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Les Humanités vivantes

Il arrive de rencontrer, dans des milieux exceptionnellement élevés, et sur les plus hauts postes, des hommes qui déçoivent. Ils ne manquent ni d'instruction ni, au sens courant, d'éducation. Ils ne s'expriment point mal. Il leur arrive de raisonner droit et de se conduire à peu près bien. Cependant, parfois, ils étonnent par le brusque raccourcissement de leurs vues. On dirait que le présent immédiat colle à leur rétine. Le sentiment des accumulations du passé et celui des reculs mouvants de l'avenir leur sont également étrangers. On leur en parle. Autant chanter ! On essaye de leur indiquer l'importance de choses un peu lointaines, mais visibles, parfois éclatantes, ils en ont à peine l'idée. Et cependant, le courant de leurs propos semble révéler des espaces assez cultivés. On se demande avec une espèce d'angoisse : « Que leur manque-t-il donc ? »

Un homme de beaucoup d'expérience et de jugement me répond :

— Il leur manque d'avoir décliné rosa, la rose.

C'est une explication. S'applique-t-elle à tous les cas ? Il doit y avoir des exceptions de part et d'autre. Des hommes qui ont beaucoup décliné rosa ont pu glisser à l'inertie d'esprit et au machinal. D'autres qui ne l'ont jamais déclinée sont parvenus à boucher ce trou et à le réparer à force d'intelligence et de réflexion. D'ensemble et en moyenne, il faut l'avouer, rien n'est plus apparent que le mal causé par l'absence d'une vraie culture classique. On le voit, on le touche comme un défaut capital, non de l'âme, mais de l'esprit, au point qui sert de guide et de lumière à l'âme.

Je n'ignore aucune des plaisanteries auxquelles ont pu prêter déclinaisons, conjugaisons et pédagogues. Plus on est bel esprit et plus on les ressasse. Des normaliens comme Frary 1 en eurent la spécialité. Leurs insanités, bien alignées, n'empêchent point la langue française d'être une langue aristocratique dont les racines ne sont pas toutes à fleur de sol et tiennent à ses langues-mères. N'importe qui ayant quelques notions du grec et du latin la comprend et la parle mieux pour la simple raison qu'il possède le sens des mots. L'ignorance de cette science élémentaire est peut-être ce qui a fait le plus de dégâts chez les porte-parole politiques et sociaux de ce peuple vif, intelligent, plein d'esprit, mais depuis cent cinquante ans abandonné aux charlatanismes des tribunes foraines ; il suffit de se reporter aux innombrables débats auxquels a donné lieu le mot de « démocratie » devant des publics peu lettrés ou mal lettrés ; autant il y avait de bavards et de scribouillards, autant de sens étaient donnés à un terme qui ne peut vouloir dire que le gouvernement du peuple par le peuple, mais qui en venait à vouloir signifier toutes les formes de l'amour et de la charité ! Un jour, il y a quarante ans et plus, pour apaiser cette querelle, nous nous figurâmes, mon ami Henri Vaugeois et moi, avoir fait une trouvaille sans prix en inventant le mot de « démophilie », qui est l'amour du peuple. C'était clair. C'était net. Les passions et les intérêts étaient trop forts. Ils ne pouvaient pas renoncer à se servir du son des mots dans l'obscurité du langage…

On me dit, non sans raison :

— Vous oubliez les femmes. Comme elles parlent bien ! Combien, parmi elles, écrivent divinement… Et cependant, fort peu d'entre elles se sont mises au latin comme la La Fayette ou la Sévigné…

Il y aurait beaucoup de choses à dire, quelques-unes assez comiques… Depuis que ces dames ont adopté nos gros mots, et que les plus charmantes et les plus gracieuses en usent à tout bout de champ, elles sont bien attrapées et bien penaudes, souvent plus furieuses encore que confuses, quand on se permet de leur en révéler les racines inconvenantes. Informées, elles jurent qu'on ne les y prendra plus. Mais enfin, elles ne savaient pas ! Elles aussi, le mystère de la langue les égarait là-dessus. Pourquoi ne les égare-t-il pas ailleurs ? Et comment se fait-il qu'il ne soit point de langage si vif, si naturel, ni plus juste que celui des Françaises qui n'ont reçu que la formation ordinaire ? Comme elles trouvent toujours le mot propre sans le chercher ! Comme leur vocabulaire est un miracle de pertinence ! Comme leur parole se tient si proche de l'objet qu'il n'y a pas moyen de s'y tromper jamais ! Ce n'est pas seulement parce que le monde où l'on se meut avec elles est justement le leur, celui du sentiment, de la sensation, de la vie courante autant et plus que celui des idées générales. Car, dans ce dernier domaine, bien des équivoques et des contre-sens seraient possibles. Précisément, ils n'y ont pas lieu, en fait. Encore un coup, pourquoi ?

Il faut tenir compte de l'église où elles vont plus que les hommes. L'Église catholique, du moins couramment, ne prie pas en français 2. L'habitude du livre de messe et de ses chants sacrés a plus d'action sur elles qu'on ne le croit. Lorsque leurs yeux agiles vont de la traduction au texte et du texte à la traduction, l'exercice n'est pas sans fruit. Mais la raison essentielle est que la femme tient, de sa nature même, un don de vie intérieure infiniment supérieur au nôtre et qui fait que son usage des mots, sa sensibilité à l'idée, à son rapport avec les choses, sont chez elle l'objet d'une analyse spontanée et perpétuelle, qui se complète, se corrige, se rectifie d'elle-même, sans qu'elle ait à y penser. Le choix, cette partie divine de tous les arts, le goût qui en est la mesure supérieure, la volonté passionnée d'être comprises et d'être entendues, donne au verbe des femmes une vitesse, un vol, une puissance d'expression que le sexe laid n'atteint pas. Restent certaines cimes, les plus difficiles, de l'abstraction. Mais comme, jusqu'ici du moins, les grosses querelles dogmatiques de la cité et de la société ne leur sont déférées qu'au second degré et comme par écho, à leurs titres d'épouses ou de filles, d'amies ou de sœurs, il ne reste guère que deux cas : ou bien les maladresses du vocabulaire viril, effleurant à peine leur véritable vie d'esprit, n'y marquent absolument rien, ou bien leur puissance d'assimilation, qui est immense, intervient aussitôt que l'on sait pour elles, autour d'elles, assez de rosa la rose pour se préserver des confusions courantes. Alors, le bon langage que l'on tient devant elles, elles le parlent mieux que nous.

Cependant, un mouvement très vif s'est fait dans le monde féminin français, et le latinisme les gagne. Partout où ce n'est pas simple bachotage ou pure course aux emplois masculins, le progrès social et moral n'en sera pas nié.

On ne peut comparer cette avance précieuse qu'à celle des instituteurs primaires qui, après de longues années d'une postulance énergique, ont obtenu pour leurs jeunes camarades l'entrée au lycée et l'accès aux Humanités gréco-latines. On a voulu les en détourner en leur disant des bêtises, par l'exemple qu'il suffirait de quelques bonnes listes d'étymologies bien apprises pour leur donner tous les « sens » français qui pouvaient leur manquer. Comme si c'était la question ! Elle serait réglée par les petites feuilles roses de notre Larousse chéri. Mais un ancien instituteur en convient : ce serait de l'instruction, ce ne serait pas de la culture ! La culture classique est un état produit par des habitudes, des mœurs, qui ont lentement imprégné la vie de l'esprit, qui l'ont pétri et repétri, jusqu'au point de lui rendre sensible et vivant le lien qui nous rattache à nos antécesseurs, leur présence au milieu de nous et leur influence sur nous.

Six ans, sept ans, huit ou neuf ans même, passés dans le commerce de la langue, des institutions, de l'histoire et de la pensée des Anciens, ajoutent à la valeur de la fameuse « personne humaine » celle de la civilisation qui l'a formée. Elle y découvre enfin son rang et sa qualité d'héritière. Elle prend conscience et ainsi possession de son patrimoine natal.

Un des effets du romantisme a été la diffamation de l'antiquité, et son opposition au moyen âge, ce qui n'est que folie. Le moyen âge était à l'affût de l'antiquité ; saint Augustin se nourrissait de Platon, saint Thomas d'Aristote, et les plus minces autorités romaines, celle d'Ovide par exemple, y étaient reçues comme des bénédictions de Dieu. Les grands docteurs du XVIe et du XVIIe siècles se gardaient d'opposer l'humanisme à la religion. Ils en cherchaient les harmonies.

Quant aux tares certaines du monde antique, est-ce que le monde moderne s'est regardé ? Et si la vie put être dure en ce temps-là, est-ce que la nôtre, avec ses plaintes séculaires du pauvre laboureur, ses revendications d'ouvriers rationalisés et taylorisés, n'aurait pas de comptes à rendre ?

De maladroites mains ont fait un bloc grossier de tout ce que le monde antique a laissé de choquant, et l'on nous dit : Voilà !… Ainsi, voilà : l'antiquité a méprisé le Travail. Ce n'est cependant pas un poète moderne qui sonna le sublime encouragement :

Labor omnia vincit
improbus
 3

« le travail peut tout surmonter s'il est opiniâtre ». Ce n'est pas non plus un moderne qui a consacré les quatre plus beaux poèmes de toute son œuvre au travail des champs. Il s'appelait Virgile, et ses Géorgiques ne louent pas la fainéantise. Si le travail servile a certainement trouvé sa plus grande efficacité dans la construction des Pyramides d'Égypte, on ne devrait pas oublier que l'Égypte n'est pas la Grèce : l'Acropole de Périclès et son Parthénon sont le fruit du travail d'hommes libres, tout esclave en était exclu. Si le travail antique était noté comme une peine, comment tant de merveilles en sont-elles sorties, depuis les chefs-d'œuvre de la poterie peinte et décorée, jusqu'aux monuments qui allient à la magnificence la plus exquise délicatesse ? Ce qui en reste sous-entend des idées de gloire et d'amour assez claires, assez belles pour ne pas nous laisser piper à des doctrines d'Ostrogoths.

Une page fameuse de Sainte-Beuve, amusante et maligne, interpelle presque nommément ses contemporains. Elle demande à chacun d'eux : Lisez-vous Homère ? Il faudrait interpeller les nôtres sur un autre livre de lecture excellente : Lisez-vous Térence ?

Et s'ils le lisaient, ils y verraient sans embellissement ni satire, une antiquité très vivante, peinte d'après une Athènes revenue des grandes ambitions, mais abandonnée au charme des mœurs les plus humaines. La perfection n'est pas dans l'ordre du monde, mais ses parcelles sont précieuses, et celles-ci sont des plus rares ; que de sentiments exquis, quelle douceur et quelle grâce ! On comprend que nos ancêtres aient été fous de Térence et qu'il ait été pris pour maître par les plus grands : La Fontaine, Racine. Le « stupide XIXe siècle » l'a oublié. Sauf Anatole France et Frédéric Plessis, je n'y vois personne qui l'ait fréquenté. Un poème de Baudelaire : L'Heautontimoroumenos, « l'homme qui se frappe lui-même », qui fut le titre d'une pièce de Térence, a achevé d'en faire oublier jusqu'au sens et au sujet. Cet homme est, dans Térence, un père qui se désole d'avoir été trop sévère pour son enfant, et qui s'inflige les travaux les plus durs afin d'expier son erreur. Je demande si cette idée peut appartenir à une civilisation dénuée de douceur et de charité. Une autre pièce, l'Hécyre, nous présente un type de belle-mère (mais oui, de belle-mère !) dont les bontés raffinées, et envers sa bru, s'il vous plaît, défient toutes comparaisons sur tous les théâtres du monde. On accordera que cela n'a rien de commun avec des combats de gladiateurs. Mais on tient à mêler époques et lieux, choses et gens, pour confondre toutes les idées.

Comme il est naturel, c'est dans l'ordre des arts, plus encore que des mœurs, que les humanités contribuent à perfectionner la vie, l'esprit, la main de l'homme. Les romantiques (eux toujours ! eux partout), croyaient à la supériorité naturelle des ouvrages spontanés, sortis d'esprits incultes, de têtes illettrées. L'expérience des poètes ouvriers ou paysans n'a pas confirmé ce bobard. L'un d'eux pourtant eut du génie. Mais ceux qui l'ont connu, Charles Rieu 4 du Paradou, n'ignorent pas qu'il était nourri de l'humanisme de ce Mistral (que Lamartine seul pouvait prendre pour un berger) et, Rieu s'étant mis en tête de traduire l'Odyssée, il le fit !

Non seulement la Vie avec un grand V n'est pas en opposition avec ce qu'il y a de plus docte et de plus subtil dans les Arts, mais c'est au confluent de leur science et de la vie que tous les chefs-d'œuvre sont nés. Pour en prendre un exemple sur mille, le seul poème valable sorti de nos armées de 14–18 est de Jean-Marc Bernard 5. Jean-Marc Bernard qui était avant la guerre un jeune renaissant de l'école de Moréas, qui savait la leçon des plus grands maîtres, et qui avait écrit de délicieuses odelettes ronsardisantes :

Tristan, verse dans mon verre
La légère
Mousse de ce vin doré…

On admirait ces rimes, on louait ce goût, on les rapprochait des ancêtres de qui ils procédaient. Vint l'épreuve. Vint la tourmente. Eh bien ! quand ce cœur fut brisé, ce fut de cette tête affinée et ainsi prête à traduire toutes les commotions que jaillit le fameux De Profundis si naturel et presque brutal dans sa douleur et son espoir :

Du plus profond de la tranchée
Nous élevons les mains vers vous,
Seigneur…
Éclairez-nous dans ce marasme,
Réconfortez-nous et chassez
L'angoisse des cœurs harassés.
Ah ! rendez-nous l'enthousiasme.

Rien de plus simple, mais il fallait savoir sa langue, son métier, son art sur le bout du doigt.

Autre cas. Nul n'ignore qui est le plus grand, le plus énergique, le plus direct et le plus violent des poètes flétrisseurs et justiciers de la Révolution dite française ? Mais, comme il le dit lui-même, André Chénier avait « douze ans, en secret, dans les doctes vallées, cueilli le poétique miel 6 ». Il vivait de la Grèce antique. L'Anthologie de Brunck 7 ne quittait pas sa table. Il savait du reste par cœur tout ce que les grands poètes de tous les temps avaient pu dire d'hymnes et de chansons. Artiste, théoricien, philosophe, il vivait tous les siècles à la fois. Mais, quand on l'obligea à vivre le sien, qui était ignoble, quand il dut saisir et flageller « les bourreaux barbouilleurs de lois 8 », qui devaient lui répondre en le guillotinant, sa langue, son rythme étaient prêts en même temps que sa foudre et que ses lanières. On sait qu'il y alla sans y mettre de perruque ni de gants. Il resta cependant l'Homéride et le Musagète. Celui de ses poèmes qui abonde le plus en atroces cris de vindicte, celui-là même où fleurit et flamboie le mot que Cambronne ne voulait pas avoir prononcé, commence par ce distique le plus beau peut-être de notre langue :

Diamant ceint d'azur, Paros, œil de la Grèce
De l'onde Égée astre éclatant, 9

et c'était la haute synthèse de tout ce qu'une heure bien moderne lui donnait de poignant, et de tout ce que la plus noble antiquité avait fait chanter sous son noble front !

L'autre jour, j'ai rouvert mon « Virgile », pour y retrouver les premiers mots de l'hexamètre du VIe chant où Anchise loue le très grand Fabius, d'avoir tout sauvé en ne précipitant rien :

Unus qui nobis cunctando restituit rem 10...

Mais en le feuilletant, je ne pus m'empêcher de m'attarder aux premières églogues. Et puis je fus pris, saisi, happé par la première. Quel coup au cœur ! Tous nos malheurs, toutes nos douleurs concordaient et chantaient dans ces vers éternels !

L'émotion des exodes de la Patrie ! leur désordre et leur misère le long des routes ignorées ! les discordes des citoyens ! les moissons gaspillées ou livrées, Barbarus has segetes 11 ! l'hospitalité charitable des simples, consacrée, dominée par un beau cri de gratitude à l'intervention d'un sauveur à demi-divin. Mais vlan ! un petit trait m'arrêta. C'était, en plein sublime, quatre ou cinq vers trop convenus, le retour à un thème usé et banal, que Virgile n'a certainement pas inventé et que des centaines de poètes ont repris après lui ; pour exprimer l'étendue de sa reconnaissance, le poète se déclare tout aussi incapable d'oublier son bienfaiteur que le cerf de voler dans l'air, le poisson de marcher sur la terre, le Parthe de boire dans la Saône, et le Germain de s'abreuver dans le Tigre… Trouver à cet endroit cette variation concédée au goût des écoles, bien qu'en très beaux vers, me fit murmurer et même blasphémer un moment. Mais, un souvenir éclaircit ma mauvaise humeur, je pensai à Mireille 12, et l'ouvris à l'endroit où le toucheur de bœufs, Ourrias, vient faire la cour à la jeune reine du mas des Micocoules. Comme elle est déjà amoureuse de son beau Vincent, elle se défend. D'abord à mots couverts. Comme Ourrias vante sa Camargue :

— Jeune homme, répond-elle, au pays des bœufs, les jeunes filles meurent d'ennui.

— Belle, quand on est deux, il n'est pas d'ennui, répond-il.

Mais elle :

— Jeune homme, qui s'aventure dans ces contrées lointaines boit, dit-on, une eau amère et le soleil lui brûle le visage.

— Non, belle, sous les pins vous vous étendrez à l'ombre.

— Oui, mais vous avez des serpents…

— Ils sont mangés par nos flamants et par nos hérons, répond le prétendant tenace.

Elle n'y tient plus.

— Jeune homme, écoutez, que je vous interrompe, ils sont trop loin de vos pins mes micocouliers.

Il ose une impertinence :

— Belle, prêtres et jeunes filles, dit le proverbe, ne savent jamais où ils iront un jour manger leur pain.

Ce coup de fatuité la fâche :

— Pourvu que je le mange avec celui que j'aime, jeune homme, je ne souhaite rien de plus, pour me sevrer de mon nid.

Enhardi par l'échec certain, l'autre va tout prétendre :

— Belle, s'il en est ainsi, donnez-moi votre amour.

Alors, Mireille lance le cri de son cœur :

— Jeune homme, vous l'aurez, mais auparavant ces nénuphars porteront des raisins, auparavant votre trident jettera des fleurs, ces collines s'amolliront comme de la cire, et l'on ira par mer à la ville des Baux.

Le poète n'a même pas à dire qu'Ourrias s'en alla sans demander son reste. Tant le congé est bien donné ! Tant le thème scolaire est vert et vif, agissant, dramatique, comme au temps du premier qui l'avait inventé, Homère, ou quelqu'un d'avant lui.

Il est difficile de penser qu'en faisant chanter à Mireille ses terribles « auparavant », Mistral n'ait pas songé à Virgile. Rien n'autorise à penser qu'il eût écrit ces vers sans le souvenir du Parthe, du Germain, des cerfs et des poissons virgiliens. Mais sa pensée ne faisait qu'une avec la pensée de Virgile, et, de Virgile, le bon, le moins bon, le meilleur vivant en lui, la double alchimie du génie et de l'art lui tirait naturellement, de ce vaste fond rassemblé, l'élément de trésors nouveaux ou de trésors anciens dont il multipliait la valeur.

Les humanités sont un héritage. Plus l'héritier vaut, mieux il le fait valoir. Un bien si magnifique ne peut être refusé que par des pauvres d'esprit qui tiennent à leur pauvreté.

Charles Maurras
  1. Raoul Frary (1842–1892), agrégé de lettres et journaliste, fut l'un des principaux adversaires de l'enseignement du latin dans les collèges. Le titre de son ouvrage La Question du latin, paru en 1885, fut repris l'année suivante par Guy de Maupassant pour une nouvelle dans laquelle il met en scène un professeur de latin qui se reconvertit dans l'épicerie.

    Les notes sont imputables aux éditeurs. [Retour]

  2. Rappelons que ce texte date de 1943, vingt ans avant Vatican II. L'édition de 1968 le précise également, alors que l'abandon du latin dans la messe était encore chose toute récente. [Retour]

  3. Locution latine tirée des Géorgiques de Virgile, I, 145–146. [Retour]

  4. Charloun Rieu (1846–1924), poète provençal, ami de Mistral, qui vécut toute sa vie durant au village du Paradou. [Retour]

  5. Tué au front le 4 juillet 1915. [Retour]

  6. Iambes, « Sa langue est un fer chaud ». [Retour]

  7. Richard François Philippe Brunck (1729–1803), érudit qui publia entre 1772 et 1776 une monumentale anthologie de textes grecs anciens. [Retour]

  8. Dernières Poésies, « Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre ». [Retour]

  9. Iambes, « Ils croyaient se cacher dans leur bassesse obscure ». [Retour]

  10. « Lui seul, en temporisant, a restauré pour nous l'État » : Fabius Maximus Cunctator (le Temporisateur), après le désastre du lac Trasimène, décida de ne rien précipiter et de rétablir le bon fonctionnement des institutions, préparant ainsi la revanche de Rome sur Hannibal. Virgile reprend à un mot près un vers d'Ennius, également repris par Cicéron, et cité ensuite par de nombreux auteurs, tant cet épisode a marqué l'histoire romaine. [Retour]

  11. « Un étranger [possédera] ces emblavures ! » Virgile, Bucoliques, I, 71. [Retour]

  12. L'œuvre de Frédéric Mistral. [Retour]

Article paru dans Candide le 3 novembre 1943.

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