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1er octobre 1938
La Politique

I
La paix gagnée — et comment !

La guerre est évitée, son péril conjuré 1. Notre À bas la guerre — non, non pas de guerre, — pas de guerre non, non, — a été exaucée par l'événement. Nous ne reviendrons pas sur les fortes, les irréfutables raisons qui nous installaient dans cette position inflexible. Si elles avaient été faibles, on les aurait discutées. Parmi tous les adjectifs qualificatifs qui nous ont été décochés, on ne relèverait pas l'ombre d'une idée.

Personne, ce qui s'appelle personne, n'a par exemple discuté notre distinction entre la guerre de défense où tout le monde français eût été d'accord et la guerre offensive que l'on voulait nous imposer en un moment où tout nous l'interdisait : la carte de géographie, et la lugubre histoire de ces vingt années écoulées, entre lesquelles les trois dernières ont si cruellement raréfiés notre production !

Personne ne s'est soucié non plus de répondre à cette autre distinction essentielle entre les différents non que peut émettre un état : il y a le non verbal, dont les cocoricos de Sarraut, en 1936, sont le type, et dont l'effet pratique fut la honte pure, et les non réels, ceux de Joffre, de Foch et de Mangin, dont il faut commencer par avoir les moyens, lesquels, précisément, nous faisait défaut, défaut qui ne tient ni au courage de nos hommes, ni à la valeur de leurs magnifiques chefs, ni à l'état de notre armée de terre, mais au sabotage de notre armée de l'air, qui formait le point vif d'une offensive « pou les Tchèques 2 ».

Ce qui a été fait pour éviter cette guerre devait être, en ces jours là, une sorte d'adhésion constante de soumission rituelle aux directions de l'Angleterre. Il ne faut pas se plaindre, puisque la paix a été sauvée, mais il ne faut pas s'en louer parce que l'autonomie de la politique française n'y a guère brillé. On a couru au plus pressé et l'on a très bien fait.

Autre remarque digne d'intérêt. On n'a pu obtenir la paix qu'en insérant une correction essentielle dans la politique étrangère de nos dernières années. Les chefs de notre Anti-fascisme ont eu le rare bon sens de consentir, sur la demande anglaise, à une entrevue publique et amicale avec le Chef des Faisceaux romains. Le jeune et beau Dunois se plaint que nous élevions sur le pavois M. Mussolini. Qu'il aille porter sa plainte ou il faut ! Nous ne sommes ni président du Conseil, ni ministre des Affaires étrangères. Nous, dans notre poste ici-bas, disions à ces Messieurs qu'il leur faudrait en passer par Rome. C'est ce qui vient de leur arriver. En 1934, Hitler était maté au moyen des régiments que Mussolini mettait sur le Brenner. En 1938, on le modère, on le tempère, on le freine légèrement au moyen de l'arbitrage de M. Mussolini. C'est comme ça parce que c'est comme ça. Nous ne sommes pas assez injustes pour en accuser le jeune et beau Dunois. Il a tort de nous imputer une suite de causes et d'effets que nous nous étions modestement contentés de prévoir. Mais, au Popu 3, qui est le journal de Blum, on a des raisons sérieuses de tenir en une sainte horreur tout ce qui ressemble à une prévision juste. Le patron a tenu boutique du contraire ! Plaignons le jeune et beau Dunois, et disons, encore une fois, que l'Action française avait vu fort à l'avance, c'est-à-dire depuis trois ans, ce qui devait être et à ce qui a été, sur ce point.

II
L'esprit public

L'Action française n'a pas été seulement pour la paix, mais pour ces conditions nécessaires de la paix.

Elle prend donc allègrement et fièrement sa part des justes acclamations qui ont accueilli M. Édouard Daladier dès son arrivée au Bourget. Le cri public a montré que, tout réfléchi, tout compté, après tant de dures méditations sur un cauchemar de huit jours, l'esprit public et l'intérêt public avaient fini par coïncider. Non que les manœuvres eussent manqué pour les dissocier ! Non que l'on n'eût point fait le possible et l'impossible pour opposer le sentiment de l'honneur français et même celui de son intérêt général éloigné, aux durs impératifs du salut immédiat qui disait paix, paix, paix et qui voulait la paix. Cette campagne était horrible par ce qu'elle avait d'impie, d'absurde et aussi par ses causes immédiates et lointaines dont les fils, tenus par l'ennemi public, aboutissaient ça et là à de bon cœurs emmanchés de pauvres cervelles. Jamais, peut-être, depuis le 20 avril 1792, le gouvernement d'opinion n'avait mis la France plus près de sa ruine ! Il y avait quelqu'un pour freiner en 1830, quelqu'un pour le même office en 1840. Mais la catastrophe de 1870 (où il y avait moins que personne) n'eût été qu'un jeu d'enfant auprès du désastre auquel on nous précipitait en 1938.

L'esprit public a été utilement servi par la crainte des justes sanctions portées dans certaines hautes sphères du pouvoir.

Ils ont eu peur.

La saisie de L'Action française 4 pour ce que L'Ère nouvelle d'hier appelait une galéjade et un pastiche, suffit à montrer que, chez M. Paul Reynaud et chez M. Mandel, la menace des nationaux est quelque chose de présent. Ils sont loin de la mépriser. Ils sont en garde contre elle. S'ils conforment à cette crainte leur action publique, c'est que leur action secrète a dû subir aussi, de ce fait, d'heureux tempéraments. Ces messieurs n'ont pas osé aller jusqu'au terme de leur pensée. Ils n'ont pas osé aller au bout de leur puissance. L'esprit public y a gagné un certain degré de liberté. Le mouvement de l'esprit public a pu collaborer aux joyeux événements d'avant-hier et d'hier. Il ne les a pas contrariés, il les a favorisés, attendus, acclamés. Ni communisme, ni panjurisme 5 n'ont compté : purs et simples fétus agités emportés par le souffle de leur propre folie. Un fait matériel a tout dominé : la libre respiration d'un grand peuple que d'artificieuses manœuvres avaient opprimé et qu'elles n'ont pas réussi à abattre.

À bas la guerre, disait-il. Non, pas de guerre !… Pas de guerre, non, non ! Et il n'y a pas eu de guerre, et M. Daladier en a reçu des fleurs et des couronnes plein son chapeau, plein sa voiture, plein ses bras et son cœur. Il en recevra d'autres ! Beaucoup d'autres, l'acte de Munich correspondant à toutes les plus urgentes nécessités du moment.

III
Mais réfléchissez, prenez garde !

Cependant, on aurait tort de fermer les yeux à certaines clartés légitimes et même indispensables. On trompe le pays quand on dit que l'expérience de jeudi suffit à montrer que l'on peut se tirer de tous les mauvais pas par des ententes pacifiques et que l'échange de bons propos internationaux réglera tout. Cette généralisation est plus qu'imprudente. Elle néglige toutes les expériences des dernières années, elle passe outre aux leçons éclatantes données au Briandisme, au pacifisme, au genevisme par des événements lumineux. Non, non, « la guerre » en soi n'a pas été vaincue par un certain sérum fabriqué à Munich.

L'immense gratitude que nous devons à M. Chamberlain, ne doit pas non plus nous nous voiler la double signification du pacte conclu hier entre lui et Hitler. Hitler a réalisé un des articles de son Mein Kampf, il a de nouveau collé, et du plus près qu'il l'a pu, à la puissance anglaise. Pour une concession qu'il lui a faite, il a obtenu un traité de non-agression entre Londres et Berlin, traité qui est classé directement à la suite du pacte naval. Si l'on croit l'incident négligeable, on risque de se faire de nouveaux moucher par l'événement. Car voilà qui dément la politique constante de l'Angleterre ! M. Chamberlain assure Hitler du désir qu'éprouve son peuple de ne point combattre le sien, au moment où Hitler devient par la force des choses l'arbitre du continent européen. On a certes vu des politiques embrasser leurs rivaux, afin de les étouffer. Mais ici, l'embrassade comporte quelque chose d'étonnamment gratuit de singulièrement spontané ! Honorons et remercions M. Chamberlain. Cela ne nous dispense pas d'ouvrir les yeux clairs sur sa politique : au lieu de l'éloigner, la puissance d'Hitler l'attire, et c'est bien dangereux.

Il y a peu de jours, son Foreign Office était présenté comme devant militer aux côtés de la France de la Russie (la Russie qui, depuis vingt et un ans, ne s'appelle plus dans les actes internationaux que l'U.R.S.S.) et voilà aujourd'hui la politique anglaise dans la plus cordiale intimité de Hitler. C'est de l'empirisme, peut-être. Attention ! Que ce ne soit pas de l'empirisme désorganisateur.

Enfin, je lis que cette histoire justifie le pacte à quatre de ce pauvre Henri de Jouvenel 6 !

Parce que l'on est entré, par force, en conversation avec le « chien enragé de l'Europe » et, pour lui concéder toute la moelle de son os, moins quelques centimètres de carbonate de phosphate de chaux, la rencontre est recommandée que dis-je ? acclamée. J'ose m'avouer tout heureux et gaillard que ce système n'ait pas été appliqué plus tôt à la pauvre Europe. Une utile conduite si Henri de Jouvenel eût été écouté plus de quelques semaines ! Cela nous a fait perdre la Pologne. Prague subit. À qui le tour ?… Nous subissons aussi la mauvaise fortune. N'en faisons pas la Règle et la Loi !

IV
Ce que gagne Hitler

Ce qu'il faut dire, ce qu'il importe de redire, c'est que nous avons été contraints, par les effets de nos malheurs récents, à calculer de plus grands malheurs et à en déjouer la menace. Nous avons fait tout ce qu'il fallait pour éviter le pire, et nous avons bien fait. Mais la situation n'en est pas simplifiée, ni allégée, ni embellie pour cela. Et le bonheur d'Hitler, ce qui s'ensuit et s'ensuivra, aura des effets plus désastreux que tout si nous nous laissions engager le moins du monde, à faire confiance à l'étrange quatrième 7 de ce loufoque pacte à quatre digne de quelque asile d'aliéné international.

La vérité est que notre paix forcée permet à Hitler des gains extraordinaires. La vérité est que, à travers tous les protocoles, tous les accords, tous les instruments diplomatiques, signés ou à signer, il vient de s'ouvrir, sans coup férir, une voie libre et splendide vers l'Orient. La vérité est que non seulement aux yeux de M. Neville Chamberlain, de son propre peuple et des peuples circonvoisins, mais de l'ensemble de l'Europe centrale, il apparaît le maître, l'arbitre, le chef. On parle de Sadowa 8. C'est une bêtise. Sadowa, comme disait Bainville, s'était joué entre Allemands. Et voici l'Allemagne bien dépassée, l'Allemagne emportée elle-même vers des destins danubiens et asiatiques dont personne n'a la mesure, mais, par là même, se constituant des forces nouvelles, qui, brusquement retournées contre l'Ouest, peuvent aussi devenir extraordinairement redoutables…

Nous n'avons envie de rien farder ici. Ce que nous ne cessions de dire, en répétant qu'il ne fallait pas de guerre, et que cette guerre serait un suicide de la patrie, doit être redit de plus belle : l'abandon nécessaire qu'il a fallu souscrire crée de nouveaux devoirs impérieux, urgents et vitaux.

V
Alerte !

Loin de nous endormir sur aucune parole, loin de former aucun acte de foi dans la paix, qui, loin d'être fatale, est la plus contingente des choses, et peut-être la plus fragile, nous disons que le peuple français est cruellement menacé et qu'il n'a plus d'espoir ni d'avenir que dans un sursaut rédempteur. Jamais il ne lui aura fallu autant travailler ni jamais autant se rassembler, s'unir, se réorganiser, refaire les alliances de l'Occident, repasser par Rome où siègent la victoire et la paix, s'armer enfin, s'armer pour le simple salut d'une vie que guettent, en vérité, trop de graves périls.

Alerte ! Alerte ! disions-nous pendant la crise. Il faut le répéter maintenant qu'un sursis nous est accordé, — pour combien de temps ?

Alerte ! C'est ce que tous les vrais Français voient, sentent, disent, écrivent, et je veux terminer par ses lignes de l'un d'eux, parisien patriote, qui ne se laisse pas tromper à de fugaces nuées :

Si l'immédiat est sauvé, il reste demain. Il faudrait maintenant, avec plus d'acharnement que jamais, compléter notre réarmement encore bien déficient, refaire surtout un bloc national, et refaire nos alliances. Il faudrait surtout rompre une fois pour toutes avec l'ennemi (allié !) de Moscou, et briser le réseau occulte de ses agents en France.

Alors, la France, au lieu de suivre péniblement à la remorque, reprendrait bientôt la tête de l'Europe, réparerait avec honneur les capitulations de ces vingt années, et imposerait sa paix, la paix française, c'est-à-dire la vraie paix européenne, la paix humaine dans la justice et la sécurité de tous. Parce qu'elle aura montré sa force, sans, peut-être, avoir à s'en servir.

Mais ! Mais… Inutile de refaire l'énumération des mais qui, dès demain, dès aujourd'hui, vont faire avec acharnement obstacle au redressement du pays. Si, dans l'antre de Moscou, on doit ce matin faire la grimace, il y a en France des cavernes où la joie des bons français doit provoquer des grognements.

Si la Bête est refoulée, elle est toujours bien vivante. Quels assauts nous réservent les mois qui viennent !

Seule, L'Action française peut la braver et l'abattre.

Refrain : ce ne sont pas des millions mais des dizaines de millions qui lui faut, non pour reprendre la lutte qu'elle n'a jamais cessée, mais pour la poursuivre jusqu'à la victoire finale, elle-même couronnée par le retour du roi fédérateur et réparateur.

Hors de là point de salut ! Quelques riches français (il en reste bien encore ?) à l'esprit lucide et au cœur bien placé, le comprendront-ils, et voudront-ils ajouter un noble poids d'or aux innombrables oboles de leurs pauvres concitoyens ?

La question est posée. La question du grand mouvement d'opinion qui ne s'arrêtera pas à de faibles figures, ni à de vagues disputes de personnalités sans consistance ni valeur.

Il faut reprendre tout ou presque tout par le fond, depuis le moral du pays légal où les profiteurs sont les maîtres, jusqu'à la zone des idées, où les ignorants, les imbéciles et les impulsifs ont un peu trop tenu le haut du pavé.

Alerte ! Et en avant !

Charles Maurras
  1. Les accords de Munich sont de la veille, 30 septembre.

    Les notes sont imputables aux éditeurs. [Retour]

  2. Écho d'un article de Léon Daudet sur la même page. La diction singée est celle de Paul Reynaud, qui avait été l'un des plus chauds partisans d'une immédiate déclaration de guerre à l'Allemagne. [Retour]

  3. Le Populaire, qui était alors le journal de la S.F.I.O., avait été fondé en 1916 par des socialistes pacifistes minoritaires hostiles à la guerre. Blum en a été le directeur politique de 1921 à 1940. C'est par antiphrase et à la suite de diverses passes d'armes par articles interposés que Maurras, d'après une chanson de l'Empire dont il existe aussi diverses versions paillardes, appelle « le jeune et beau Dunois  » Amédée Dunois, de son vrai nom Amédée Catonné, qui était né en 1878 et mourra en 1945 après avoir été l'un des animateurs du Populaire clandestin durant la Seconde Guerre mondiale. [Retour]

  4. Le numéro du 29 septembre avait été saisi à Paris et avec plus ou moins d'efficacité dans plusieurs villes de province. Il notait en manchette :

    À la manière de…

    S'ils s'obstinent, ces cannibales,
    À faire de nous des héros,
    Il faut que nos premières balles
    Soient pour Mandel, Blum et Reynaud.

    Parodie des vers de L'Internationale :

    S’ils s’obstinent, ces cannibales,
    À faire de nous des héros,
    Ils sauront bientôt que nos balles
    Sont pour nos propres généraux.

    [Retour]

  5. L'opinion qui professe que tout peut être réglé par le droit. [Retour]

  6. On ne sait si le pauvre est une appréciation politique ou une mention pieuse pour parler d'Henri de Jouvenel, mort à la surprise de ses contemporains en 1935, et dont les espoirs de « pacte à quatre » (Angleterre, Italie, France, Allemagne) avaient pu sembler une solution aux tensions européennes. Le « pacte à quatre » ne fut cependant jamais adopté par les pays concernés, du fait de la guerre italo-éthiopienne de 1935. Les négociations de Munich réunissant les mêmes pays, elles avaient ravivé ce souvenir du « pacte à quatre » prôné quelques années plus tôt par Henri de Jouvenel et Édouard Daladier. [Retour]

  7. L'Allemagne. [Retour]

  8. La bataille qui vit prévaloir la Prusse sur l'Autriche, en 1866. [Retour]

Texte paru le 1er octobre 1938 dans L'Action française.

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