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Lettre de Mgr le duc de Guise
« La Politique »
12 janvier 1927

À L'occasion du nouvel an, Charles Maurras, au nom des Comités directeurs de l'Action française, avait adressé à Monseigneur le duc de Guise la lettre suivante 1 :

1er janvier 1926

Monseigneur,

À la fin de l'année qui a vu l'immense deuil 2 autour duquel le Prince a su rallier les espoirs, les conseils directeurs de l'Action française me chargent d'exprimer à Monseigneur les vœux reconnaissants qu'ils forment de tout cœur au seuil de l'année nouvelle.

Ils ne peuvent pas oublier quels soucis, quelles profondes inquiétudes patriotiques se mêlent sans trêve dans la pensée du Prince aux amertumes de son cruel exil. Puissent ces tristesses recevoir, dès aujourd'hui, quelque adoucissement du progrès évident de l'idée monarchique dans le pays ! La France sent de mieux en mieux que la monarchie seule lui ramènera l'ordre et la sécurité, la prospérité et la paix ; que la monarchie seule accordera une juste satisfaction à ces aspirations confuses, à ces désirs mal définis et plus mal contentés qui animent, mais qui agitent et qui dévorent le cœur de ce grand peuple. Après avoir cherché le bien public très loin, on finit par le découvrir où il est : dans la réunion des familles du Pays à sa dynastie fondatrice.

Monseigneur,

Nos espoirs sont en rapport avec bien des événements dont le cours se précipite. Que Monseigneur, Madame, le Prince Henri, que toute la Famille royale daignent donc agréer nos vœux, tels qu'ils sortent des cœurs français ! Que le Prince et tous les Siens, qu'Il a réunis autour de Lui, daignent accueillir sur la terre lointaine 3 un peu de la respectueuse et profonde affection que Ses fidèles élèvent vers le Chef de la grande famille française, vers Celui dont la place est encore vide, hélas ! au foyer de la patrie.

C'est dans ces sentiments qu'au nom de mes collègues et au mien j'adresse au Prince cet hommage et que j'ai l'honneur de me dire, avec le plus profond respect,

de Monseigneur,

le très humble, très fidèle et très dévoué serviteur.

Charles Maurras.

Monseigneur le duc de Guise a daigné faire parvenir à Charles Maurras la réponse qui suit :

Du Maroc, le 8 janvier 1927.

Mon cher Maurras,

Je vous remercie des vœux que vous m'avez adressés. Pour moi et pour les miens, en votre nom et au nom des comités directeurs de l'A. F. je vous exprime ici les souhaits d'heureuse année que nous formons pour, vous et pour vos amis.

Dans l'incessante et violente lutte des partis — sans doute inhérente au régime, mais que je déplore l'A. F. agit en toute liberté, sous sa seule responsabilité. Je prends bien part, néanmoins, à la terrible épreuve qu'elle traverse en ce moment, et dont tant de bons catholiques sont très attristés.

Mais j'ai foi dans un apaisement prochain. Les royalistes, fidèles à leur doctrine traditionnelle, resteront, quoi qu'il arrive, très respectueux de la Religion et de l'Église, tout en gardant en politique, d'où dépend la vie même de la nation, la légitime indépendance qu'en cette matière la Monarchie française eut toujours soin de conserver. Il appartient aux Français d'assurer la sécurité de leurs foyers et de leurs frontières.

J'ai, de plus, la ferme espérance qu'il sera tenu compte des services que vous avez vous-même rendus à la France, et aussi à l'Église, ainsi que l'écrivait tout dernièrement encore un éminent prélat.

Croyez toujours, mon cher Maurras, à mes sentiments affectionnés.

Jean.

I
La lettre de Monseigneur le duc de Guise 4

Bien qu'elle ait été écrite à la veille des dernières nouvelles romaines, la lettre de Monseigneur le duc de Guise affirme une fois de plus les principes directeurs de la politique religieuse française depuis les temps les plus reculés de la monarchie : respect traditionnel de la Religion, de l'Église, légitime indépendance de la politique nationale, c'est-à-dire de la défense des frontières et des foyers.

Grandes tâches distinctes, et qu'il faut maintenir telles ! Mais connexes et complémentaires ! Nous n'avons jamais laissé dire, même à nos spirituels confrères du Rappel, que la tradition de nos rois fût anticléricale. Et si profondément « romaine » qu'ait été notre conscience des bienfaits du Saint-Siège, nous n'avons jamais cru que l'obédience spirituelle du monde catholique fût comparable à un état quelconque d'asservissement ni d'oppression.

Quelque liberté que j'aie moi-même apportée et dû apporter à une défense nécessaire de vérités de fait qui, appartenant au passé, se rient des altérations et des fraudes, on ne m'a pas entendu élever la moindre protestation contre la mise à l'Index de mes livres par le Pape régnant, dans la plénitude du magistère ! Mais à proportion même de leur respect, un nombre croissant de citoyens, catholiques ou non, refuse d'admettre qu'un journal exclusivement politique, dont la politique règle les campagnes et les rubriques, soit frappé d'interdit et de prohibition par le Saint-Siège, sinon pour des motifs de politique pure, laquelle, par définition, et de l'aveu pontifical, est précisément libre de sa juridiction.

Sortir de son terrain, pénétrer sur le terrain politique, essayer d'en chasser les Français, y patronner une politique extérieure dont les Allemands, qu'on le veuille ou non, auront seuls le profit, car Briand et Stresemann seraient ainsi débarrassés de leur principal adversaire français : la manœuvre politique vaut ce qu'elle vaut ; elle peut réussir, elle peut échouer. L'Histoire peut la juger favorable, funeste, ou simplement médiocre : c'est là une de ces nombreuses manœuvres envers lesquelles les politiques français des âges de foi, à commencer par saint Louis et à finir par Richelieu, qui, l'un et l'autre, furent d'Église, ont gardé, de tout temps, une liberté souveraine. Ils étudiaient ces manœuvres avec le profond respect qui ne nous quitte pas. Ils les jugeaient pour y adhérer ou pour les combattre, selon que le leur commandait leur devoir d'état, c'est-à-dire le soin des milliers et des milliers de pauvres familles françaises dont ils avaient la charge et la responsabilité.

Avant 1914, nous avons fait ce que nous avons pu, dans l'ordre des prévisions et des précautions, pour sauver de la catastrophe des centaines de milliers de jeunes Français « couchés, froids et sanglants, sur leur terre mal défendue 5 ». Nous sommes plus puissants qu'en 1914. Nous avons, plus qu'alors, le moyen de parer au retour du malheur. Nous n'avons pas le droit d'épargner rien ni de ménager personne pour remplir ce devoir sacré.

S. É. le cardinal archevêque de Bordeaux n'a rien répondu à mes lettres, mais il s'est répandu en ironies pleines d'agrément sur notre prétention de servir le pays, de le servir au premier rang et de le sauver. Cependant, quand les temps lui semblaient difficiles et que nous le défendions efficacement contre des menaces concrètes, l'éminent auteur de ces ironies pleines de sel était si peu fâché de nous sentir auprès de lui qu'il lui échappait d'établir des comparaisons entre cette plume débile et l'acier d'une épée dans la main de nos combattants. Cette emphase était forte. Cette ironie est déplacée.

II
Démocratie et monarchie

Il est facile de prévoir ce que la belle, juste et sûre affirmation de Monseigneur le duc de Guise fera dire à quelques esprits précipités : le mot de gallicanisme est tout prêt. On le servira chaud.

Il n'y a rien de plus impropre. Le gallicanisme représente une intrusion du temporel dans le spirituel. Il n'a rien de commun avec la juste défense du temporel envahi. Cela est si clair qu'il sera difficile d'y insister.

Tout ce qui réfléchit comprendra, au contraire, ce qu'il y a de modérateur et de pondérateur dans une intervention de ce haut caractère. Bainville a fait observer plusieurs fois combien les démocraties, moins bien organisées pour faire la guerre et pour maintenir la paix, sont plus portées que la monarchie à l'effervescence guerrière, et plus capables de céder à toutes les impulsions d'un égoïsme national sans terme et sans frein. La même remarque se vérifie dans l'ordre des rapports moraux et religieux : à cet égard comme à tous les autres égards, le sentiment d'une foule débridée reconnaît difficilement les limites de la justice et de la raison. Qui dit monarchie dit progrès de la conscience, accroissement de la réflexion, accès de la juste mesure dans le règlement de ces questions hautes et délicates où, la liberté des âmes demeurant sauve, il reste néanmoins que les sentiments les plus nobles des plus dignes personnes morales sont engagés. Si la politique monarchique pouvait être résumée dans une devise, elle tiendrait dans les trois termes de patience, de modération et de fermeté. 6

III
Un casier judiciaire

Les radicaux de la Chambre se sont ouvertement moqués du texte des discours du 1er janvier à l'Élysée, dont les a régalés le professeur Pinard.

Opposons texte à texte, régalons nos lecteurs en leur citant ce qu'il est permis d'appeler le casier judiciaire (politique) d'Aristide Briand :

Voici la circulaire que le ministre de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes, vient d'adresser aux préfets : Paris 17 avril 1906. L'article 41 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, porte que les sommes rendues disponibles chaque année par la suppression du budget des cultes seront réparties entre les communes.

Cette disposition s'inspire d'une double préoccupation. Le législateur a voulu d'abord que la séparation des Églises et de l'État qui est destinée à achever l'œuvre de laïcisation entreprise par la République et à assurer le régime définitif de la liberté de conscience apparût comme une réforme PUREMENT MORALE et qu'elle ne pût passer en aucune manière pour une opération financière combinée en vue de procurer un bénéfice matériel à l'État.

Notons qu'on avait eu le temps de remplir un certain nombre de poches augustes : l'opération financière ne se fit pas en 1906 parce qu'elle était faite depuis 1902.

Autre texte qui se rapporte à la campagne électorale de Briand dans la Loire, en 1906, après le vote de la loi de séparation, et avant que le pape Pie X eût condamné les associations cultuelles :

(Extrait de la Tribune républicaine du mari 25 avril 1906.) — Réunion du 24 au soir, à l'école de la rue des Chappes d'abord, à 9 h 15, à la Bourse du travail ensuite.

L'œuvre démocratique ! — Briand rappelle l'œuvre démocratique des sept dernières années… défense républicaine avec Waldeck-Rousseau et d'Action républicaine avec Combes.

— C'est dans cette dernière période, dit Briand, que je vous ai représentés, et ce n'est pas sans fierté que je peux dire que j'ai travaillé de toutes mes forces à la grande œuvre de laïcité dont la République a le droit de s'enorgueillir (appl. répétés).

Briand montre la tâche accomplie par le ministère Combes :

Il fallait appliquer la loi de 1901 sur les associations. Il fallait dissoudre les congrégations constituées en dehors des lois et contre les lois. Ce fut la première partie de la besogne. Elle n'alla pas sans secousses. Et on eut ce spectacle curieux de voir tous les hypocrites partisans de l'ordre glorifier l'émeute et traîner dans la boue le petit père Combes.

La laïcisation de l'enseignement. — Puis ce fut la dissolution des congrégations. Ce fut une grande œuvre.

Certains peuvent la juger avec scepticisme, mais c'est un langage auquel la classe ouvrière doit rester sourde. Les travailleurs n'ont pas seulement des entrailles ; ils ont un cerveau qui pense et qui doit penser librement.

C'est en affranchissant le peuple de l'oppression qui pèse sur les esprits qu'on donnera à la classe ouvrière toute la force qui lui est nécessaire pour conquérir la place qu'elle doit avoir dans le monde… (appl.)

L'orateur dit que les écoles cléricales ainsi supprimées ont essayé de se reconstituer sous la forme d'écoles libres. Mais il n'est pas téméraire de prévoir que cette tentative sera vaine. Elle sera abandonnée, l'effort étant disproportionné au résultat.

Et bientôt, dit Briand, la République sera maîtresse de l'enseignement. Elle dressera la morale laïque, la morale civique en face de l'enseignement et la morale confessionnels. elle fera des hommes libres pour une grande République (appl. répétés)…

Briand rappelle que lors du vote de l'article 4, il fut comblé d'éloges compromettants. La réaction espérait encore entasser les obstacles qui feraient échec à la loi. Aujourd'hui, l'attitude des cléricaux change. Quant au pape, il n'a pas encore parlé. Il attend l'inspiration non plus du Saint-Esprit, mais du collège électoral. Selon le verdict qu'il rendra, on acceptera ou on repoussera la séparation.

Le fait est que le pape ne s'inclina pas. Pie X excommunia Briand. Briand s'est vengé. Mais patience !

IV
Les réponses à notre appel

L'éternelle abondance des matières nous oblige à reculer encore le compte-rendu détaillé de la souscription. Mais la vérité m'oblige à confesser que mon courrier personnel d'hier contenait un peu plus de 22 000 francs.

Charles Maurras
  1. Les titres I et II du présent article forment la première partie du chapitre huitième de L'Action française et le Vatican, recueil de 1927. Nous reproduisons le texte d'après le journal, en signalant en note les écarts avec le recueil, où l'on trouve le court préambule suivant, lequel remplace tout ce qui, dans notre texte, prend place avant la lettre du duc de Guise :

    Le 12 janvier, L'Action française publiait la lettre que Monseigneur le duc de Guise adressait en réponse aux vœux qui lui avaient été exprimés à l'occasion de la nouvelle année :

    Les notes sont imputables aux éditeurs. [Retour]

  2. Philippe d'Orléans, « Philippe VIII » était mort le 28 mars 1926. [Retour]

  3. La loi d'exil interdisait le séjour en France du prétendant. [Retour]

  4. Le texte du recueil ajoute avant ce titre : « Charles Maurras écrivait au sujet de cette lettre : » [Retour]

  5. Formule de Charles Maurras écrite avant la guerre dans Kiel et Tanger. [Retour]

  6. Ce paragraphe est le dernier de l'article du journal à figurer dans L'Action française et le Vatican, qui ajoute :

    Télégramme de Monseigneur le duc de Guise

    La lettre reproduite ci-dessus avait été écrite par Monseigneur le duc de Guise avant que la nouvelle de la condamnation fût parvenue au Maroc. Aussitôt qu'il en eut connaissance, le prince expédia le télégramme suivant :

    Messieurs Charles Maurras et Léon Daudet,
    à l'Action française, 14, rue de Rome, Paris,

    Du Maroc, le 15 janvier 1927.

    Profondément affecté par la décision qui vous frappe tous deux avec le journal, connaissant votre respect de la religion et votre patriotique dévouement aux intérêts nationaux, je vous assure de toute ma sympathie.

    Jean.

    [Retour]

Article paru dans L'Action française le 12 janvier 1927, repris partiellement dans L'Action française et le Vatican.

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