Le chapitre d’Anthinéa dans lequel Maurras relate sa visite à Athènes en 1896 est reconnu comme l’un des textes les plus importants du corpus maurrassien. Il est également, avec certains passages du Chemin de Paradis, celui qui aura le plus alimenté les attaques des démocrates chrétiens et leurs accusations de mécréance. D’ailleurs, Anthinéa devait à l’origine recevoir pour titre Promenades païennes…
Dans les éditions courantes d’Anthinéa, ce texte nommé Athènes antique occupe le chapitre II du livre I, lui-même titré Le Voyage d’Athènes. Mais dans la toute première édition, celle de 1901 chez Félix Juven, il en constitue le chapitre III. Il se compose de 16 subdivisions, le sous-titre L’Acropole étant intercalé au début de la troisième, et un second sous-titre Les Collections au début de la huitième. Ces deux sous-titres figurent dans les sommaires de toutes les éditions d’Anthinéa. La seizième subdivision, la plus anti-chrétienne, a été supprimée de toutes les éditions postérieures à la Grande Guerre.
Anthinéa est une collation d’articles consacrés à la Grèce, à la Toscane, à la Corse et à la Provence, publiés au cours des dernières années du dix-neuvième siècle, pour l’essentiel dans la Gazette de France. À n’en voir que la couverture, le fil conducteur qui relie ces différents récits de voyage y reste encore à deviner. Le sous-titre d’Athènes à Florence peut effectivement laisser penser qu’il s’agit d’un recueil de souvenirs touristiques, comme il s’en publiait beaucoup à l’époque.
C’est à la lecture d’Athènes antique que le lecteur va comprendre qu’il s’agit de tout autre chose. Mais il ne faut pas s’être découragé avant. Dans l’édition de 1901, Athènes antique vient après les cinq Lettres des Jeux olympiques et une lettre à Henri Vaugeois sur l’Athènes moderne. Rien n’incite à commencer par là. C’est pourtant le cœur de l’ouvrage et de son argumentaire.
Maurras, qui a alors vingt-huit ans, nous conte comment il découvre dans les vestiges de l’Acropole l’expression de l’universel. Certainement était-il préparé à quelque chose de semblable ; néanmoins il nous décrit cette rencontre comme une brutale révélation. Et les principes qui se dégagent des notes qu’il envoie à la Gazette de France, laquelle les fera paraître en sept fois, du 17 avril au 19 mai 1896, imprégneront sa pensée politique et anthropologique toute sa vie durant.
On regrette que Maurras n’aît été « que » journaliste, et que ces brèves n’aient pas plus tard ouvert la voie à une somme philosophique plus conséquente. Mais tel était notre homme ; le grand œuvre ne vint jamais, et il nous faut nous contenter, sur ce point-là comme sur tous les autres d’ailleurs, de ses articles, d’abord de revues, ensuite de L’Action française quotidienne, là où Bergson aurait pondu trois volumes et Jaurès douze.
Nous en contenter, c’est bien le mot qui convient. En quelques pages, Athènes antique fait rien moins que le tour de l’apparition du Beau, du Vrai, de l’Universel. Et c’est également en 1901 que Maurras publiera ses deux articles emblématiques sur l’Homme et sur la Civilisation. Et il s’en tiendra pratiquement là, même si, avec Corps glorieux ou Vertu de la Perfection, il reviendra en 1928 sur ses réflexions du voyage d’Athènes.
Il ne faut cependant pas croire qu’Athènes antique ait été, dès l’origine, perçu et présenté comme une synthèse fondatrice. D’abord en raison de sa place dans le volume, comme précisé plus haut. Cependant dès l’édition de 1912, les Lettres des Jeux olympiques seront réduites à la portion congrue, la note à Henri Vaugeois rejetée en appendice, et un avertissement au lecteur l’aidera à saisir d’emblée la structure et la cohérence du recueil.
Ensuite parce que le texte publié en 1901 conserve le style et l’apparence de notes prises sur le vif. Cela lui procure un ton naturel et authentique des mieux venus, mais qui ne prédispose pas à y trouver l’exposé de principes philosophiques fondamentaux. Là encore, dès 1912, la rédaction est reprise, arrondie, policée.
Enfin et surtout parce qu’en 1896, Maurras est, sinon franchement païen comme l’ont suggéré de nombreux auteurs, du moins explicitement anti-chrétien. Au travers de ses propos sur l’art, sur les découvertes archéologiques, sur les différentes époques de la statuaire, sur les méthodes historiques, il ne cache pas son parti-pris. Le christianisme, affirme-t-il, participe à la corruption de la perfection atteinte par les Grecs classiques et la parachève en la souillant d’influences orientales. Plusieurs passages l’attestent, et pas seulement le chapitre XVI qui sera purement et simplement supprimé plus tard « en hommage au pape Pie X ».
Le lecteur moderne, naturellement prompt à détecter toute expression suspecte d’antisémitisme, sera d’autant moins à même de comprendre que l’adjectif « juif » veut dire « biblique » et que « le juif », s’agissant de la décadence d’Athènes, n’est autre que le Christ.
Tous ces éléments datés et anti-chrétiens ont été retirés des éditions d’après guerre, celles qui auront connu les plus gros tirages, de même que des éditions de luxe, depuis celle de Crès en 1922 jusqu’à celle de Josso en 1953. De fait, peu de gens auront eu accès à la version de 1901, ou même à celle de 1912, et en auront gardé la mémoire.
Il ne faut pas cependant penser qu’à l’instar du conte de La Bonne Mort, la suppression de « l’article XVI » d’Athènes Antique n’ait été qu’une coupure de circonstance seulement destinée à ne pas heurter le public catholique de l’Action française. Car Maurras a effectivement changé d’avis, et il tient à rectifier. Il a peu à peu « réintégré » le catholicisme dans le cercle de la perfection classique, dont il voit désormais dans l’Église le meilleur et le plus sûr garant, transférant ses piques aux « hérésies » que sont le protestantisme et la démocratie chrétienne, lesquelles jouent désormais pour lui, avec la révolution et le romantisme, le rôle de « points cardinaux » de la barbarie.
Il reste qu’Athènes antique conserve le rythme, le déroulé de sa version originale ; il n’était pas possible de faire autrement, sauf à tout massacrer. C’est sans doute la raison qui a conduit Maurras à composer, longtemps après, Corps glorieux qui en est comme la seconde partie et qui prend encore plus de signification quand on le relit juste après.
Nous nous sommes efforcés de présenter de la manière la plus simple possible les évolutions entre le texte de 1901 et les versions tardives.
Dans l’introduction (chapitres I et II), où les différences sont parfois sensibles, nous avons conservé l’expression la plus étoffée, et repris la variante en note. Dans le reste du texte (chapitres III à XV), les corrections ne touchent, presque toutes, qu’au style et nous avons privilégié la version retouchée, renvoyant en note à chaque fois le texte de 1901. Enfin, pour le chapitre XVI, qui a été entièrement supprimé à partir de l’édition Crès de 1922, nous avons repris le texte de 1901.
Comme pour les autres livres d’Anthinéa précédemment publiés sur notre site, nous avons repris les illustrations de Renefer datant d’une édition de luxe de 1927.