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La Nation
et le Roi

Si l’on me demandait de définir la situation de la France sous la troisième République, je demanderais la permission de la comparer à l’ancienne condition de Metz ou de Posen ; comme à Posen et comme à Metz, l’autorité publique s’efforçait de désarmer, de dépouiller et de dénationaliser l’habitant ; comme à Posen et comme à Metz, cette autorité publique était exercée par une puissance étrangère. Seule différence : les Alsaciens-Lorrains et les Polonais étaient victimes des hasards de la guerre ; notre malheur résulte du hasard des révolutions. Les révolutions ont permis à un peuple étranger, à une confédération de peuples étrangers de s’élever sur nous et de régner sur nous. En s’emparant des bureaucraties de l’État, en présidant aux comédies électorales, en réglant la parade parlementaire, l’Étranger de l’intérieur peut encore tromper un petit nombre de bons Français amis d’une illusion qu’ils estiment commode. Mais cette illusion, ils la paient leur consentement aux fictions constitutionnelles les promène de déconvenues en déconvenues, et l’histoire de leur opposition ne se compose que de culbutes.

Au contraire, les Français qui, voyant à quel ennemi ils avaient affaire, ont reconnu qu’il s’agissait d’une lutte pour l’indépendance de la nation, ces Français-là ont éprouvé d’abord l’intime plaisir de comprendre ce qui se passait devant eux. Ils ont compris comment la République, incohérente en toute chose, n’est pas incohérente dans son œuvre contre l’église et autour de l’école. Ils ont vu pourquoi ce régime inconstant et discontinu en tout montre, au contraire, un admirable esprit de suite dans son effort pour désorganiser nos armées de terre et de mer. Un État ordinaire ne prend pas plaisir à se dissoudre, à s’affaiblir ni à se démoraliser. Rien de plus naturel quand un État se trouve secrètement mené par les étrangers de l’intérieur.

On peut s’accommoder de cet envahisseur, même reconnu. On peut aussi lui proposer des traités et des alliances. Jeanne d’Arc aurait pu, a dit un homme d’esprit, demander le Home Rule 1 à Bedford. Les plus parlementaires voudront bien m’accorder néanmoins que la vierge lorraine fut dans son droit en se proposant de chasser les Anglais de notre patrie. C’est au même dessein que se sont arrêtés, depuis trente ans, un certain nombre de bons Français inaptes à servir les Juifs et les métèques. Et ce dessein n’est pas sans inconvénients. Mais il offre des avantages. On risque d’y laisser sa peau ; on ne risque pas d’être dupe. En dénonçant la fable de la légalité, on échappe à la nécessité d’observer les règles du jeu contre un adversaire qui triche.

Le nationalisme français implique donc une action révolutionnaire. Mais depuis trente ans quelques-uns des principaux directeurs de ce mouvement ont compris que, le mal venant de l’État, du pouvoir, toute tentative nationaliste se doit de commencer par nationaliser le pouvoir. Cette maîtresse vue, qui rallia tant de dévouements et d’intelligences et qui soulève aujourd’hui un peuple, n’aurait jamais été possible sans un fait historique immense et dont les conséquences ne font guère que commencer ; le programme énoncé à la même époque par Monseigneur le Duc d’Orléans, digne et légitime héritier des Pères de notre patrie, correspondait exactement à cette insurrection nationale. Et certes, le royal programme n’avait rien d’absolument neuf : de tous temps, les chefs de la Maison de France, qu’ils fussent sur le trône ou au fond de l’exil, avaient connu, par position et grâce d’état, les nécessités vitales de la nation. Ce n’est pas d’esprit politique, mais plutôt d’énergie et de volonté que manquèrent soit Louis XVI, soit Charles X. Le cœur des rois de France se rendit toujours compte des besoins du pays ; mais, le pays n’a pas toujours été sensible à leur instinct de vigilance patriotique et ce fut par un hasard providentiel que, dans les années 1897, 1898, 1899 et suivantes, les paroles du Roi vinrent tout d’un coup éveiller un écho durable et profond parmi les douleurs et les désirs du peuple français. Nos concitoyens tressaillirent de joie et, d’une joie plus forte que tous leurs préjugés, quand ils entendirent le jeune descendant de leurs anciens rois prononcer des discours tels que ceux de San Remo et d’York-House, et formuler toutes les promesses de renaissance que postulait et souhaitait le malheur des temps. Ils se sentaient broyés sous la botte de l’Étranger, et le Roi invoquait le génie de la race et le génie du sol. Cosmopolis apparaissait maîtresse de la patrie, et le Roi de France déclarait vouloir rendre la patrie à elle-même. « Tout ce qui est national est nôtre… J’ai défendu l’armée, honneur et sauvegarde de la France. J’ai dénoncé le cosmopolitisme juif et franc-maçon, perte et déshonneur du pays. » Ces appels rallièrent le nationalisme français. Ils lui épargnèrent les erreurs et les douloureuses pertes de temps qui ne furent pas ménagées aux nationalistes allemands avant Bismarck et le roi de Prusse, aux nationalistes italiens avant Cavour et le roi de Piémont. D’emblée, nos patriotes eurent le bonheur de rencontrer ce principe vivant, un Prince qui fournit à la réaction des sentiments et des intérêts nationaux l’objectif rayonnant de la royale majesté.

Comme de juste, l’ordre royal n’enleva rien de sa passion, de sa force, ni de sa chaleur au mouvement nationaliste qui s’y incorporait. Le vieil esprit conservateur, qui ne conserve que le mal, avait émigré dans l’opinion libérale et républicaine, et ce fut de concert avec des royalistes éprouvés, tels que André Buffet, Lur-Saluces, le marquis de la Tour du Pin Chambly, l’abbé de Pascal, que l’Action Française développa d’année en année ses offensives les plus hardies. Quand de nouveaux venus, de toute classe, de toute condition et de tout parti se mettaient en marche vers le fils des héros de leur vieille unité, nos plus anciens noms historiques s’associaient au mouvement de la Révolution pour le Roi. Que parle-t-on de vieux ou de nouveaux royalistes ! Conscrits et vétérans se sont amalgamés dès le premier jour.

Charles Maurras
  1. Terme anglais désignant l’autonomie revendiquée par les Irlandais entre 1870 et 1914. (n.d.é.) [Retour]

Texte paru dans la Revue Fédéraliste , n° 100, Guirlande à la Maison de France, préface de Georges Bernanos, 1928.

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