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Les Conditions de la victoire — I

Les nouvelles d'hier

22 août 1914

Nous voici entrés dans l'une des grandes semaines de la campagne. La grosse partie semble s'engager. Dans la Haute-Alsace, « les Allemands sont en retraite sur le Rhin 1 »… La route de Colmar nous semble ouverte. Mais, dans le district de la Lorraine qui mène à Strasbourg et à Metz, nous rompons et nous nous replions. Enfin, sur les champs de la mystérieuse 2 Belgique, de Namur à Anvers, de Namur à Arlon, l'invasion germanique dégorge à pleins flots. 3 Non qu'elle ait remporté aucune victoire, non que la défense ait molli, mais parce que les deux et peut-être les trois armées de la coalition ont eu la volonté de dérober le fer.

L'entrée dans une capitale ouverte est déjà montée au cerveau des Allemands. Ils rêvent de se l'annexer 4.

Les communiqués officiels s'étendent sur les opérations de la Haute-Alsace. Des éloges et des blâmes y sont distribués, les blâmes pour la phase de la première entrée à Mulhouse, les éloges pour les manœuvres qui ont abouti à la reprise 5. Si M. Clemenceau n'avait donné hier en tête de son journal une sorte de mise en demeure exigeant la rédaction et la publication de cette critique, nous ne nous permettrions pas d'en rien penser : nous demeurerions fidèles à notre règle qui est d'agir, voire de sentir comme si toute la direction gouvernementale était aux mains d'une poignée de héros du patriotisme, éclairés par le génie même de la patrie. Mais il nous déplaît d'avoir à constater qu'il a suffi à M. Clemenceau de récriminer pour se voir exaucé dans les vingt-quatre heures. Dira-t-on que M. Clemenceau en porte la grave responsabilité devant l'avenir ? mais cela n'a jamais gêné son incohérence. Ceux qui se laissent méduser par son tonnerre de carton devraient se dire qu'en fin de compte ils resteront un jour tout seuls sous le poids des initiatives prises de compte à demi avec lui.

Dans la rédaction de ces communiqués, je noterai, par contre, deux traits qui honorent les hommes qui en ont eu la pensée. En exposant et en commentant les erreurs ou les fautes qui se sont produites lors de la première occupation de Mulhouse, on ne nomme ni les troupes blâmées, ni le général qui se trouvait à leur tête 6. Ceci sera connu plus tard, à l'heure de la justice. Nous ne sommes encore qu'à l'heure de l'action. Ce n'est pas le moment de livrer le nom des soldats malheureux aux aigres discussions de la place publique. En revanche, après la description d'un mouvement habile couronné de succès, son auteur est cité. Le premier nom de général inscrit au Bulletin est celui que chacun prononçait à voix basse : le général Pau 7.

Charles Maurras
  1. Communiqué du 21 août. [Note de 1916 dans le premier volume des Conditions de la victoire où cet article est recueilli. (n. d. é.)] [Retour]

  2. « Mystérieuse » parce que les nouvelles en arrivaient parcimonieusement. (n. d. é.) [Retour]

  3. Le premier paragraphe s'arrête sur ces mots dans Les Conditions de la victoire. Nous rétablissons le texte manquant, comme plus bas. En revanche nous négligeons la rubrique « Les réponses de nos amis ». (n. d. é.) [Retour]

  4. Cette dernière phrase manque dans le recueil de 1916. Bruxelles était tombée aux mains des Allemands le 20 août 1914. (n. d. é.) [Retour]

  5. Les troupes françaises avaient pris Mulhouse le 7 août 1914. Devant l'affluence de renforts allemands, les Français se retirèrent jusqu'à Belfort les 9 et 10 août pour échapper à l'encerclement ; le 19 août d'importants renforts français envoyés par Joffre pour laver ce qu'il voyait comme une humiliation tentèrent de reprendre la ville, mais n'y parvinrent que fugitivement après d'importants combats dans un faubourg de la ville, à Dornach, le 19 août. Dès le 25 août les Français durent ressortir de Mulhouse et se replier, le front en Haute-Alsace resta ensuite stable durant toute la guerre et l'armée française ne rentra à Mulhouse que le 17 novembre 1918. (n. d. é.) [Retour]

  6. La force française attaquant en Haute-Alsace à partir du 7 août 1914 comportait, sous le commandement du général Louis Bonneau, le 7e corps d'armée, les 14e et 41e divisions d'infanterie, une brigade de la 57e division de réserve de Belfort et la 8e division de cavalerie. (n. d. é.) [Retour]

  7. Paul Pau (1848–1932), membre du Conseil supérieur de la guerre de 1909 à 1913, grand défenseur de l'autorité militaire face aux politiques, il est sorti de sa retraite par Joffre pour diriger les opérations en Alsace dans le cadre du plan XVII mais il doit battre en retraite après des succès initiaux, et devant l'aggravation de la situation générale, son armée est dissoute pour renforcer les troupes de la VIe armée sur la Marne. (n. d. é.) [Retour]

Ce texte a paru dans L'Action française du 22 août 1914, repris dans le premier volume des Conditions de la victoire.

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