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La Querelle du peuplier

Note des éditeurs :

En 1903, André Gide réunit divers articles anciens dans un volume intitulé Prétextes. Y figurait notamment son article de 1897 rendant compte des Déracinés de Barrès, augmenté d'une note visant directement Charles Maurras.
À ce dernier qui, soutenant la thèse barrésienne de l'enracinement, se demandait « à quel moment un peuplier, si haut qu'il s'élève, peut être contraint au déracinement ? », Gide fit observer que le peuplier en question avait dû faire l'objet de plusieurs transplantations et que, loin de nuire à son développement, le déracinement était au contraire utile à sa bonne croissance.
Maurras répondit dans la Gazette de France, nourrissant une controverse connue depuis sous le nom de Querelle du peuplier, où intervinrent ensuite divers auteurs dans plusieurs revues françaises ou étrangères : Remy de Gourmont, le baron de Beaucorps, Eugène Rouart, Christian Beck, Marc Lafargue, Émile Faguet…
Les Deux Patries est daté du 11 janvier 1903 et La Querelle du peuplier du 14 septembre de la même année. Ces textes ont ensuite été repris et remaniés, dans L'Étang de Berre en particulier.
La réponse d'André Gide à Charles Maurras est, elle, parue dans L'Ermitage de novembre 1903.
Quelques corrections ont été apportées au texte quand il était évidemment fautif, des mots illisibles dans l'exemplaire numérisé consulté ont été repris de L'Étang de Berre, ils sont signalés entre crochets.

Les Deux Patries

M. André Gide a publié le mois dernier, dans L'Occident, quelques notes d'un intérêt très général, sur les conditions de ses origines personnelles. Né en Normandie d’un père languedocien et d'une mère neustrienne, il a essayé de donner à ses lecteurs une idée approximative de ce qu'il éprouvait de la double influence. En quoi le ciel natal et la terre natale l'avaient-ils prédéterminé ? Mais ayant passé son enfance et quelque temps de sa jeunesse en Languedoc, en quoi ce séjour avait-il accentué les dépôts de son ascendance languedocienne ? Le problème indiqué pour le talent particulier de M. André Gide n'est pas indifférent ; j'aurai peut-être occasion de revenir, ces temps prochains, au jeune auteur du Roi Candaule et de L’Immoraliste. Mais il faut prendre garde que le cas n'est pas unique ; étant, il est vrai, très fréquent, les effets en sont aussi divers qu'il comporte lui-même de solutions et d'appréciations distinctes.

Le père de Chénier était languedocien, de la noble ville de Carcassonne. Sa mère était de race grecque. Lui-même divisa ses jeunes années entre les campagnes du Languedoc et les rues de Paris. Que lui est-il resté du triple élément ? Renan expliquait son penchant à la rêverie par ses origines et par sa naissance bretonnes ; quant à son ironie, elle lui paraissait l'héritage gascon qu'il tenait du sang maternel. Maurice Barrès est né en Lorraine, de mère Lorraine : voilà pour le goût précis des réalités et le don de caricatures. Mais les Barrès viennent de Haute-Loire, des pentes du massif central, le pays des Pascal, forte race passionnée et spéculative. Anatole France, né à Paris d'un Parisien, tire, je crois, son extraction grand'maternelle des campagnes du Maine et de l’Anjou ; son œuvre délicate offre aux nymphes de Seine je ne sais quoi de gai, de luxuriant, d’opulent, comme un ressouvenir des paysages de la Loire ; elle est seizième siècle, en même temps que dix-septième ; elle paraît Valois presque autant que Bourbon. Je dirai quelque jour ce qu'il y a de provençal et ce qu’il y a de celtique dans l'œuvre, si curieuse, de M. Frédéric Plessis 1, ce latin de Bretagne et ce breton classique. Qu'il écrive en vers ou en prose, qu’il mesure les fines cadences de Vesper ou compose les fermes moralités du Chemin moulant, ses livres restent marqués de la double griffe, pensée et rêverie, romantisme natif et classicisme héréditaire. Réussirai-je à l'expliquer à ce latiniste éminent ? dans l'idée même qu'il se fait de la force romaine, il y a du génie breton.

Il est inutile de dire que l'on ne prétend pas tout expliquer, tout dévider de ce fait de double origine, chez des esprits si différents les uns des autres et eux-mêmes si variés. Aux explications monistiques du monde, aux plus ingénieuses réductions unitaires qui se doivent jamais tenter, l’on peut toujours répondre, comme dans Hamlet, qu'il y a beaucoup plus de choses dans l'univers que n'en soupçonnera notre humaine sagesse. Mais cette sagesse elle-même est un élément du mystère universel et elle contribue à la merveille immense. Notre monde serait-il monde, s'il se diminuait de la réflexion des humains ? Elle laisse sans doute beaucoup de faits puissants dans l'ombre. Mais ceux qu'elle enveloppe dans les réseaux de sa lumière, pour les présenter en bon ordre, aident à deviner le reste et le font paraître meilleur.

… C'est en remuant ces pensées ou ces songeries, pour mieux dire, que je relisais de mémoire l'article de M. Gide. Une admirable journée d'hiver venait de s'éteindre. Le foyer de sarments et de ceps s'allumait à peine ; il n’avait fait ni vent, ni froid, ni humidité : non pas même légère. Sous le ciel ondoyé de douces vapeurs, l'air était resté sec comme aux plus beaux jours de l'été, l'allumage du feu au tomber de la nuit n'avait que la valeur d'un rite de famille, peut-être destiné à activer le cours de la méditation et à fixer les yeux, depuis que, dans les vitrages de la croisée, le ciel occidental avait laissé mourir ses dernières bandes rougeâtres. Le jeu du bois incandescent, des charbons dévorés, de la cendre, de la flamme et de la fumée avive plus qu’on ne peut dire nos secrètes activités.

Les premières minutes que je passai ainsi furent surtout données à jouir de la surprise extrême que me cause, depuis dix beaux jours, mon pays. Ce coin de la Provence palustre et maritime, il y a peut-être quinze ans, et davantage, que je ne l'avais vu (ou si bien vu) à cette époque des calendes d'hiver où toute lumière renaît. À mes plaisirs d'admiration, il s'est mêlé une joie de saisissement. L'année dernière, sur les pentes toujours fleuries de Tamaris 2 le nouveau regard entr’ouvert de mimosas fut d'un grand charme. Mais je n'y trouvais rien que d'ordinaire, de prévu et de naturel. Les vastes abris de rocher qui dominent la région toulonnaise et la suite de la Rivière forment les vallons et les plaines en véritables serres et en jardins d'hiver. Mais quoi de plus démuni que l'étang de Berre et de plus exposé aux rafales du nord-ouest ? Nos plateaux, nos collines sont trop peu élevés et percés de trop de couloirs pour déterminer aucun abri important. Une terrasse, un mur, une niche de quelques pieds de hauteur, ce sont bien nos seules ressources aussitôt que descend des Cévennes un flot d’air glacé. Cette année, il n’en descend point. Une [fine] atmosphère dont on n’ose exactement dire qu’elle est tiède, enveloppe les sens qui se tiennent à l'ombre. S’ils vont au soleil, l’astre oblique les contraint à se dépouiller. Il fait véritablement chaud et cette chaleur pénétrante forme un contraste singulier avec la discrétion, la pâleur, les nuances de la lumière au ciel, qui semble traverser une phase de maladie.

Quelle est jolie, ainsi ! Quelle grâce elle ajoute au sévère dessin du pays ! Ce que j’en éprouve ne peut être senti que par comparaison. Imaginez le plus beau visage, mais de lignes un peu trop sèches, trop fines, trop aiguisées et dont c'est le défaut peut-être, défaut divin, d'exprimer trop vivement les saillies de l'esprit, les traits de l'ironie et les divinations de l’intelligence. [Il faut donc qu'une peine, presque une larme,] un rapide nuage de mélancolie le traverse et, pour un instant, brouille ces beaux feux toujours pétillants : la langueur, la mollesse de la lumière ainsi voilée donne à un tel visage sa perfection, celle-là même qu'on n’osait désirer pour lui, car il en semblait incapable et paraissait même devoir s’en passer à jamais. Tel, dans nos clairs parages, ce ciel d'hiver, tout tempéré, tout attendri par l'écharpe de brume qui s'envole des eaux et qui vient y flotter. Plus de verts, ni de roses, plus de lilas : le glauque, l'améthyste, l’aurore se diluent à l'infini dans un air diaphane, qu'il faut dire couleur de fleur, je ne trouve point d'autres mots.

Détachez là-dedans d'élégantes masses d’arbustes, des rivages courbés avec une grâce hardie et ces tendres collines en forme de mamelle, pleines de cyprès et de pins. Les vapeurs montent en colonnettes légères ou rampent longuement sur le flanc des petites hauteurs prochaines ; mais l'horizon, montagnes ou rivage, montagnes teintes de safran et qui feraient hennir les cavales de Darius, rivages éloignés du désert de Camargue où roule un soleil pourpre sombre, l'horizon trace un cadre d'une pureté magnifique à ces beautés que l’incertitude ennoblit. Tous les bords de la vasque sont dorés et définis par un jour d’été ; au creux approfondi, les vapeurs, les tristesses, les cendres automnales d'un Élysée. Mais ce n'est point [le pas des sages que j'écoute venir. La voix de la sirène aura frissonné doucement et peut-être ai-je déjà vu émerger sa tête brumeuse.]

… Avons-nous deux patries, ou trois, ou quatre en une seule ? Car la mienne, qui tient en quelques lieues carrées est bien profondément variée, changeante et complexe ! À la moindre pente gravie, tout l'aspect est renouvelé. Je pense que M. André Gide est un bien honnête homme de se contenter, comme il fait, d'une double patrie. La mienne vient de me montrer, dans son temps de Noël, une de ces têtes divines que les Germains océaniques voyaient au couchant de leur mer, comme le raconte Tacite 3 ! Je tiens de Barrès qu'il y a des rapports entre nos plus pauvres quartiers et ce que l'on rencontre à Murano et à Ghioggia, faubourgs de Venise ; mais pourquoi cette lumière d'aquarium, ces étangs, ces quais et ces canaux morts ne me mèneraient-ils à quelque bourgade des Flandres ? Quelque chose me parle aussi, à des égards tout autres et tout aussi réels, des beaux lacs du nord-italien. Quand l’évêque Augustin rencontra, sur le sable, le petit enfant qui voulait, avec sa coquille, épuiser l'abîme des mers : — Quelle folie, gémit le saint. L'Océan dans ta pauvre conque ! — La folie de tout homme, hélas ! lui répondit, je crois, le petit enfant. N'est-ce pas notre univers entier qu'aspire le misérable souffle d’une âme ?

Si j'ai un peu modifié l'histoire augustinienne 4, on voudra bien me le pardonner. Je ne suis d'ailleurs pas très sûr de la justesse de mon interprétation. Si médiocre, si commune que soit notre âme, elle se découvre parfois et tout d’un coup des étendues ou des profondeurs sur lesquelles l'habitude avait fait la nuit. En continuant de songer au coin de notre feu aux deux patries de M. Gide, il m'est souvenu en effet que, par delà la complexité de la terre natale, une autre patrie, celle des origines paternelles me ferait pénétrer dans un nouveau monde. Elle n’est pas très loin d'ici. Dix lieues au plus, et c'est toutefois un pays aussi différent que possible de celui-ci. M. André Gide parlait de Normandie ? C’en est une, en pleine Provence. Elle est composée de prairies, de chaque côté du petit fleuve d'Huveaune, qui descend de la Sainte-Baume, vert rouleau de pelouse étoilé de marguerites et de boutons d’or, planté de gros pommiers, arrosé d'une eau toujours fraîche, que de hautes futaies accompagnent jusqu'à la mer. De grands ifs, des peupliers robustes, des houx, des noisetiers, des sureaux, des osiers, des tilleuls odoriférants, tous les arbres du Nord et de l'Ouest, ceux que l'on voit se dépouiller aux mois d’hiver, mais fleurir et prendre leurs feuilles à la belle saison, sortent d’une terre abondante, dénuée de légèreté ; sans doute le cyprès, l'olivier et le pin dressent, non loin, sur les coteaux, leur ferme stature éternelle, entre les bouquets de câpriers qu'on couvre de terre au temps froid. Mais le fond de cette vallée veut ignorer tout l'ordinaire des végétations provençales ; la race ingénieuse, active, mais d'un réalisme effrayant, montre des goûts et des besoins, qui passent le niveau de la commune frugalité. Je ne peux m’empêcher de me représenter ces âpres terriens comme le vivant repoussoir de nos matelots : je les vois étendus sur leur pré d’émeraude, en train d'éventrer la pastèque ou de boire d'un incomparable muscat, figues, jujubes et azeroles, pommes, pêches et poires ventrues jonchant la nappe et le tapis que l'on étend sur l'herbe pêle-mêle avec les sucreries et les salaisons. Simples goûters, au reste; mais dans leur repas de moisson, tous les animaux concevables sont mis à toute sauce et largement arrosés de tous les alcools. Pauvre paysan, pauvre pêcheur de mon Martigue, rassasié de ta demi-douzaine d'olives et d'un peu de pain frotté d'ail ou de quelques anchois marinés de saumure, comme l'idée de tels festins me rapproche de toi ! Mais ce Gargantua ne m'est pourtant pas étranger, et le sourire qu’il me donne ne saurait mépriser le bord où les pères des pères de mes pères ont vécu. Je ne puis oublier ni ce lit de verdure ni cet arceau de fleurs, de ma petite enfance, et je m'en sens embarrassé à peu près comme M. Gide de celle de ses deux patries qui lui est la moins chère.

Je revois une côte de ma Normandie provençale qui porte le caveau où gisent les morts de mon nom. Elle est si clairement exposée au soleil que tout y paraît blanc et or, on n’y respire que l’odeur de la menthe sauvage ou celle du thym, et les touffes de lauriers-rose y sont presque toujours en fleurs. Je connais peu de lieux au monde plus avenants, plus propres, mieux faits pour nous donner à sentir tout le prix du sommeil éternel. Pourtant jamais l’idée ne m’est venue de venir reposer sous ces pierres blanches. Mais un vaste plateau bien nu, bien tourmenté par le fléau de chaque vent qui passe, complanté de ces longues tiges amères que le vent salin corrode, que la brume pourrit avant que le soleil les tue, ce cimetière populeux et décoré pourtant d'édicules doriques dont la pierre fauve joue mal les marbres athéniens, le pas des pêcheurs graves, celui des rustiques timides, l’illumination annuelle la nuit qui précéda le jour des Morts, un certain plain-chant que je connais bien aux cérémonies mortuaires, des rites, tels et tels, dont le manque m'affligerait, tous ces signes, d'autres encore, qu’il est importun de noter, me déclarent où il convient que je fixe mon lit funèbre : non, il est vrai, par élection délibérée, mais par une nécessité dérivant de l'ensemble de tout ce que j'aime et je suis.

M. André Gide a-t-il fait ce choix de la place où il dormira ? Cette option de sépulture pourra le renseigner sur sa véritable patrie.

La Querelle du peuplier

Dans un petit livre, Prétextes, qui vient de paraître à la libraire du Mercure de France, M. André Gide, fait une objection grave à la doctrine régionaliste de « l’enracinement » :

« Né à Paris d'un père Uzétien et d'une mère Normande, où voulez-vous, Monsieur Barrès, que je m’enracine ? »

Ces deux lignes rappellent la célèbre entrevue du Phoque et du roi Salomon.

On n’a pas oublié que ce monarque hébreu fut le premier naturaliste de son temps et de son pays. Il venait de classer le bétail de la création : celui qui se cache sous l’onde, celui qui vole dans les airs, celui qui s'appuie sur la terre. Le Phoque se fit annoncer et, parvenu aux pieds du trône, laissa voir au fond de ses yeux l'expression d'une dignité si blessée et d'un désespoir si honnête, que toutes les certitudes du roi Salomon furent ébranlées. L'animal pathétique, plus profond, plus sommaire encore que ne devait l'être de nos jours M. André Gide ne dit que deux mots :

— Et moi ?

Il voulait dire :

— Je peux descendre sous les eaux et presser le sol de la terre : où voulez-vous, roi Salomon, que je m'aille coucher ?

L'histoire impartiale ajoute que l'objection porta. C'est à la requête du Phoque que le roi Salomon ouvrit dans ses vitrines une classe nouvelle pour les bêtes qui vivent dans deux éléments à la fois, celle-là même que les Grecs ont nommée depuis amphibie.

M. Barrès aura-t-il l'esprit de justice du roi Salomon ? Allons-nous voir formuler par l'auteur des Déracinés un système de provincialisme amphibie qui réponde aux revendications de M. André Gide ? M. Gide ayant dit : Et moi ? il est certain qu'il faut combler ce vœu particulier ou renoncer à toute science générale.

À la vérité, sans chercher infiniment, on trouverait dans l'œuvre de M. Maurice Barrès, à la fin d’Amori et dolori sacrum par exemple, un moyen d’obtenir la résolution d'un problème qui n'effraya jamais que M. André Gide. Les angoisses du Phoque sont bien prévues dans Amori, et l'on y voit comment deux départements aussi éloignés que la Meurthe-et-Moselle et la Haute-Loire peuvent avoir coopéré à la genèse d'un Français soigneux de toutes ses racines. La lecture de ce chapitre enlèverait à M. Gide le plus délicat et le plus subtil de ses doutes sur le sujet.

Mais il en serait bien fâché. L'auteur de Prétextes est un de ces précieux qui deviennent malades dès qu’il leur faut renoncer aux mélancolies qu'ils ont élaborées à la sueur de leur front. L'intelligence saine cherche dans l’affirmation non seulement le pain quotidien mais ses plus chères friandises. L’esprit de M. Gide ne se plaît qu’à douter de ce qui est clair ou facile à élucider. Ainsi les enfants soufflent sur le verre des lampes pour y faire de la buée : mais la flamme a vite fondu ces vapeurs inutiles.

Puisque M. Gide cherche où se « raciner », je m'en vais le lui dire avec précision. Plus que de Normandie, de Languedoc ou de Parisis, il est de la région, du Pays, de l'État protestant ; il est de Nation protestante. Il s’en doute, il n'en est pas sûr. Je l'en prie, qu'il n'hésite plus ! L'on n'a aucun sujet de contester son loyalisme envers la France, sa grande patrie : mais sa petite patrie, c’est le Consistoire, c'est le Temple, c'est cette table de famille où la lecture de la Bible alternait avec le récit des persécutions. Il y a longtemps qu’on ne persécute plus les religionnaires. Mais la mémoire en est inscrite dans les moelles de leurs petits enfants. Les doux, (et M. Gide ne manque pas de douceur), en conservent une pointe d'acidité ; les tranquilles, de l'inquiétude sans sujet et de l'incertitude sans objet, ni raison. Il leur faut dire si, il leur faut dire mais. Ils portent en critique l'âme agitée du lièvre qui voit partout fusils, épieux, chiens et chasseurs. Incapables d'élever contre le système qu'ils examinent un système opposé, même un simple système d'objections cohérentes, l'obscur malaise qui les ronge, leur stérilité éternelle les contraignent sans cesse à murmurer, à cabaler, finalement à se détruire eux-même, à force d'appréhensions.

On ne m’accusera pas de vous avoir peint M. André Gide en trop beau afin de le déprécier plus tard par mes citations. Non, non. Je veux qu’on dise : « — Il a de l’esprit, le garçon. Il a même de la malice… » et que l'on évalue ensuite avec précision ce que cette malice, ce que cet esprit et leurs antécédents de théologie et d'histoire ont coûté au développement normal de son intelligence et de sa raison.

Je ne compare pas M. Gide au critique vil ou à l'innommable écrivain qui, pour mieux triompher d'un texte, le fausse et le tronque. Son caractère est sincère, sa volonté loyale, mais, qu'il y veille un peu : son esprit n'est ni l'un ni l'autre ; le premier mouvement de son intelligence est de se mettre en mesure de ne point comprendre. Une attitude négative de la pensée. Il n'est rien de plus dangereux. Non pour les autres, mais pour soi.

Cet homme ainsi bâti, me fait, dans le chapitre même où il a posé à Barrès la question du Phoque au roi Salomon, une querelle absurde et précieuse. Absurde, on le verra. Précieuse, comme toutes les querelles où l'adversaire semble avoir un instant le dessus. Elle nous permet de compter quels sont nos amis. Oh ! nous en avons d'excellents qui ne s'étaient jamais crus à pareille fête.

Avec Le Pèlerin passionné de Jean Moréas, la Thaïs d’Anatole France, et le Poème du Rhône, de Frédéric Mistral, Les Déracinés de Barrés sont certainement l'un des livres qui m'ont le plus occupé dans cette période de la vie que l'on peut appeler la seconde jeunesse. Non content de faire un article sur Les Déracinés, j'en fis deux, j'en fis trois, et des défenses et des réponses aux objections, ainsi qu'il convenait pour une œuvre où se proposait une doctrine favorite.

Comme elle a le devoir de donner la chasse aux mauvais ouvrages, la critique, il me semble, est l'auxiliaire des bons. Elle se doit de les commenter, de les expliquer et de les traduire. Le critique est un truchement, et les ignorants seuls croient que cette tâche d'interprétation est facile ou qu'elle exclut l'effort d'imaginer et d'inventer. Nul ne peut se flatter d'avoir réussi ce genre de critique, qui veut, dit notre maître à tous, dit Sainte-Beuve, une « création perpétuelle ». Pourtant on s'y applique, avec le sentiment de ne rien entreprendre d'inférieur.

Vous savez la thèse des Déracinés : — il ne faut pas couper les jeunes Français de leurs racines provinciales. Ce qui ne signifie pas du tout qu'il ne faut pas les transplanter, ni qu'on doive leur interdire les voyages. Au surplus, l'auteur des Déracinés, si lorrain dans ses goûts, et jusque dans ses habitudes de langage, est le plus mobile des hommes et le plus vagabond. Du coin de sa terre natale, soit qu'il y fixe son séjour, soit qu'il se contente d'y revenir de temps en temps, tout homme peut apercevoir l'immensité du ciel étoilé, considérer le doux visage de la vérité consolante et se sentir le citoyen de l'univers. Les mots que je souligne sont tirés d'une lettre du plus enraciné des patriotes qui fut aussi le plus errant des pèlerins, le vieux Dante. Il les écrivait à Can Grande, du fond de son exil, et cette profession de l'universalité de l'esprit ne l'empêchait point de dater toute sa pensée du seul endroit du monde qu'il sentit bien à lui, le baptistère de Florence et son beau San Giovanni, où tout prenait pour lui d'intimes accents de haine et d'amour. J'oserai hasarder cette définition : la patrie est un point de vue. Un point de vue constant. À qui manque ce point d'où regarder le flot des êtres et des choses, manque aussi le plus ferme de la pensée.

Les objections faites aux Déracinés m'agacèrent, celles surtout qui n'émanaient point d'anarchistes conscients, mais plutôt de ces libéraux que le chant de L'Internationale effarouche et qui lisent sans sourciller La Marseillaise de la Paix. Je ne saurais souffrir ces moitiés ou ces quarts d'académiciens qui veulent, de toute leur âme étroite et peureuse, l'ordre, la paix publique, le maintien de certaines garanties nationales et qui hennissent d'inquiétude quand on leur propose, en ce cas d'assurer les communes conditions de tous ces bonheurs. M. René Doumic 5 est un bon type de l'espèce. Il ne contesta point la thèse des Déracinés. Il y apporta des réserves qui la détruisaient. Dans un petit traité de cinquante pages sur L’Idée de la décentralisation où l'œuvre de Barrés était analysée avec soin, je témoignai à M. Doumic l'extrême mauvaise humeur où m’avait jeté son article :

M. Doumic dans la Revue des deux mondes… admet la thèse des Déracinés, mais sous la réserve suivante :

Le propre de l'éducation est d'arracher l'homme à son milieu formateur. Il faut qu'elle le déracine. C'est le sens étymologique du mot élever… En quoi ce professeur se moque de nous. M. Barrès n’aurait qu'à lui demander à quel montent un peuplier, si haut qu'il s'élève, peut être contraint au déracinement. Pour rêver à la monarchie universelle et pour s'élever jusqu'à la sphère métaphysique de la cité de Dieu, Dante n'en est pas moins l'exact citoyen de Florence ; Sophocle l'athénien et Sophocle l'universel ne sont pas deux figures contraires qui s'excluent, mais bien le même personnage. Et ainsi de Goethe à Weimar, dans la mesure où il atteignit au génie classique.

Napoléon lui-même eut besoin de fortes racines pour nous déraciner. Comme Taine l’a bien montré, il nous coupa de nos conditions ; mais ce puissant travail d'arrachement n'eût jamais abouti si sa propre personne, ses propres énergies n'eussent plongé au fond d'un passé très vivace, pays, famille, clan…

Essentiellement la réplique était juste. L'éducation n’arrache pas l'homme à son milieu formateur. Mais, du milieu originel et sans l’en retrancher, elle l'introduit à un milieu plus étendu, à des idées plus larges, à des sentiments dont les objets sont plus généraux. L'éducation ne dépayse pas ; elle civilise, et c'est tout à fait différent.

Mais, tout en disant vrai, j'avais eu cependant le tort considérable d'imiter, un de ses procédés, M. Doumic. Il avait abusé de l'étymologie du mot élever. Je m'étais, à mon tour, permis de jouer sur la double acception de ce même terme. Mon tort était plus grave que celui de mon incomparable modèle. Il avait le droit de céder à cet entraînement naturel. Je ne l’avais point, quant à moi, qui ne cessais de répéter en cent façons, dès 1897, date de cette erreur, que, si tout bon esprit ne saurait penser sans image, on a l'étroit devoir de ne pas se laisser glisser au cours des symboles, quand on argumente ou raisonne, sous peine de tisser, en lieu d'arguments ou de raisons, de simples Nuées. Le premier jeu de mots de M. Doumic, constituait sans doute une grande reprise. Mais le dérèglement d'imagination auquel je cédais à sa suite était trois et quatre fois criminel.

Faut-il me chercher des excuses ? Plus j'y songe, plus je reconnais qu'il n'y en a qu'une et que le grand coupable, en tout ceci, fut un peuplier. Je ne sais pas comment se forment les rêves des autres hommes, mais il me semble que chacun de nous, pour peu qu'il ait été élevé à la campagne, doit avoir pour toile de fond, de sa pensée une ou deux rangées de beaux arbres qui dentellent un horizon. Pour ma part, la toile de fond se compose d'une belle ligne de grands peupliers déployés du levant au couchant et mêlés s'il faut être exact, de quelques ifs sombres. Tantôt droits, immobiles, purs comme des colonnes et tantôt balancés de droite à gauche par le vent du soir qui s'éveille, leurs silhouettes hautes et robustes ont obsédé mes yeux bien avant de les enchanter, dès les toutes premières années de mon enfance, et l'idée de végétal un peu vigoureux ou d'être florissant, de nature vaste et puissante, se propage toujours en moi jusqu'à cette rangée de peupliers sublimes. La comparaison un peu ridicule établie par M. Doumic entre l'éducation et le déracinement fit surgir aussitôt, par la loi des contrastes, les nobles sentinelles de mon paysage provençal et, ce caprice aidant, c'est ainsi que je mis par écrit ce qu'il eût mieux valu garder pour ma songerie personnelle et dont je fais excuse, non à M. Doumic, d'où vint l'exemple du péché, mais au bon sens, au sens commun et à cette raison dont j'avais bien sujet d'écouter la voix.

« M. Barrès n'aurait qu'à lui demander à quel moment un peuplier si haut qu'il s'élève peut être contraint au déracinement. »

C'est là-dessus, qu'après six années de mûre réflexion, le bon apôtre de Prétextes, M. André Gide, intervient. Il nous adresse, à voix emmiellée, ce petit discours qu'il n'a pas été seul à trouver fort ingénieux : M. Faguet y goûte des « badinages agréables ». M. Léon Blum, une polémique charmante et décisive et M. Remy de Gourmont l’une des meilleures leçons de logique, de grammaire et de convenances qu'il ait jamais lues. J'oserai affirmer à M. de Gourmont qu'il a infiniment plus de lecture qu'il ne dit et que ce n'est pas difficile.

Je copie M. Gide :

— Non, M. Maurras, j'en suis bien désolé, mais celui qui se moque de nous ici, ce n'est pas M. Doumic, c'est vous ; et pour peu que M. Doumic ne soit pas aussi ignorant en arboriculture que vous paraissez l'être, il vous aura répondu, je suppose, que le peuplier dont vous parlez, pour être beau et bien fait, n'était sans doute pas né sur le sol qu'il ombrageait à présent, mais venait tout vraisemblablement d'une pépinière, comme celle sur le catalogue de laquelle je copie pour votre édification cette phrase :

« Nos arbres ont été transplantés (le mot est en gros caractère dans le texte) 2, 3 et 4 fois et plus suivant leur force (ce qui veut dire ici : suivant leur âge) opération qui favorise la reprise ; ils sont distancés convenablement afin d’obtenir des têtes bien faites… » (Catalogue des pépinières Croux, 61e année, p. 72).

Ignorez-vous aussi l’opération qu'en culture, on appelle le repiquage ? Permettez que, pour vous, je copie encore ces phrases instructives :

« Dès que les plantes ont quelques feuilles, on doit, selon les espèces et les soins qu'elles exigent ou les éclaircir ou les repiquer. Le repiquage est de la plus haute importance pour la plus grande majorité des plantes. — Et en note : Toutes ces plantes pourraient à la rigueur être repiquées. (Vilmorin-Andrieux. Les fleurs de pleine terre. p. 3). »

Ou repiquer ou éclaircir. Voici l’affreux dilemme que vous proposent vos savants co-partisans, MM. Croux et Vilmorin-Andrieux. Renoncez à chercher vos exemples dans leur domaine…

Cette leçon de jardinage… — mais parlons mieux, cette leçon d'arboriculture a fait mon bonheur. Si j'avais été libre de suivre mon penchant, j'aurais pris le train de Provence pour chercher quelque part dans Marseille, où l'on me dit qu'il s'est retiré, mon vieux jardinier Marius que nous ne quittions pas d'une ligne, mon frère et moi, quand le vieil homme reportait, d'une planche sur l'autre, ses verts plançons de seboulas. M. André Gide a découvert le repiquage dans le traité de M. Vilmorin-Andrieux et la transplantation dans le catalogue des pépinières Croux : c'est probablement faute d'avoir su regarder le Languedoc, la Normandie et le Parisis. Ses yeux d'enfants n'ont jamais vu ni l’un ni l'autre ni le troisième.

Ceux d'entre nous qui, moins abondamment partagés, eurent une seule patrie purent toujours, si elle était bonne, riche et riante, se contenter de croître pour s'initier en détail à toutes les habitudes de la campagne. L'étonnement naïf que fait paraître M. Gide en nous révélant repiquage et transplantation leur est, sans aucun doute, absolument étranger ; mais si cette émotion merveilleuse leur manque, ils sont aussi gardés d'introduire dans le langage d’aussi honnêtes gens que MM. Emile Faguet et Remy de Gourmont, ou même M. Léon Blum, qui, tout juif, passe pour galant homme, une confusion ridicule entre transplantation et déracinement. À la place de M. André Gide, écrivain délicat, critique difficile, on ne se consolerait pas de la mésaventure.

En doute-t-il ? J'en doutais aussi ! pour ma part. J'en doutais par l'excès de la bonhomie qui m'est naturelle. Comment, me disais-je, un esprit d'une telle sécurité dans la censure peut-il faire une erreur de ce poids et de cette sorte ?… Je me suis adressé non à un Manuel non à un Catalogue, mais à quelqu'un de ces grands amateurs de jardinage qui allient les plaisirs de leur art à la haute culture intellectuelle. L'antiquité connut plusieurs de ces philosophes rustiques, et Virgile a chanté l'un d'eux qui vécut vieillard à Tarente. Le mien habite un coin de Bourgogne, dont les vertes prairies me paraissaient tout à fait propres à l'éducation du bel arbre qui fait le sujet du débat.

— Je ne plante point de peupliers, me répond ce Sage, mais je vis littéralement au milieu de peupliers. C'est la culture principale de ce coin de vallée arrosé d’un ruisseau. Donc j’ai appelé en conseil maître Michel, mon jardinier, habile profès que vous connaissez et lui ai posé la question :

— Comment élève-t-on le peuplier ?

— Il y a deux manières d’élever le peuplier à répondu maître Michel.
Pour la première, tous les trois ou quatre ans, au printemps, on ébranche ces peupliers destinés à la charpente. On met à part les plus belles branches, de la grosseur du poignet, de trois ou quatre mètres de haut. On les rebat, puis on les met dans l'eau, ensuite on les plante en bon terrain, isolés si l’on n'en veut que quelques-uns, en pépinière, si l'on travaille pour la vente. Ces grosses branches s’appellent des plançons.
Au bout de trois ou quatre ans, à l'automne, on les relève…

— On les déracine ?

— Ah ! mais non. On les relève bien soigneusement, car, vous savez, la racine c'est tout.

— Mais, poursuit mon correspondant…

(On me saura gré, je l'espère, de donner cette lettre dans son texte complet. Elle est toute semée de ces vieilles et fortes locutions du métier champêtre, qui gardent de très anciens parfums de notre langage. Comme cela nous change du vocabulaire savant ! ou de ces pâles mots usés ! ou des termes trop neufs qui luisent d'un éclat si faux !)

— Mais de jeunes peupliers plantés un peu trop près les uns des autres ?

— On les arrache pour les replanter.

— On les déracine ?

— Mais non. On creuse tout au tour, afin de respecter les racines, pour leur faire le moins de mal. On en conserve le plus possible, surtout des radicelles munies de leurs petits suçoirs. Les peupliers arrachés, on les met en place, en les espaçant de deux, trois, quatre mètres, selon l'usage auquel on les destine.

— Très bien. Voyons la seconde manière.

— Il s'agit de belles espèces, des peupliers, destinés aux jardins et aux parcs de luxe. Au printemps, on enlève sur des peupliers de choix des branches d'une année de la grosseur du pouce, munies d'un bon talon. On rabat l'extrémité, on les pique en terre, en pépinière, les uns près des autres. Au bout d'un temps quand ces boutures ou quillettes ont des feuilles et paraissent bien pourvues de racines…

— On les déracine ?

— Mais non ! Où éclaircit le plant, c'est-à-dire qu’on enlève à volonté les plants les plus forts pour en faire des arbres de dix, ou les plus nombreux et les plus délicats pour les repiquer en rayons moins serrés, afin de permettre aux racines de se bien développer.

— Et quand on expédie ?

— On enveloppe les racines avec beaucoup de soin pour qu’elles ne gèlent ni ne sèchent en route…

En somme poursuit mon correspondant, relever, dépiquer, repiquer, replanter, même arracher sont des opérations qui n’ont rien de commun avec le déracinement. On ne déracine que des arbres morts ou ceux qu'on sacrifie. Appeler déracinement le repiquage ou le relèvement, « c'est absolument comme si l'on disait qu'on déracine un jeune Français quand on l'envoie à l'école, au catéchisme la messe, au lycée et chez les grands-parents à l'époque des vacances ».

De fait, ce n’est ni l'école ni le lycée qu'avait attaqués l'auteur de Déracinés : c'est un certain enseignement à l'école et une certaine philosophie au lycée, la doctrine qui déracina, dissocia et décérébra tant d'esprits : le kantisme universitaire, la morale et la politique de Rousseau.

J’ai promis que mon correspondant serait philosophe. Entendez la fin de sa lettre :

— J'expliquai alors à mon jardinier ce qu'on appelle maintenant, selon la juste et forte expression de Barrès, un déraciné. Je dis comment la mauvaise éducation d'un lycée de l'État renforcée par la détestable philosophie du professeur Bouteiller avait jeté sept jeunes Lorrains hors de leur province, sur le pavé de Paris où quelques-uns s’étaient perdus, deux d’entre eux étant allés jusqu'au crime. J'expliquai que cette éducation avait chez ces jeunes gens tranché la racines qui les attachaient à leur Lorraine, croyances, biens de famille, attachement au sol et à sa culture, religion des morts dont plusieurs furent des héros ; ces jeunes gens (pas tous) ne s'étaient repris qu'en raison de ce qu'ils avaient gardé de leurs racines morales (par exemple le petit propriétaire rural Saint-Phlin vite rentré au pays). Ceux-là sont revenus à la vie morale comme notre passiflore gelée durant le grand hiver de 1894 : n’a-t-elle pas repoussé, l’année suivante, grâce à un œil unique resté sur un fragment de racine que la rude saison avait respecté ?

— Je comprends, répliqua maître Michel : ces jeunes gens-là étaient des peupliers qu'on avait envoyés à Paris mal emballés, de sorte que les racines exposées à l'air ont séché pendant le voyage.

On élève donc le peuplier. On fait son éducation. Jamais un jardinier ne contraint le peuplier qu'il élève au déracinement. Un peu de réflexion, moins que cela, le soin de la propriété des mots qu'il emploie, aurait épargné à l'auteur des Prétextes une sotte querelle avec les conséquences qu'elle entraîne pour lui et dont voici, je pense, la plus grave de toutes : cette querelle contribue à le faire connaître.

Son esprit, son talent, son tour d'imagination sont d'une coquette achevée, ils perdent donc à être connus de toutes parts. Ils ne peuvent être soufferts qu'à la faveur d'une pénombre officieuse et d'un propice clair-obscur. Au plein jour, il devient trop facile de démêler le rythme constant d'un jeu pareil. C'est un jeu de mots régulier, dont le point de départ consiste à se tromper, mais à se tromper de grand cœur, sur le sens même et la portée de la thèse qu'on veut combattre. C'est ainsi que M. Gide procède avec Lemaitre, sur le sujet du nationalisme littéraire, comme il a procédé avec Barrès et avec moi, sur le sujet des Déracinés.

Charles Maurras
  1. Frédéric Plessis, 1851-1942, latiniste, professeur en Sorbonne, fut proche de l'Action française. Comme celle-ci les notes suivantes sont des notes des éditeurs. [Retour]

  2. Le tamaris est une plante méditerranéenne bien connue. La capitale à l'initiale semble indiquer un nom propre, peut-être un lieu appelé ainsi près de Martigues ? il y a encore plusieurs lieux appelés Tamaris ou les Tamaris en Provence. [Retour]

  3. Tacite, Mœurs des Germains, XLV, sans doute. [Retour]

  4. Saint Augustin, méditant sur le mystère de la Trinité, vit un enfant sur la plage jouer avec un coquillage, à l’aide duquel il essayait de transvaser l’eau de la mer dans un trou qu'il avait creusé. Le saint en aurait tiré cet enseignement qu'il est aussi vain pour l'intelligence de s'essayer à appréhender entièrement le mystère divin que d'entreprendre de transvaser la mer entière dans un simple trou creusé sur la plage. [Retour]

  5. René Doumic, 1860-1937, critique littéraire, longtemps directeur de la Revue des Deux Mondes, secrétaire perpétuel de l'Académie française en 1923, apparenté par sa première femme à Jean et Pierre Veber, par sa seconde épouse à José-Maria de Heredia, Henri de Régnier et Pierre Louÿs. [Retour]

Textes parus en 1903 dans la Gazette de France.

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