont tenu de compte ni l'un ni l'autre) : dans ces pièces, un religieux, prêt à renouveler son témoignage, a déposé que, se rendant à Paris en 1913, il reçut du cardinal de Cabrières « la commission suivante : — Voyez Maurras, dites-lui combien Pie X a apprécié sa défense (mon livre L'Action française et la Religion catholique). Il le recevra l'année prochaine. #
Texte n° 2 : « … le cardinal me pria en décembre 1913 d'assurer Maurras que le pape le recevrait l'année suivante… » #
Les mœurs intellectuelles du syndicat 10 sont connues. Ni le vrai, ni le faux, ni le tort ni le droit ne lui font chaud ni froid. Cependant, le vrai est, et le faux n'est pas. Le faux se dissipe devant le vrai. On alléguait contre moi le cardinal de Cabrières. J'ai fait rentrer ce mensonge dans la gorge de l'ennemi. On alléguait le cardinal Mercier. Autre mensonge ravalé. On ravale, on rumine avec fureur, mais on n'avoue pas. On ne se tait pas. On dit autre chose. #
Tactique de tous les menteurs. Elle ne viendra pas à bout de la vérité, même en lui opposant les inventions énormes dont j'aurai à dire un mot d'ici peu. #
Charles MaurrasCe texte est paru dans L'Action française du 22 janvier 1927. Seul le titre III, « Vérités rétablies », est repris dans le recueil de 1927 L'Action française et le Vatican, au chapitre neuvième, où il est introduit par la phrase : « Les 22 et 27 janvier, Charles Maurras apportait de nouvelles précisions. »
Les notes sont imputables aux éditeurs. [Retour]
C'est la suppression du droit d'aînesse qui est ici en cause : elle était accusée depuis le début du XIXe siècle de morceler les propriétés paysannes au-delà du raisonnable et d'entraîner par conséquence la dénatalité. [Retour]
Maurice Schwob (1859–1928), directeur du journal nantais Le Phare de la Loire. C'était le frère de l'écrivain Marcel Schwob. [Retour]
Louis Pasquet (1867–1931), sénateur de gauche radicale des Bouches-du-Rhône de 1920 à 1931 et ministre du Travail du 19 au 23 juillet 1926. [Retour]
Rappelons deux évidences : le terme métèque, sous la plume de Maurras, n'est pas tant une insulte qu'une référence à l'institution athénienne antique de la météquerie ; les « Blancs » dont il s'agit ici ne sont pas à prendre au sens racial, mais au sens de la désignation politique des royalistes méridionaux. [Retour]
Nous dirions : naturalisation. [Retour]
Herman Joseph Esser (1850–1926), devenu Thomas Esser quand il prit l'habit chez les dominicains, cardinal en 1917, responsable de l'Index au moment des délibérations romaines de 1913–1914 sur Maurras et l'A. F. [Retour]
La parole est attribuée à Pie X dans les témoignages invoqués par Maurras. [Retour]
Avocat belge, rédacteur d'une brochure malveillante contre l'A. F. dont la lettre du cardinal Andrieu avait repris plusieurs arguments. [Retour]
Maurras désigne sous ce nom la coalition d'intérêts passant essentiellement par quelques journaux et maisons d'édition catholiques, coalition qui défend alors en France de manière passionnée les thèses des catholiques opposés à l'A. F. [Retour]