Les choix politiques de Charles Maurras se sont précisés au cours des dernières années du dix-neuvième siècle, pour ne plus changer par la suite. Il se prononce d’une part pour un régime fort, ne craignant pas d’utiliser l’adjectif autoritaire, d’autre part pour un régime héréditaire. Si l’on en restait là, le bonapartisme pourrait s’imposer comme une réponse adaptée. Il ne saurait cependant en être ainsi car Maurras, bien avant de s’intéresser au pouvoir central, avait pris fait et cause pour un régime décentralisé, voire fédéraliste. Et la synthèse sera complète lorsque, au commencement son Enquête sur la monarchie, Maurras précisera que celle-ci doit également être traditionnelle, c’est à dire qu’elle renoue le fil de la lignée capétienne, interrompu par les révolutions et les républiques.
Le bonapartisme est donc doublement hors course, d’abord comme expression la plus aboutie du jacobinisme centralisateur, ensuite comme partie prenante, simple variante césarienne, du régime révolutionnaire, qui reste son fondement idéologique.
Cependant Maurras ne s’étendra pas davantage sur la critique du bonapartisme. Il laissera ce soin à Jacques Bainville, et à quelques autres. Ce n’est qu’en juillet 1929, à l’âge de soixante et un ans et après avoir accumulé une œuvre considérable, qu’il publiera la première version d’un opuscule Napoléon avec la France ou contre la France. Il n’y avait à cela aucune urgence de l’actualité ; le livre s’ouvre sur l’évocation des cérémonies du centenaire de la mort de l’Empereur, qui ont eu lieu en 1921, huit ans auparavant.
Dans ce texte il n’est pas seulement question du grand Napoléon, mais des deux Empires et de leurs destinées parallèles, des politiques bonapartiste et d’inspiration bonapartiste face à l’histoire, depuis Richelieu jusqu’au traité de Versailles, enfin de l’influence de la geste napoléonienne sur la littérature et les idées politiques. Dans tout cela, l’Allemagne occupe une place centrale ; toute la trame du livre tient dans le constat que ce sont les deux Napoléon qui ont fait l’Allemagne, et par là-même le malheur de la France. De fait, Maurras n’aura jamais écrit sur Napoléon en lui-même.
En 1932, Maurras sort une nouvelle version du même livre, actualisée par les événements et la critique de livres venant de paraître ; c’est celle que nous publions aujourd’hui. De larges extraits en seront repris en 1937 dans Jeanne d’Arc, Louis XIV, Napoléon, synthèse que l’on retrouvera ensuite dans les Œuvres capitales.