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L'Exode moral
28 mars 1911

Donc, selon notre loi, pour la question juive comme pour les autres questions, nous disons : politique d'abord. Et pour apprécier, juger et régler le compte de la juiverie, nous commençons par séparer la juiverie de l'État. Car nous n'avons pas la simplicité d'espérer que M. le substitut Seligmann défère au tribunal de M. le président Dreyfus, flanqué de M. le vice-président Katz, cet immense litige soulevé entre la nation française et ce peuple dont MM. Seligmann, Dreyfus et Katz sont les plus solides piliers. Nous leur éviterons l'ennui d'être juges et partie dans une cause. Rendus à l'indépendance de la vie privée, si leur passé public ne leur reproche rien, ils n'auront rien non plus à redouter de l'avenir : la France est généreuse et ne s'attarde pas sur l'ennemi vaincu.

Tout de même, ce sera un beau branle-bas quand tous les Juifs d'administration civile ou militaire devront, en recouvrant leur nationalité, dire adieu à la nôtre et quitter le poste public qu'ils occupaient dans notre État ! La masse, qui ne voit que l'ensemble des choses ou leurs points culminants, et qui a d'ailleurs grandement raison de s'en tenir là, ne retient guère de notre pénétration pacifique par le peuple juif que le scandale de la nomination de Mardochée Valabrègue 1 au commandement de Rouen, mais il y a deux autres Valabrègue dans notre corps d'officiers, il y a trente-six Dreyfus, Dreyfuss ou Dreyfous, il y a six Lippmann, sept Klotz, dix Aron, onze Koch ou Kock ; il y a jusqu'à cent Lévi ou Lévy et vingt-sept Cahen, Kohn ou Kahn ou Kaan. Donc, à l'heure où les plumes blanches s'envoleront du bicorne de Mardochée, des centaines d'épées et de sabres tomberont en sonnant, sur la terre de la patrie et, vraiment, cette opération de vérité et de justice, quelle qu'excellente et nécessaire qu'elle soit dans son principe et dans sa fin, ne laissera pas de serrer plus d'un cœur français. Oui, oui, mieux aurait valu qu'il en fût autrement et que les Juifs émancipés sous le règne nominal de Louis XVI et au nom des idées de la Révolution eussent pris le parti de se fondre dans notre ensemble ou, tout au moins, se fussent gardés de la folle ambition de conquérir ! S'il n'eussent pas été perdus par l'esprit de l'outrance, ces orientaux ne nous auraient pas acculés à leur imposer ce nouvel exode moral.

La solution peut paraître dure, mais étant générale et impersonnelle, elle économise la multitude des griefs individuels ; elle évite toute injustice particulière. Nos bons Juifs ne peuvent même dire qu'ils paient pour les mauvais, puisque la loi nouvelle ne leur reprochera aucunement d'être mauvais : elle se bornera à constater qu'ils sont Juifs, non des Français, et leur restituera leur titre véritable. Il n'y a pas le moindre déshonneur à être Prussien ou Turc. Mais il resterait toujours désavantageux pour la France de compter pour Français des Turcs ou des Prussiens.

De même est évitée ou, si l'on veut, tournée, l'irritante question du patriotisme de Jacob ou de Samuel, Jacob et Samuel ayant la manie de faire valoir la solidité de leur fibre patriotique. Le je suis aussi patriote que vous ou j'ai plus de raisons que vous d'être patriote abonde sur les lèvres de nos doubles français. Eh ! il ne s'agit pas de patriotisme, il s'agit de nationalité. Que les Juifs soient un peuple, que leur profonde solidarité ethnique soit éclatante, que la désorganisation de la société française leur ait permis d'établir leur règne au-dessus de notre république et de notre démocratie, que la centralisation financière, défendue par la centralisation administrative et politique, soit aujourd'hui leur principal instrument de règne, ce sont des vérités que tout établit ou confirme. Sous des ministres prête-noms, Mardochée Valabrègue règne sur l'armée, Grunebaum-Ballin 2 légifère sur les églises, Joseph Reinach 3, même turlupiné par les Chambres, est maître du gouvernement. Ce sont ces règnes-là qui doivent commencer par finir, si l'on veut que le reste prenne fin et si l'on tient à voir le terme des influences de Rothschild sur la finance ou d'Arthur Meyer 4 sur la presse. Il y a des coupables et des innocents, là comme partout ; mais avant d'en venir aux distributions juridiques, appliquons-nous à rendre la justice possible. Ôtons de la France civique et politique les gens qui ne sont pas de notre cité. Dira-t-on qu'ils ont fait des frais pour la France ? Ou que la France a pris des engagements envers eux ? Mais elle a pris des engagements avec les rentiers, et cela n'a jamais empêché les conversions de la rente. Quelque grand frais qu'un homme ait pu faire pour sa maison, on ne se prive pas de l'exproprier pour l'utilité publique. La procédure d'indemnité n'existe pas pour rien, et les écumeurs d'Israël, appréhendés par une police impartiale et nationale, traités selon les règles de l'usage historique et du droit commun, fourniront largement aux indemnités légitimes.

Ainsi la solution que Gustave Théry 5 appelle un maximum est celle qui produit le minimum de peines. Qu'il y ait des froissements malgré tout, c'est chose inévitable inhérente à l'imperfection de l'humanité. N'étant point charlatans nous l'avouons avec une extrême clarté. Pour moi, je ne songe pas sans pitié à l'histoire de ce pauvre petit lieutenant, Cahn, aujourd'hui capitaine, et dont la conduite fut si bonne au moment de l'affaire Dreyfus. Nous en verrez le récit page 245 du Précis de l'Affaire Dreyfus de Dutrait-Crozon 6. Le grand rabbin l'avait fait venir pour lui demander au nom « d'une tierce personne qu'il ne pouvait nommer » et à titre de renseignement confidentiel, si Esterhazy était allé aux manœuvres d'automne de 1894. Le lieutenant Cahn refusa de répondre et en rendit compte à son colonel. Il a porté depuis douze ans le poids de cette faute. Chaque valet de Juifs le lui a fait sentir, le lieutenant de Boisfleury à raconté ici dans quelles circonstances véritablement pathétiques ! Comme le capitaine Cahn est au-dessus des flatteries et des compliments, je ne lui dirai pas qu'il s'était conduit en Français, car il n'était pas plus Français qu'un nègre n'est blanc. Mais c'était un soldat et c'était un homme. Le jour où l'on rendra Israël à ses lois, je prierai le capitaine Cahn de recevoir avec mes condoléances un salut d'estime et de respect. Son départ nous causera une peine sensible et nous donnerons cours aux regrets de notre bon cœur. Mais la raison qui sépara Tite de Bérénice ne peut être étrangère aux relations de l'État français et du capitaine Cahn. Avant que d'être bonne et généreuse, il faut bien que la France soit.

Ainsi je prévois et calcule les petits dommages et les cuisants ennuis qui accompagneront la rentrée des Français dans la vieille maison qu'on leur a volée. Mais ce retour au droit s'accompagne aussi d'avantages occasionnels dont aucun esprit politique ne peut se désintéresser. Israël, en quittant notre cité française, créera des centaines et des milliers de vides dans les emplois publics. Ces vacances précieuses tombent d'autant plus à propos qu'il est question et qu'il est besoin de diminuer le nombre des fonctionnaires, d'alléger le personnel de nos administrations. On se demandait comment faire ? Eh ! bien, l'allégement et la diminution se produisent ici à point nommé. Un gouvernement sérieux, animé de vues d'ensemble et résolu à les réaliser, pourra saisir au vol ce moyen d'opérer des réformes sans léser nulle part ni en rien aucun citoyen français, et même en les intéressant en grand nombre au succès de cette opération délicate : un « mouvement » bien fait, je veux dire fait avec un profond scrupule de justice, attentif à respecter toutes les règles de l'avancement, n'introduisant aucune créature du pouvoir, récompensant les mérites, les talents, les services, permettra de bien pourvoir les fonctions nécessaires en supprimant les autres à la satisfaction commune des fonctionnaires, des contribuables et de l'État. On serrerait les rangs en faisant avancer ; on supprimerait par en bas. Dans l'ordre judiciaire, pour ne citer qu'un exemple, un immense progrès serait accompli de ce chef et la diminution du nombre des officiers de justice, avocats, avoués et autre, en leur offrant plus de besogne, rendrait enfin possible la réduction de leurs frais, qui sont une des grandes hontes de notre pays.

De façon générale, à tous les degrés de fonctionnariat, et aussi dans ces professions libérales dont le statut exige la nationalité française des exerçants, la carrière serait désencombrée, la voie déblayée, et les débouchés naturels se rouvriraient à la jeunesse des classes moyennes. Pendant ce temps, le peuple des villes et des campagnes recevrait, tant en espèces qu'en nature, sous forme de patrimoine corporatif ou de communaux et pour ses caisses de retraites régionales et professionnelles, une juste part du produit des restitutions imposées à la juiverie spéculatrice. Par conséquent, à notre libération nationale et sociale s'ajouterait un ensemble de mouvements à la faveur desquelles la France entière avancerait, gagnerait et prospérerait. Suivant une des plus pénétrantes vues de Drumont 7, cet antisémitisme que quelques-uns s'obstinent à considérer comme un nid de difficulté comporte donc, avec la solution de la question juive, des adjuvants et des commodités de toutes sortes aussitôt qu'on aura la volonté de s'y attaquer. Loin d'être une charge pour un gouvernement nouveau, ces idées, ce programme lui procurent, avec la popularité et l'enthousiasme public, l'instrument du progrès et le moyen de la paix intérieure. Il le met sur la voie des économies et des réformes : il lui fournit enfin des places et de l'or. Tout cela sans l'ombre d'oppression pour les consciences, sans le soupçon d'aucune atteinte à la liberté d'opinion ! Quelle guerre européenne ou coloniale, quel voyage des Argonautes et quelle croisade à Golconde aurait organisé ainsi à ce degré l'accord de la Nation et l'accroissement des ressources de l'État ? Tout paraît impossible ou affreusement difficile sans cette providence de l'antisémitisme. Par elle, tout s'arrange, s'aplanit et se simplifie. Si l'on n'était antisémite par volonté patriotique, on le deviendrait par simple sentiment de l'opportunité.

Charles Maurras
  1. Né à Carpentras en 1852, Mardochée-Georges Valabrègue fait une brillante carrière militaire avant de devenir en 1904, alors que l'affaire Dreyfus bat encore son plein, chef de cabinet du très dreyfusien général André. De grandes discussions eurent lieu à son propos entre ceux qui faisaient valoir ses états de service pour expliquer cette promotion politique et ceux qui préféraient l'attribuer à son implication dans la défense de Dreyfus.

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  2. Paul Grunebaum-Ballin (1871–1969), chef de cabinet d'Aristide Briand en 1904, nommé en 1911 président du Conseil du département de la Seine. Il contribuera ensuite aux lois sociales du Front populaire, et sera, avant comme après la Seconde Guerre mondiale, le principal instigateur des programmes de H. L. M. [Retour]

  3. Joseph Reinach (1856–1921) journaliste et homme politique fortement engagé pour Alfred Dreyfus, il fut l'une des cibles principales des anti-dreyfusards. [Retour]

  4. Arthur Meyer (1844–1924), directeur du Gaulois, grand journal conservateur de la bonne société qui se voulait royaliste mais refusait toute remise en cause de l'ordre. Meyer était juif, mais s'était converti au catholicisme en 1901 et faisait depuis preuve d'un antisémitisme certain. [Retour]

  5. Gustave Théry (1836–1928), avocat, originaire d'une famille légitimiste du Nord et défenseur du « catholicisme intégral ». C'est surtout avant guerre qu'il est une figure de l'Action française. [Retour]

  6. Jules Cahn, l'épisode est brièvement mentionné page 204 de l'édition du Précis de Dutrait-Crozon à la Nouvelle Librairie nationale en 1924. [Retour]

  7. Édouard Drumont (1844–1917), journaliste, écrivain et homme politique. C'est lui qui dénonça le scandale de Panama. Il reste surtout connu et cité comme le principal théoricien et propagandiste de l'antisémitisme sous la troisième République. [Retour]

Article paru dans L'Action française le 28 mars 1911.

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