Nous avons déjà eu l’occasion de le souligner, Maurras avait bien pressenti que la guerre serait totale, et ils n’étaient pas si nombreux à l’été 14.
Nous en avons une nouvelle preuve avec cet article du 16 août 1914 repris en recueil dans le premier volume des Conditions de la victoire en 1916 : « En avant les civils ! »
Si la guerre sera totale, elle sera aussi affaire de positions commerciales, d’influence financière, elle engage aussi les commerçants, les entrepreneurs, les travailleurs, les syndicats, autant de forces qu’on regardait auparavant comme devant simplement continuer leur vie laborieuse et lente pendant un conflit. Tout va effectivement changer en 14. Maurras trouve une rhétorique qui peut nous paraître un peu naïve avec son entraînant en avant mais qui était très neuve pour l’époque et qui préfigure même les autres conflits du vingtième siècle : l’arrière doit être mobilisé au même titre que les soldats sur le front. Non seulement l’effort mobilise des militaires qui se battent, mais alors même que la plus grande partie du territoire est protégée de la guerre, les populations doivent s’y engager par d’autres voies que les combats. On mesure mal de nos jours la nouveauté du propos, sinon par l’insistance et la conviction qu’on y trouve dans ces articles.
Autre préoccupation et autre motif d’engager les civils dans le conflit : préparer la paix, ouvrir les voies commerciales et financières à la prospérité qui doit sortir du conflit. Louable intention, mais qui sera reportée dans un avenir vague par le simple fait que ces « 999 millièmes du territoire » à l’abri des ravages ne le seront pas durablement. La guerre va s’étendre et elle va aussi durer. Reprochera-t-on à Maurras de ne pas l’avoir assez mesuré ? ce serait injuste en ce double sens qu’il gardera toujours une certaine préoccupation quant à la paix à venir, et que — on le voit bien dans ce texte —, personne ne songeait à une guerre si longue. Les propos rapportés de F. Michelin font presque sourire d’indulgence sous leur tragique :
Si la guerre dure longtemps, dans six semaines, dans deux mois (…)
Une guerre de deux mois, en août 14, c’était déjà une guerre longue. Il paraissait alors urgent de prendre les places laissées chaudes par le commerce allemand. Les tranchées où l’on va bientôt s’enterrer bouleverseront ces considérations.