Nous poursuivons la numérisation de Poésie et Vérité avec Dante et Mistral. Encore un texte sur Mistral ? Ou, si l’on préfère, encore un texte sur Dante !
C’est qu’on « n’épuise jamais le plaisir de réciter son poète » comme le remarque malicieusement un Maurras qui a sans doute conscience d’entasser les citations de Dante et de Mistral un peu au-delà de la patience du lecteur de bonne volonté.
Alors pourquoi ce texte ? et que fait-il au juste dans Poésie et Vérité ? car il a été repris par Maurras pour y être inséré alors qu’il ne s’agit somme toute que d’un texte de circonstance, paru dans la Nouvelle Revue universelle en 1941 pour parler de deux ouvrages : l’un composé des souvenirs de Marie Gasquet, où la part belle est faite à Frédéric Mistral et au Félibrige ; l’autre de Louis Gillet, sur Dante.
D’abord on retrouve dans ces considérations bien des thèmes abordés par les autres textes de Poésie et Vérité, et dont nos lecteurs ont maintenant une idée assez précise, puisqu’il ne manque plus que le texte sur André Chénier pour compléter le recueil : contentons-nous d’évoquer l’étroite association — bien figurée ici par la figure de Charles Rieu — entre une terre, un peuple et sa sensiblité, qu’elle soit intellectuelle, politique ou religieuse. Du côté de Dante, une fois de plus Maurras en affirme l’unité, la cohérence où les multiples influences chrétiennes et antiques récapitulées dans la Florence de son siècle ne nuisent en rien à la solidité et à la beauté de ce bloc qui semble avoir tout uniment « la douce couleur de saphir ».
Mais il y a sans doute un peu plus. Le texte est de 1941, alors que le maréchal Pétain jouit encore de cette forte popularité qui a pu faire parler de quarante millions de pétainistes. Or, presque à la jonction des deux critiques d’ouvrage qui forment ce texte, Maurras fait part d’une anedote curieuse, où l’on voit celui qui n’était encore que le capitaine Pétain — et qui était alors plutôt classé au centre gauche — emmener en voiture, par hasard, un Frédéric Mistral impatienté d’un contretemps.
(…) Mistral avait été mis en retard par la faute d’un véhicule qui n’arrivait point et, qu’il attendait au seuil de sa maison. Et voilà qu’un jeune officier de l’armée active, passant en voiture devant sa porte, proposa au maître de le conduire aux Baux où il allait lui-même. Mistral accepta. En chemin, il demanda qui donc lui rendait ce service. Le capitaine se nomma : Pétain…
Le futur Maréchal de France fit son premier acte de rénovateur des provinces aux Baux, ce jour-là ! Le monde est bien petit. Ce qu’il contient de présages, de préfigurations, d’intersignes sera-t-il jamais recensé ?
C’est que dans la vision classique défendue par Poésie et Vérité, tout se tient. Non qu’il faille réciter on ne sait quelle faible et vague considération de système sur les correspondances du beau, du bien et du vrai, dont Maurras était trop fin pour ne pas voir ce qu’elles avaient — déjà — de vieillerie poussiéreuse et d’impuissance au regard des temps et des événements. C’est simplement redire que la politique ne va pas seule, pas plus que la poésie, comme le rappelle Maurras en nuançant sur ce point les appréciations louangeuses qu’il vient de porter sur l’ouvrage de Louis Gillet. Poésie et Vérité, c’est aussi Politique et Poésie, comme Politique et Vérité.
Et c’est bien le programme lapidaire que trace déjà le jeune Frédéric Amouretti quand il déclare bravement au père de Marie Gasquet vouloir « mistraliser le monde ».