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Le Pape, la Guerre et la Paix

Le Pape, le Guerre et la PaixRome et les barbares

Les Germains peints par eux-mêmes

22 octobre 1914.

Un pasteur de l'Église réformée, habitant Vernoux en Ardèche, vénérable vieillard de quatre-vingts ans, le Nestor du protestantisme européen, ayant connu jadis, en 1869, le prédicateur de la Cour de Berlin, M. le pasteur Dryander, lui écrivit tout au commencement de la guerre pour lui proposer une action commune : 1o de leur patriotisme respectif, qui les divise de sentiments et d'intérêts terrestres ; 2o de leur commune foi chrétienne qui les réunit dans le ciel, mais qui, dès lors, les oblige tous deux à employer toute l'influence dont ils peuvent disposer pour que la guerre soit conduite avec autant d'humanité que possible, pour que le vainqueur quel qu'il soit n'abuse pas de sa force, pour que les personnes et les droits des faibles soient respectés…

Au bout de six semaines, M. le pasteur Dryander répondit dans le Norddeutsche Allgemeine Zeitung, « sans avoir pris la peine d'en aviser son correspondant », note le Journal de Genève. Cette réponse est un refus. Et quel refus !

Après avoir consulté deux autres théologiens de son Église et de son pays, le docteur Lahusen et le licencié Axenfeld, qui ont signé la lettre avec lui, M. Dryander déclare repousser les propositions de M. Babut, non dans leur principe, mais pour un savoureux motif accessoire.

Nous les rejetons parce qu'il ne doit pas y avoir la plus lointaine apparence que, d'après nous, on ait besoin en Allemagne d'un avertissement ou d'un effort quelconque pour que la guerre soit conduite en accord avec ses principes chrétiens et suivant les exigences de la miséricorde et de l'humanité. Pour notre peuple tout entier comme pour notre état-major, il va de soi que la lutte ne doit être conduite qu'entre soldats, en épargnant soigneusement les gens sans défense et les faibles, et en prenant soin des blessés et des malades sans distinction. Nous sommes convaincus, en pleine connaissance de cause, que cette règle est celle de notre armée tout entière, et que, de notre côté, on combat avec une maîtrise de soi, une conscience et une douceur dont l'histoire universelle n'offre peut-être pas d'exemple… Quand l'inqualifiable conduite de populations odieusement égarées par leurs gouvernements a rendu indispensables la destruction de propriétés privées ou l'exécution de francs-tireurs, nos chefs ont considéré cela comme un pénible devoir qui les obligeait à faire souffrir aussi des innocents pour préserver nos blessés, nos médecins, nos infirmières d'attaques scélérates.

Quant à l'origine de la guerre, voici :

Depuis l'empereur jusqu'au plus modeste journalier, on n'aurait pas trouvé en Allemagne cent hommes conscients qui, je ne dis pas cherchassent, mais voulussent la guerre avec nos voisins. Nous sommes nous autres Allemands, le peuple le plus ami de la paix qui soit… Jusqu'au dernier moment, alors que déjà les filets d'une coalition sacrilège des peuples et des intérêts les plus disparates se resserraient sur nous, l'empereur et le chancelier ont poussé jusqu'aux dernières limites imaginables leurs efforts pour le maintien de la paix. Nous vous soumettons les explications de notre chancelier ; elles sont, dans leur claire et simple vérité, grandioses… Ainsi nous ressemblons, nous autres Allemands, à un homme paisible qui serait assailli en même temps par trois hyènes altérées de sang…

À cette soif du sang, la France joint un penchant « contre nature » pour la Russie et le dédain injurieux des avances courtoises que l'amoureuse Allemagne lui prodigue. L'Angleterre ajoute à sa complexion d'hyène « le seul amour du penny » qui lui a donné des mœurs d'« assassin ». Bref, jurent les trois pasteurs Dryander, Lahusen et Axenfeld, quand M. le pasteur Babut voudra obtenir de ses collègues prussiens leur adhésion aux déclarations chrétiennes qu'il sollicite, il devra commencer par « flétrir publiquement l'infamie de l'attaque, le crime sacrilège qui a rendu cette guerre possible ». D'ici là, rien de fait. Pas de « communion fraternelle » avec les trois peuples-hyènes rués sur l'honnête Germain, seul humain. Guerre à outrance, guerre à mort, même entre pasteurs du saint évangile !

Voilà comment jugent les hommes de paix du royaume de Prusse. Le manifeste des 93 a montré ce que leurs penseurs laïcs ont dans leurs fortes têtes. Menons l'enquête dans la région où c'est le sentiment et l'instinct qui prévalent. Le Temps d'avant-hier livrait à la publicité le journal de route d'un humble instituteur, sous-officier dans l'armée d'invasion, et tombé sur le champ de bataille. Je ne transcrirai pas les lignes où déborde la gloutonnerie nationale, mais voici une réflexion où se montre la naïve sauvagerie. Il vient de voir brûler Visé, réunir tous les habitants que l'on a pu trouver et fusiller un sur trois de ces pauvres gens. Raison donnée par ce sous-officier : la population avait tiré sur le commandant de brigade. Moralité tirée par le même : « Dès l'instant qu'il faut perdre la vie d'une façon aussi barbare, mieux vaut ne pas laisser pierre sur pierre dans de pareilles localités et massacrer indistinctement innocents et coupables. »

Dira-t-on que c'était la suite d'un ordre supérieur, et que le militarisme prussien est seul coupable ? Ce militarisme a bon dos. Nous penserons tout le mal que l'on voudra du militarisme prussien, et nous ne verrions qu'avantages à fusiller « sous les Tilleuls 1 », si nous les prenons vivants dans la Wilhelmstrasse, Guillaume et ses fils, grands chefs dudit militarisme, mais il est intéressant de savoir comment les volontés et les passions individuelles accueillent ces ordres et si elles les exécutent à contre-cœur ou autrement. Deux socialistes faits prisonniers ont déclaré qu'ils avaient été induits à des actes de traîtrise sous menace du revolver ; à supposer que les prisonniers allemands soient des modèles de véracité et que le succès de l'accusation contre les chefs ne les entraîne pas à la renouveler trop souvent et à supposer que ce ne soit pas un mot d'ordre convenu, on voudrait demander aux socialistes français si la menace du revolver suffirait à les faire agir, eux, comme les camarades.

Non, n'est-ce pas ? Cela juge la différence du Français et de l'Allemand, quelles que soient leurs conditions !

Un officier allemand, ne parlant qu'à lui-même, traitant de ses hommes et de lui, écrit dans un journal de route, traduit et communiqué par l'Agence Havas :

C'est l'heure où l'on se moque de tout sentiment de civilisation et d'humanité. Quand une poignée de soldats s'abat sur une maison, on peut être sûr qu'il n'y reste plus rien. Tous les instincts se réveillent avec une terrible puissance. Le soldat qui a entendu siffler les balles et éclater les obus se dit : — Pourquoi, si aujourd'hui une occasion favorable s'offre, dois-je m'imposer une privation ? Demain, peut-être, je serai mort… Et tous se précipitèrent dans la cave et sur les provisions comme des fourmis sur un rat mort.

La nature allemande parle là toute pure. Les prédicateurs de Guillaume II nous assimilent à l'hyène altérée de sang, mais ses soldats se rendent eux-mêmes justice en se comparant à des fourmis avides et folles. Le ridicule de cette langue, où la pensée ne va jamais sans lourdes images, oblige à concevoir ce peuple sauvage véritablement comme il est : race-enfant, esprit grossier, force rudimentaire qui n'excelle qu'à tout casser.

Les affaires d'Orient

5 novembre 1914.

L'Allemagne a poussé les Turcs à la révolte dans le même sentiment qui lui a fait bombarder la cathédrale de Reims. C'est un acte de désespoir : « Je ne peux ni vous vaincre, ni vous conquérir, je m'en vais vous faire du mal… » Le mal, ce sera, en l'espèce, des massacres de chrétiens en Asie Mineure.

Nous comptons bien, avec les Débats, que d'énergiques démonstrations franco-anglaises, si l'Angleterre et la France ne perdent pas de temps, arrêteront sinon l'idée et le projet, au moins les premiers essais de massacre. À cet espoir, il convient d'ajouter un mot : les crimes qui menacent ne doivent certes pas rester impunis, mais il faudrait désirer surtout qu'ils fussent compris et que leur intelligence donnât un avertissement fructueux.

Nos missions en Syrie et en Asie Mineure ne sont pas l'effet du simple zèle individuel engagé à ses risques et périls. De puissantes collectivités catholiques françaises y ont implicitement engagé le nom, l'honneur, presque le drapeau de la France. Toute notre histoire les y engageait, au surplus. Des miracles d'administration généreuse et prévoyante ont été faits là-bas, d'incomparables succès y ont été remportés ; succès prestigieux et qui faisaient pâlir de jalousie haineuse l'effort de nations plus riches d'or ou, d'États mieux armés du fer. Cependant une chose y a manqué depuis une trentaine d'années, l'autorité armée, la voix et l'appui du canon. L'Orient nous a entendus nous calomnier et il a entendu nos calomniateurs renchérir. Bien que les guerres balkaniques où notre Creusot a brillé autant que notre École de guerre, aient relevé dans une forte mesure le prestige du « canon franc », il nous manquait encore quelque chose de ce côté. Il n'est pas au pouvoir de l'initiative privée, si vive et si noble soit-elle, de remplacer tout à fait la fonction des gouvernements. Le nôtre a été longtemps distrait et absent. Cette distraction, cette absence pourraient bien être la cause directe de la redoutable effusion d'un sang d'autant plus précieux qu'il sera tiré des veines d'amis, de protégés de clients traditionnels de la France. Les hauts personnages français qui, depuis si longtemps, affectaient de se désintéresser devant nous de ce qu'ils appelaient la « forme du gouvernement » et nous montraient une France du Levant unie et forte sous un autre ciel, par ces œuvres de bienfaisance, d'évangélisation, d'instruction et de civilisation, comprennent-ils maintenant ce que nous voulions dire lorsque nous écrivions « politique d'abord » ?

Nous ne voulions pas les arracher à leur œuvre ni certes la déprécier. Nous voulions la fortifier, la défendre et la garantir. Des missionnaires le comprenaient. Ils nous l'écrivaient, ils sont venus nous le dire. Ce sont leurs protecteurs de France que nous n'avons pas convaincus. Puisse leur cruelle indifférence à la force ou à la faiblesse des remparts de notre cité ne pas coûter trop cher à nos citoyens ! Bien appliquée, notre maxime, trop discutée et trop diffamée, notre politique d'abord eût commencé par constituer en France un État assez vigilant pour empêcher l'Allemagne de tenir une place exorbitante à Constantinople ou plutôt de nous y enlever notre rang… De l'incurie diplomatique, cela vous fait l'effet de simples fautes d'orthographe sur du papier à tranches d'or… Regardez mieux. De plus près, c'est du sang humain.

À la Sorbonne : de la force

8 novembre 1914.

La Sorbonne, on ne l'ignore pas, est une grande blessée. Elle a été blessée par l'Allemagne, non dans la guerre, mais dans la paix. L'une des principales opérations d'avant-guerre aura été de s'emparer de l'illustre place forte universitaire et d'y installer un culte insensé de l'esprit germain. Ses principaux maîtres, ceux qui la dirigent encore aujourd'hui M. Croiset 2, M. Séailles 3, ont germanisé à l'infini. Sont-ils guéris ? Sont-ils seulement en convalescence ? Jeunes gens, nous ne pouvons aimer à vous induire en défiance contre des maîtres. Ces maîtres ont été des adversaires. Ils sont vaincus, terriblement vaincus par l'événement ; sans parler du respect dû aux chaires où ils siègent, ils méritent un traitement plein de générosité qui doit aller, s'il est possible, jusqu'à l'affection. Mais la critique peut être affectueuse, et nous ne saurions laisser passer la leçon d'ouverture prononcée par M. Croiset sans en faire sentir les deux ou trois erreurs profondes persistantes et sans doute voulues. L'éloge qu'en fait M. Séailles dans les journaux établit que l'intervention fera du bien.

Ces messieurs ne prononcent ni n'écrivent plus un mot sans s'élever contre le culte de la force, contre la force elle-même, identifiée ou non à la force brutale. Il ne faut pas laisser courir sur cette pente. Il n'y a pas à diviniser la force, il n'y a pas à l'avilir non plus. La force est bonne en soi.

— Oui, d'accord, la force au service du droit.

— Non, pas d'accord sur des confusions !…

Accordons-nous sur des idées nettes. Le service, bon ou mauvais, auquel on met la force, c'est une question ; le prix de la force en soi est une autre question. Nous parlons de la force pure. Moralement, la force est une vertu et, physiquement, c'est un bien.

— Il ne faut pas en abuser.

— Il ne faut abuser de rien, ni du vin, ni de l'eau, ni de la viande, ni du pain, ni même, saint Paul l'a dit, de la sagesse. Mais mettre les jeunes Français en défiance contre la force, c'est les affaiblir et, en un sens, les trahir à cette heure où ce qui presse, c'est de leur inspirer le désir d'être forts, à tous les points de vue, et de rechercher les conditions naturelles de la puissance tant pour leurs personnes que pour leurs pays.

Mais, disent les professeurs, c'est ce qu'on enseigne en Allemagne !

Nullement. Ce que l'Allemagne enseigne, consacre et admire, ce n'est pas la force en tant que force, c'est la force en tant qu'allemande. La défiance de la force peut paraître un état d'esprit inoffensif ; un peu fouetté et stimulé, ça conduit à siffler le drapeau, à conspuer les « galonnés », à refuser des canons et des munitions à l'armée… On me permettra de dissuader nos professeurs de placer de nouveau la Sorbonne dans ce courant ; le plus bel héroïsme du monde pourrait bien ne pas nous sauver cette fois. Vive la France signifie vive notre force française. On invoque la Grèce, Rome ? C'étaient des peuples très forts.

On n'a peut-être pas été non plus très heureusement inspiré en Sorbonne quand on a loué presque sans mesure cet esprit de finesse, qui est fait de mesure, et qui, sous peine de languir et de périr, appelle son complémentaire, l'esprit de géométrie. C'est de rigueur, c'est de logique, c'est de ferme clarté rationnelle qu'ont besoin nos jeunes générations combattantes. Si l'on est convaincu que la Révolution est le terme de notre évolution historique et qu'elle a condensé la philosophie traditionnelle de la France, il ne faut pas craindre de le dire, mais il importe d'éviter de prouver faiblement ce hurlant paradoxe. La déclaration des Droits exprime Rousseau et Luther, c'est-à-dire un retour à l'individualisme barbare de source germanique. Et la Terreur exprime une barbarie de même origine. Enfin, mêler, confondre les vainqueurs de Bouvines, qui ont sauvé le pape, et la Révolution, qui l'a emprisonné, Jeanne d'Arc qui a reconquis le territoire et les Napoléon qui l'ouvrirent trois fois, unifier ces contraires au moyen du terme flottant et vide d' « idéalisme », c'est peut-être une rhétorique ingénieuse, mois je dois dire qu'elle vient tout droit d'un certain Hegel, qui n'était ni Anglais, ni Belge, ni Russe, ni Serbe, pas même Français.

Et puis, ce n'est pas fort !

Chefs et docteurs

12 novembre 1914.

Nous ne nous montrons jamais bien chatouilleux ni difficiles sur les paroles prononcées par les hommes qui ont la responsabilité de conduire la France dans les graves circonstances que nous traversons. Ils parlent selon leur éducation politique, leurs préjugés et les pentes connues du vocabulaire usuel. Mais, si un ministre subit l'esprit public, un maître de Sorbonne le fait. Voilà pourquoi nous épluchons les discours et les écrits de MM. Croiset, Boutroux et Séailles. Voilà pourquoi nous nous sommes gardés de faire subir la même épreuve aux dernières manifestations oratoires et littéraires de la présidence du Conseil et de la présidence de la République. Nous avons même été reconnaissants à M. Viviani de certaines paroles exactes qu'il a mêlées dans son discours de Reims à ce qu'il me permettra bien d'appeler les préchi-précha juridiques de la démocratie. Il a su parler d'un bombardement impie. Il s'est défendu de médire de la force quand la force est en train de sauver la patrie française. Sans doute, nous conservons nos préférences pour l'oraison concise et forte de ce général commandant un camp retranché qui a dit sur la tombe d'officiers morts pour la France : « Comme eux vous êtes tous prêts à faire votre devoir et à prouver qu'une chose importe, c'est le salut de la patrie. » Mais chacun n'est pas obligé de parler à la romaine et il existe des avocats éloquents. Leur parole emprunte ses figures au trésor des lieux communs qui sont courants et ces prêtés-rendus au vœu des auditoires sont parfois ce qui explique le mieux leur succès. Il n'y a qu'à applaudir comme tout le monde et à s'en aller satisfait tant que le bon sens et le goût ne sont pas offensés.

Par contre, nous ne saurions goûter ce genre de satisfaction ni montrer la même endurance lorsqu'une église ou une congrégation enseignante, telle que la Franc-Maçonnerie, dans un ordre du jour destiné à représenter le symbole d'une foi, foi expliquée à des adeptes, foi proposée par des prosélytes à des catéchumènes, écrit sur une même ligne, pour mettre ces deux idées sur le même pied, que « la force et la haine ne peuvent servir de base à une civilisation ». Il devient nécessaire de signaler l'erreur grossière à tous les esprits capables de réflexion. Sans tenter d'opposer à la rue Cadet que le catholicisme fit de la vertu une force, on pourrait l'inviter à méditer utilement le mythe d'Hercule, accueilli, modelé et perfectionné par le plus spirituel des peuples connus.

Les idées de M. Buisson

Quant au manifeste que M. Buisson vient d'écrire au nom de la Ligue des Droits de l'Homme pour raconter « le duel à mort de deux religions, la religion de la force et la religion du droit » (qu'il serait assurément plus sage de combiner) et pour dire en somme qu'il n'a rien appris ni rien oublié, le lecteur situera et jugera ce manifeste quand il se sera rappelé la biographie de son auteur.

Avant 1870, M. Buisson lançait au Congrès de Lausanne la fameuse malédiction contre les « trois livrées » : celle du prêtre, celle du magistrat, celle du soldat. Ce libéral anarchisait. Mais, à la même époque, le monde libéral et démocrate exigeait la suppression des armées permanentes dans son programme de 1869, réclamait une armée qui n'en fût pas une et, pour empêcher le maréchal Ney de transformer la France en caserne, transformait notre patrie en un cimetière. Après la défaite de nos armées et l'éviction de la République conservatrice, M. Buisson fut appelé par Jules Ferry à la direction de l'enseignement primaire ; une courte conversation entre le ministre et son lieutenant témoigna que les vieilles gourmes étaient jetées, les folies de jeunesse passées et bien passées. M. Buisson, devenu homme de gouvernement, était prié, en somme, d'adoucir ses angles. Il les adoucit en effet. Mais, avec toutes les réserves d'expression nécessaires, il s'occupa activement de deux choses : imposer à l'enseignement primaire la morale indépendante tirée d'un kantisme anarchique et persuader les Français des origines françaises de l'anarchisme huguenot, le mouvement de Réformation ne devant, d'après lui, rien à l'Allemagne, rien à Luther, et ayant été une génération spontanée, sur notre sol, par Lefèvre d'Étaples et Sébastien Castelion.

Ainsi l'esprit anarchique de la Réforme était débarrassé de l'étiquette allemande qui nous eût mis en défiance et cet esprit luthéro-kantien était imposé d'office au nom de l'État français aux petits Français.

Je ne puis rappeler quels résultats directs, quels contrecoups indirects détermina dans nos affaires politiques, en particulier dans nos affaires militaires, cet enseignement de l'anarchie au nom de l'État. Le cœur et la fibre profonde d'un peuple né guerrier ne furent pas touchés ; mais la tête fut bien malade à la suite de toutes ces blessures profondes ! Des erreurs innombrables, des méprises sans nom furent prodiguées. Cet État, dont l'enseignement avait pris une part si décisive au mal en fut, par très juste retour, douloureusement affaibli et décomposé. Cette crise de l’État français pendant les dix-huit dernières années n'a certainement pas été étrangère au calcul, heureusement illusoire, de l'envahisseur ; le fait a été admis par tout le monde en France et en Suisse, par les critiques militaires du Journal de Genève et par les plus graves anonymes du Temps. Dans ces lents travaux d'érosion latente, l'anarchie pédagogique de M. Ferdinand Buisson porte le poids de responsabilités extrêmement lourdes.

Qu'en pense-t-il ? Il vient de le dire. Il pense comme après 1870 ; si les dieux immortels lui prêtent encore un long âge, il recommencera.

Je ne répondrai que trois mots :

— Pas la France !

La liberté d'esprit de l'Université catholique

25 novembre 1914.

Notre ami Louis Dimier me permettra d'ajouter un mot à la note, si forte, qu'il a donnée hier sur la réponse de l'Université catholique de Paris aux intellectuels allemands. Qu'il me permette de répéter après lui le terme par lequel il a caractérisé cette page également digne de l'étude et de l'admiration. Elle émane d'esprits libres, a-t-il écrit. Et il a dit de quelles chaînes de superstitions germaniques étaient affranchies les cinq Facultés de la rue de Vaugirard. Il a ramené cette liberté d'esprit au fait de professer et d'enseigner le catholicisme. Est-ce absolument un pléonasme que d'ajouter, de mon point de vue, au fait de n'être pas tenues au respect dogmatique de la Réforme, au fait de n'être engagées en aucune manière à révérer, historiquement ou philosophiquement, la nation et la patrie de Luther ?

Soit en répondant au fameux article de M. Boutroux de la Revue des deux mondes dans notre Revue de la presse du 17 octobre, soit en toute autre occasion, nous avons dû répéter que la critique du pangermanisme ne pouvait s'arrêter à Fichte, il faut remonter au premier patron de l'individualisme moral, à Kant, et Kant ne se comprend pas sans Luther, le grand sécessionniste de la civilisation européenne, le patron de l'individualisme religieux.

Luther, « l'homme allemand », disait Fichte, nous dirions volontiers le grand Barbare et, par voie d'équivalence, le grand Anarchiste. Rousseau, à qui la Critique de la raison pratique doit beaucoup, mais qui, à son tour, doit beaucoup à l'esprit philosophique et politique de la Réforme, importa en France le même esprit de division et de sécession germanique. Nous ne disons pas, comme on nous le ferait dire, qu'il faut mettre Rousseau hors des Lettres françaises, nous disons qu'il en a rompu la tradition. Par lui, au schisme européen succéda un schisme français ; cette Révolution dite française qui suscita deux Frances, ces deux Frances qui, peu à peu, par les efforts douloureusement redoublés du champ de bataille, de la méditation et de la discussion, remontent avec peine et lenteur jusqu'au sentiment de leur antique unité.

Si forte, si instante que soit la leçon des faits ou celle des idées, il n'est pas facile à des maîtres officiels, installés au nom des principes de la Révolution, de reconnaître une leçon qui détruit les principes et l'esprit du gouvernement établi. Ce Kant à qui la proclamation des Droits de l'Homme et du Citoyen faisait modifier sa promenade somnambulique, ce Luther qui remplit l'éloquence de tous les prophètes, pères et docteurs du régime, celui-ci maître de Rousseau et celui-là son disciple, comment les impliquer dans la critique du pangermanisme, sans avouer l'essence proprement germanique des idées de Rousseau, et par là de tous les différents modes d'anarchie et de sauvagerie systématisées que, depuis 1789, nous appelons libéralisme ou démocratie ?

C'est de dire cela que les chaires publiques n'étaient pas libres. C'est de taire cela qu'un enseignement qui ne vient pas de l'État, mais qui est très français, s'affranchit spontanément devant l'ennemi.

Science, barbarie : et quoi ?

4 décembre 1914.

Dans le dernier discours qu'il a prononcé aux armées, M. Poincaré a reparlé, non sans raison, de la barbarie savante propre à l'Allemagne ; depuis, M. Delafosse, sans contester la justesse de l'observation, a reconnu qu'elle posait le problème sans le résoudre. D'après M. Delafosse, les termes de science et de barbarie peuvent se rejoindre dans une phrase et donner ainsi une antithèse piquante pour l'œil, pour l'oreille, même pour l'esprit. Mais ce léger piquant sert à faire sentir qu'il y a là un point à résoudre, bien loin qu'il y soit résolu. Que la science soit barbare, que la barbarie soit savante, ces faits, même établis, restent scandaleux comme tout rapprochement de termes antagonistes. Comment ces faits existent-ils ? Qu'est-ce qui les fait être ? Comment peut-on devenir savant sans cesser d'être barbare ? Comment la science peut-elle s'accommoder de la barbarie ? Voilà ce qu'il faut expliquer, ce qu'on n'explique pas. Il manque un moyen terme qui rende intelligible ce qui est constaté, et personne ne fait mine de l'apporter.

C'est qu'il faudrait tenir compte du fait philosophique, du fait historique et moral que nous avons signalé de tout temps, sur lequel nous ne cessons de revenir depuis six semaines, depuis que M. Émile Boutroux, à qui il eût appartenu de le définir, l'a négligé sans doute en vertu des raisons d'État du régime. Pour éviter de toucher à Kant, demi-dieu de la démocratie libérale, pour éviter un autre de ses patrons, Luther, M. Boutroux a négligé de voir ou de dire l'essentiel, à savoir que, depuis le XVIe siècle, par la doctrine du libre examen et de la souveraineté du sens propre, l'Allemagne, autrefois participante de la civilisation européenne, a fait schisme, puis régression, puis un vrai retour à l'état sauvage ; que la science de l'Allemagne, bénéficiant de la vitesse acquise, s'est développée d'une part, mais que sa philosophie théologique et morale a été, d'autre part en recul constant, car l'individualisme absolu, tel qu'il se dessina chez Kant, dut aboutir à un anarchisme effréné, chaque être ayant qualité pour faire un dieu de son « moi »… Mais cette apothéose du « moi » se tourna, grâce à Fichte, à diviniser le « moi » allemand, la nature de l'Allemagne, considérée comme être parfait, type pur, modèle absolu de toute chose, et ainsi toutes les aberrations, toutes les grossièretés, toutes les férocités naturellement impliquées dans le caractère allemand se trouvèrent monstrueusement accrues et multipliées par le culte de la morale en cours. Il n'y eut plus ni vrai ni faux, ni bien ni mal, mais seulement allemand et non-allemand comme dans le jargon de la même école, moi et non-moi. De là, la conception de « science allemande ». De là une morale allemande. De là l'abolition de toute connaissance et de toute vertu qui se flatteraient d'être défavorables ou simplement extérieures à l'Allemagne. De là une anarchie intérieure très complète et ramenant dans la direction de la vie sauvage, bien que coïncidant avec toutes les ressources matérielles que la civilisation met au service des peuples.

Ce rapide tableau est, il faut l'avouer, incommode pour ceux qui traînent dans leur bagage le buste de Rousseau, la Déclaration des Droits de l'Homme et les idées de la Révolution. Mais les autres êtres humains sont libres de voir qu'aucun trait esquissé n'est faux et qu'il contient exactement l'explication que l'on demande. La vie même matérielle de l'Europe moderne leur paraît suspendue, au point de savoir qui vaincra, de l'individualisme germain venu de la Réforme et de la Révolution ou des idées générales qu'élabora le genre humain au cours d'un mouvement civilisateur qui trouva ses formules les plus complètes dans le catholicisme romain.

Pangermanisme, révolution

25 décembre 1914.

Nous savons que, en Allemagne, le sentiment individualiste se transforme dans le sentiment pangermaniste absolument comme le sentiment libéral dans le sentiment jacobin, en vertu des mêmes lois de l'esprit, de la nature, de l'histoire. Les fortes analogies des septembriseurs et des tricoteuses avec les massacreurs allemands sont constantes et symétriques. Ici, la barbarie d'un peuple. Là, la barbarie d'une faction. L'une et l'autre exercées au nom d'une philosophie à racine individualiste. L'une et l'autre au nom d'une révolte contre la civilisation catholique romaine et les traditions de la France. La Terreur est l'aboutissement naturel de la Déclaration des Droits de l'Homme et de la sensiblerie de Rousseau, comme l'impérialisme de Fichte est l'aboutissement naturel de l'individualisme de Kant et de la sensiblerie allemande dressée en système. Ces choses-là se tiennent par des chaînes de rapports infrangibles, que nous n'avons pas fabriqués et qu'il ne dépend de personne d'abolir, mais que l'on peut connaître ou méconnaître, dévoiler ou voiler, selon la place que l'on occupe dans le monde, selon que l'on défend les intérêts de la vérité où ceux d'un parti.

Plusieurs fabricants d'illusions politiques, morales et sociales sont à l'ouvrage. Ceux qui, il y a vingt ans, dans la Sorbonne philosophique, tiraient, selon le grand mot de Vaugeois, tiraient comme un rideau sur la moitié de l'œuvre d'Auguste Comte, ceux qui, dans la Sorbonne historique, étouffaient de leur mieux cette haute doctrine de Fustel de Coulanges que nous avons dû exhumer et restaurer de nos mains, ceux-là, les mêmes et leurs héritiers, ont fait savoir par des notules variées dans les feuilles officieuses qu'ils s'attelaient à des publications, à des conférences, sur les « leçons de la guerre », leçons que l'on arrange pour engourdir, aveugler, insensibiliser de nouveau le peuple français et le replonger plus ou moins consciemment sous l'influence des sophismes et des confusions d'Allemagne. Les mêmes apôtres de l'inconscient, de l'intuition et du sentiment s'y emploient. Il faut leur opposer les réfutations énergiques de ce que Léon Daudet appelle fièrement « la Raison mère de la clarté ». L'auteur de L'Avant-Guerre a déjà sonné un beau réveil. L'auteur de Hors du joug allemand redouble son premier bienfait 4.

Le fédérateur allemand en Belgique

8 janvier 1915.

Comme nous le disions dès le dixième jour de la guerre 5, Guillaume II méritera le sobriquet de fédérateur ; singe malheureux des rois de France qui fédéraient l'Europe autour de leur spectre, ce fédérateur à l'allemande aura réussi à réunir et à coaliser ennemis, concurrents et jusqu'aux simples indifférents contre lui.

C'est lui, disions-nous, qui a soudé la Russie à la Serbie, la France à la Russie, la Belgique à la France, l'Angleterre à la Belgique, et nous prévoyions que son arrogante et grossière prétention allemande, l'hubris traditionnelle du Barbare germain sauraient bien extraire de la nature des choses, de la révolte spontanée du cœur humain de nouveaux alliés en armes, écœurés de ses insupportables provocations. Nous n'osions pourtant pas prévoir que ce parfait Syndic de la Nation et de l'Histoire allemandes finirait par se mettre à dos le catholicisme et l'Église. C'est ce qu'il vient de faire en Belgique. C'est à ce résultat que tendent ses fureurs de Malines, véritables aveux d'une complète brutalité d'esprit, d'une absence d'âme parfaite.

Parce qu'on le lui a dit, parce qu'il l'a lu dans les livres, Guillaume II croit savoir suffisamment que l'Église est une puissance. Pour correspondre à cette notion, les émissaires de sa diplomatie ont tenté d'infester les pays catholiques et de souiller de leurs mensonges jusqu'aux degrés du Vatican. Mais en même temps, et sans que la contradiction soit sensible à son esprit teuton, cet empereur des Boches se figure qu'il lui sera loisible de mettre des sentinelles dans les églises belges, d'y contrôler les prédicateurs et de s'opposer par la force matérielle, ici tout à fait vaine, à la propagation du chef-d'œuvre de lucidité intellectuelle, de courage civique et de véracité sacerdotale que l'archevêque de Malines, primat de Belgique et prince de l'Église, vient de lui jeter au visage !

Le fédérateur allemand ne s'est pas douté que, même d'un point de vue très strictement humain, il allait mettre contre lui les plus hautes puissances immatérielles qui soient au monde, celles de l'esprit pur organisé et perpétué par l'Église.

Le cardinal Mercier

Tous ceux qui réfléchissent suivront la lutte avec passion. Déjà, comme le portrait du cardinal Mercier est partout, il est facile de saluer le vainqueur. C'est ce visage maigre et fin, aux yeux brillants. C'est ce front inspiré, ces joues creusées d'ascète, de moine et de penseur.

Nous n'avons jamais été assez niais pour négliger comme Bergson le facteur de l'organisation matérielle à la guerre ; mais dans cette guerre-ci, portée par Guillaume II sur le terrain du sentiment et de la pensée, terrain dont il n'est pas le maître, mais où son adversaire règne et gouverne de si haut, le fédérateur est déjà perdu. Il est perdu par sa sottise. Sa perte sera consommée par la qualité de son incomparable adversaire.

Le cardinal Mercier, c'est tout d'abord l'autorité, l'influence, le prestige, l'incalculable et, comme disait Bismarck, l'impondérable du catholicisme universel. Le rêve gibelin s'en trouve fracassé. La vieille idée guelfe, que la France relève une fois de plus, peut s'en accroître encore si nous savons nous y prendre, si nous savons faire notre devoir de peuple auprès de « l'homme blanc » qui succède aux Grégoire, aux Sylvestre, aux Innocent, aux Pie… Première menace qui accable la folie boche. Il y en a une seconde dont tout lettré au courant des choses doit témoigner : c'est la haute valeur personnelle des travaux et de la pensée du cardinal Mercier. Plusieurs fois ici, louant cette Belgique qui n'est plus seulement la « mère des beffrois » que Verlaine a chantée et qu'il faut appeler désormais la Mère des hommes, magna parens, nous avons eu l'honneur de rendre quelque justice à l'importance philosophique du cardinal. Mais voici qu'aujourd'hui, au Journal des Débats, un spécialiste très estimé des études scolastiques, M. G. Lechartier, décrit avec une vérité éloquente le cycle parcouru par ce qu'il nomme justement cette « très grande pensée ». Restaurateur des études thomistes à l'Institut qui portait son nom à Louvain, le cardinal Mercier a fondé une école déjà pleine de gloire et dont la pensée allemande a subi « sur le terrain kantien » de mémorables coups. Les Boches qui ont brûlé la bibliothèque de l'Institut Mercier ont usé de la réfutation à leur portée.

M. Lechartier note aussi « l'influence magnifique » exercée pendant vingt ans sur les « destinées de son pays », « auprès d'un très grand roi et d'accord avec des ministres admirables », par le cardinal de Malines. Cette action déployée dans les jours heureux pâlira nécessairement auprès de celle qui se développe dans les jours sombres, brillante et fulgurante comme le feu du ciel, sur la tête du roi des Boches et sur sa prétendue puissance :

Cette puissance n'a pas d'autorité légitime… Le seul pouvoir légitime en Belgique est celui de notre roi, de notre gouvernement et des représentants de la nation…

Il ne suffisait pas à Guillaume II et à ses lieutenants de s'être attiré cette indélébile sentence d'une usurpation misérable, d'une occupation cruelle et immonde. Ils essaient de partir en guerre contre elle, ils lui adressent des soldats armés de fusils, de sabres et de canons, ils montent la garde autour d'elle, ils la traitent comme si elle était capable de mourir. Les sauvages de l'Europe centrale, qui s'appliquent de tout cœur à fédérer jusqu'au monde spirituel contre leur puissance, n'ont pas encore compris qu'ils étaient de toute part vulnérables à cet adversaire et qu'ils ne pouvaient même pas le toucher !

P. S. — Quelqu'un leur a-t-il fait signe que c'était trop gros ? Les Boches démentent. Mais l'on dément leur démenti, et cette histoire ridicule de traits tirés contre le ciel leur ressemble trop bien pour être inventée tout entière.

Le Lusitania

10 mai 1915.

Le nouveau forfait allemand sur la mer d'Irlande permet de prendre une idée exacte de deux grandes misères de l'âge auquel nous sommes nés. Les moyens de destruction violente et rapide atteignent à la majesté des autres moyens d'action de l'humanité. Aux paquebots géants qui transportent la population d'une ville correspondent des charges d'explosifs capables de les faire disparaître en quelques minutes et qui réussissent, en effet, tout ou partie de ces coups sinistres.

Pour contre-balancer le résultat de ce progrès funeste, il eût fallu qu'à ce progrès tout matériel correspondît, au même degré, l'amélioration, l'éducation et l'embellissement des âmes humaines. Il n'en est rien. Non seulement il n'en est rien, mais il y a le pire. Pour des causes historiques, dont la plus ancienne est la réforme du XVIe siècle, qui scinda la république chrétienne et dont la plus proche fut cette Révolution dite française qui détruisit le reste d'union européenne et exaspéra les mouvements nationaux, les hommes d'aujourd'hui se sentent infiniment moins frères qu'il y a 500 ans, même qu'il y en a 200. Dans la patrie de la Réforme qui est aussi la patrie première des idées de la Révolution, les social-démocrates paraissent avoir adopté la notion de leur empereur sur les liens moraux entre les hommes ; pour eux comme pour Guillaume II, « l'humanité finit aux Vosges », et l'aveugle moi germanique, devenu Dieu, a décidé depuis longtemps que lui seul valait le sacrifice de toutes les nations et de tous les êtres. Il ne s'agit même pas de se faire servir par des vaincus. Il s'agit de les remplacer. Cela était démontré par les curieux transferts de populations jugées trop nombreuses, trop onéreuses sur le sol occupé de la Belgique et de la France du Nord. L'attentat dont les passagers innocents de la Lusitania sont victimes achève de prouver que nous sommes en présence d'une guerre à l'antique et à la sauvage : dépossession, extermination.

Un portrait du pape

19 juillet 1915.

J'ouvre le livre que M. Francis Charmes vient de publier sur la Guerre 6, je l'ouvre presque au hasard, à une page qui nous présente le pape, le nouveau pape, au lendemain même de son élection. Elle a paru le 15 septembre dans la Revue des deux mondes.

M. Francis Charmes, ancien sénateur, membre de l'Académie française, dirige cette revue, l'une des forteresses du libéralisme européen. Il n'a pas nos idées, nous n'avons pas les siennes ; mais il est de ces adversaires avec lesquels on peut communiquer par le moyen d'un certain nombre de vues et de tendances identiques, dont les principales sont le patriotisme et le sens commun. Or, que dit M. Francis Charmes au lendemain de l'élection de Benoît XV ? Je vous recopie son propos :

Parmi les cardinaux papabili, on avait parlé du cardinal Ferrata, qui a été autrefois nonce à Paris et y a laissé de bons souvenirs. Il l'avait été auparavant à Bruxelles ; il connaît le monde, il a acquis une grande expérience diplomatique. Le premier acte du pape a été de lui confier la secrétairerie d'État. Nous n'ajoutons rien de plus aujourd'hui, sinon que Benoît XV, à la cérémonie dite de l'hommage qui a suivi son élection, a serré dans ses bras le vénérable cardinal Mercier, archevêque de Matines, en lui disant : « Dans votre personne, c'est tout votre peuple que je plains, que je bénis. » Ce geste ira au cœur, non seulement de la Belgique, mais de tous ceux qui souffrent eu ce moment.

M. Francis Charmes parle du pape et de l'attitude du Vatican en d'autres endroits de son livre, en termes qui me semblent judicieux, nets, concordants avec ceux que l'on vient de lire. Mais c'est à ceux-ci, les premiers, qu'il faut s'en tenir pour se faire une idée définitive du successeur de Pie X. Le nouveau chef du monde catholique vient d'être élu. Au moment de prendre possession de ce trône, que fait-il ? De tant de cardinaux présents, dont plusieurs d'Allemagne et d'Autriche, il distingue le prince de l'église martyre, et c'est lui qu'il serre paternellement dans ses bras, en lui adressant les plus délicates, les plus intimes, les plus douces consolations.

J'en croirais bien notre ami Louis Dimier ou nos confrères MM. Fernand Laudet et René Bazin s'ils me rapportaient cette histoire. Ils sont honnêtes gens, incapables de simuler. Mais enfin, ils sont catholiques, et pratiquants, et militants. Nous avons tous un fameux sens critique en garde éternelle contre ces hommes de foi… Tandis que, M. Francis Charmes, s'il nous rapporte des paroles et des actes de Benoît XV, cela ne peut pas être pour nous édifier ni pour se monter la tête. S'il l'a dit, c'est qu'il l'a vu ou bien su de première main. Je conclus qu'il faut ajouter foi à son portrait du pape. Et s'il s'accorde avec les portraits tracés par Dimier, par MM. Laudet et Bazin, c'est qu'il concorde avec leur modèle à tous les quatre et que M. Clemenceau n'est qu'un imposteur.

La résolution de La Haye

15 août 1916.

La conférence des partis socialistes des États neutres s'est réunie à La Haye, belle ville, mais bien funeste au pacifisme. La résolution qui vient d'y être votée à l'unanimité mériterait de faire réfléchir les intelligences libres et devrait même décider les autres à briser plusieurs clichés qui servent encore à bourrer le crâne des nations et des individus.

Après de vagues imputations adressées à l'être de raison dénommé le Capitalisme, fameux responsable des guerres, et à ses dérives, le sieur Impérialisme et le sieur Militarisme, deux épouvantails à moineaux qui se fichent un peu des bons adjectifs qu'on leur jette, mais qui pourront un jour être estimés bien commodes et bien utiles par Guillaume II, la résolution de la Haye prend les choses où il faut les prendre quand on veut faire les affaires des Boches et de leur Empereur.

Si c'était chez le pape !

Elle prend acte du « spectacle des crimes sans nom, des misères matérielles et morales indicibles, d'un ébranlement économique formidable » et « de la perspective de voir les budgets des États chargés de dettes toujours croissantes… » Ces faits bien vus, les neutres socialistes n'en recherchent pas les auteurs, qui obligeraient à juger et à condamner ; ils n'en veulent concevoir que le résultat dans un avenir immédiat et prochain :

— Qu'est-ce qui va arriver ?

Cette suite est-elle envisagée comme le châtiment et la rançon des crimes et des fautes boches ? Point du tout. Nos socialistes impartiaux écrivent froidement ce qui peut causer le maximum de satisfaction sous les Tilleuls :

Ces deux années ne nous ont pas apporté une décision ni de l'un ni de l'autre côté. Il est même douteux que l'avenir nous apporte cette décision et il n'apparaît pas comme désirable qu'un des groupes belligérants réduise ses adversaires à merci.

On peut se demander ce que prendrait le Vatican si le moindre chambellan de la Cour papale avait osé rendre publiques des déclarations dans ce goût. Fin de la guerre en partie nulle. Et souhait, cynique souhait que l'impunité la plus monstrueuse reste acquise aux agresseurs de l'Europe, aux perturbateurs du monde habité !

Catholicisme et germanisme

17 septembre 1916.

On a vu et touché par l'utile voyage de Mgr Baudrillart et d'un certain nombre d'autres catholiques dévoués, prêtres et laïques, l'avantage positif qu'il y avait à ne pas laisser sans emploi et sans fruit la religion, les traditions, les mœurs de l'immense majorité des Français vivants et morts. Il y a une espèce d'innocence effrontée à vouloir s'adresser aux races latines en faisant abstraction du plus grand fait de leur histoire, qui est le catholicisme. Les diverses revues de peuples latins ou nations latines qui affectent de l'hostilité au catholicisme seraient sages d'y réfléchir. Il y a 40 ans, elles auraient pu juger que la libre pensée, ou l'évolution, ou je ne sais quoi, étant définitivement venu à bout de cette doctrine et de cette discipline, aucun service n'en pouvait plus être espéré. Aujourd'hui, doctrine catholique et discipline romaine sont plus jeunes, plus vertes, plus vivaces qu'en aucun temps. Il n'y a plus rien contre elles que des haines : pas une idée. Ce sont les idées dites modernes qui, proprement, sont mortes, qui ont perdu tout ressort, toute efficacité, toute ardeur. Elles sont fausses, en outre, comme aurait bien dit Moréas. Mais elles l'ont été de tout temps.

La défaite subie par l'Allemagne n'aurait certes pas suffi à entraîner le discrédit ou le dessèchement des méthodes individualistes et panthéistiques telles qu'elle les incarne sous des apparences diverses depuis plus d'un siècle. Cette défaite sert à faire constater une déchéance déjà reconnue. Ce qui achèvera de disparaître c'est le prestige et le préjugé d'une majesté usurpée. On a vu comment Gabriel Monod, après 1870, félicitait de leur clairvoyance, avec un singulier mélange d'estime et d'ironie les jeunes zouaves pontificaux pour qui la défaite de la France était celle de Rome ; la victoire de la France et de ses alliés aura quelque chose de romain au sens précis où l'entendait l'auteur très peu suspect d'Allemands et Français.

Est-ce qu'on va dire que j'embauche la religion au service d'une moitié de l'Europe contre l'autre moitié ? Il me suffit de prémunir nos néo-romanistes, nos néo-latinants contre le danger d'un acte de négligence ou de dédain envers le fait historique de notre éducation, de notre tradition catholique, part intégrante et dominante de la latinité. Les habitudes de l'esprit classique en font ainsi partie ; cette façon de concevoir la science, les lettres, les arts, la vie de société, les disciplines de la pensée y déterminent le goût et même la passion raisonnée de l'ordre. C'est le contraire de l'esprit révolutionnaire.

Civilisation latine, esprit latin

22 octobre 1916.

La visite d'intellectuels espagnols va, naturellement, provoquer une nouvelle débauche d'invocations à la communauté latine. C'est un point sur lequel nos idées sont très arrêtées. On nous soupçonnera difficilement d'hostilité essentielle au latinisme et à la latinité. Cependant, nous aimons à préciser les termes en disant qu'il ne faut pas les comprendre à la boche, dans le sens d'une pure parenté physique et d'une unité ethnique ou matérielle. Nous parlons d'un esprit latin. Nous parlons plus précisément, d'une civilisation latine. Notre grand lien tient à la parenté des langues, à leur origine commune, à l'identité d'éducation et de tradition créées et maintenues par les leçons de littérature, de philosophie, de droit, de politique, de haute morale, recueillies à l'école athénienne et romaine, puis ravivées et transformées par la culture religieuse dont le catholicisme est l'expression définie.

Il y a, certes, une « latinité » vaguement maçonnique dont l'effort s'épuise à éliminer par hypothèse le catholicisme, mais, depuis vingt ans, je n'ai pas réussi à concevoir cela de façon qui soit cohérente. Un monde latin moderne, non catholique, non imbibé, non imprégné de catholicisme ? Non, en vérité, connais pas ! Un monde latin moderne s'évertuant à nier le bienfait philosophique d'Aristote et de saint Thomas d'Aquin ou l'analyse morale d'Ignace de Loyola, ou la casuistique de ses disciples ? C'est là encore un de ces animaux fabuleux qui se déchirent et se détruisent dans l'imagination avant de pouvoir y être réalisés clairement. L'Espagne sans saint Dominique, l'Italie sans saint François, Rome sans Vatican, ou la France sans l'Université de Paris et sans la rue du Fouarre, on peut dire, dans toute la vigueur de l'argot le plus contemporain, que cela n'existe pas et n'a jamais existé.

Romantisme et germanisme

Il y a là des fondations vivantes devenues inhérentes à l'être des peuples ; leur importance s'accroît d'autant plus nettement, elles sont d'autant plus dignes d'être considérées que ce qui s'impose aujourd'hui, c'est la comparaison avec les peuples germaniques où, justement, ces éléments de catholicisme historiques sont loin de présenter la même valeur.

L'Allemand déclare s'être senti devenir lui-même, il a formulé la définition consciente de son quid proprium au jour précis où il a prononcé sa séparation d'avec les principes et les éléments de l'Europe méridionale. Qu'il y ait des catholiques boches, on ne le nie pas plus que la prédication de saint Boniface. Que le catholicisme, l'éducation et le tour d'esprit catholique soient un des traits communs aux Allemands comme il l'est aux Espagnols, aux Italiens et aux Français, voilà ce qu'il est impossible (sinon de dire ou d'écrire, l'air et le papier souffrent tout) du moins de penser avec loyauté et bon sens. On ne peut qu'errer et tourner dans le labyrinthe des mots tant qu'on ne s'est pas décidé ou résigné à restituer au « latinisme », comme une de ses conditions essentielles, le sentiment, le goût, l'éducation catholique.

Cet hommage au bon sens ne saurait déterminer de limitation bien fâcheuse. Catholique, voulant dire universel, laisse ouvertes toutes les perspectives sur le reste du monde et l'ensemble du genre humain. C'est contre une limitation et un oubli que nous mettons en garde les Français chargés de recevoir les nobles messagers de l'esprit fraternel d'une grande nation amie.

C'est exactement de la même manière que l'on applaudira certaines pages très remarquables du discours de M. Ferrero. Sous couleur de bergsoniser (car il n'est plus possible de prononcer le mot de « qualité » dans une cérémonie officielle sans faire un grand salut à ce juif d’Écosse qui n'est même pas un bon écolier d'Aristote et de saint Thomas, et qu'il faudra un jour reléguer fort loin dans la suite de Gabriel Tarde), l'historien de la décadence romaine a repris un certain nombre d'idées très justes, il les a exprimées avec un art ingénieux, dans un ordre persuasif. Retenons ce beau jugement sur la nature du peuple allemand :

Il n'a jamais senti profondément l'influence de la véritable latinité. Le sens de la mesure, l'esprit de limitation et la précision, qui sont les qualités essentielles de la latinité, lui ont toujours répugné ; il y a en lui un fond de mysticisme qui semble invincible et qui le porte à chercher l'infini dans ce qui est vague, confus et indéfini. Il avait remporté des victoires brillantes dans deux guerres heureuses… Bref, il a fini par se croire le peuple élu, le levain de la terre, le modèle du monde, et par employer couramment le mot « colossal » pour exprimer les suprêmes degrés de la perfection.

Et toute cette sortie sur le « colossal », auquel s'opposera la grandeur de qualité, fort bien venue et parfaite, rappelle en très beau quelques-uns des accents directeurs et des idées maîtresses dont le jeune public de L'Action française est le familier. L'ensemble correspond à certains traits d'une invocation à Minerve 7, lue quelque part, nullement chez M. Bergson. Nous avons des maîtres invoqués par nous à leur place, attestés à toute occasion. Nous leur rendons assez de justes honneurs pour avoir toute liberté de prévenir les étrangers s'ils se trompent de porte et vont chercher des références à l'étage au-dessous. L'amitié est un lien, mais la vérité, la raison et la justice doivent veiller attentivement sur la forme et sur les nuances du nœud sacré.

Stoïcisme oratoire

14 février 1915.

Pourquoi le goût du stoïcisme oratoire, qui est le plus sot de tous, a-t-il entraîné M. Pichon à envisager l'hypothèse de notre écrasement ? « Tu peux m'écraser, tu n'auras pas mon âme. » C'est bien joli dans une composition pour le baccalauréat, mais un ancien ministre, qui a manié de grandes affaires, doit savoir qu'un État moderne qui en écrase un autre a les moyens, — moyens scolaires, moyens fiscaux, moyens moraux, religieux et irreligieux, — de lui ravir son cœur et son âme. L'important, c'est de ne pas être écrasé. Notre revanche du droit serait éminemment vaine en France, en Russie et dans la pauvre Belgique, si nous ne pouvions qu'offrir aux méditations du roi Albert un contre-sens quelconque plus ou moins compilé d'Épictète ou de Sénèque le philosophe. Si l'esprit classique ne consiste qu'à se laisser écraser en vociférant des protestations ampoulées ou des réflexions saugrenues, je me range parmi les adversaires de cette classe de déclamateurs, dussé-je conclure avec Péladan l'Ancien ou M. le docteur Gustave Le Bon à l'irrémédiable décadence du sang latin !

Heureusement, ce stoïcisme travesti tape terriblement sur les nerfs de tous ceux qui connaissent la véritable tradition du monde latin. Ils savent que M. Pichon règle son latinisme sur de méchants modèles qui sont de fabrique barbare, c'est-à-dire germanique et luthérienne, par Kant et par Rousseau. Nous parler du long sommeil du Moyen Âge quand c'est le Moyen Âge, plus encore que l'empire romain, qui latinisa l'Europe occidentale, ou dater l'influence latine de la Renaissance, c'est témoigner d'une culture un peu limitée et s'offrir à la risée des Boches ; cela est proprement barbariser, oui, barbarizein, à plaisir ! Définir l'idée romaine par l'horreur de la « contrainte », c'est oublier que le nom de Rome signifie Force, et que le plus romain des poètes après avoir parlé de pitié pour les vaincus, rappelle au second hémistiche la conquête de l'univers par les fils de la Louve 8. Enfin, c'est, purement bouffonner que de faire entrer dans cette salade horrible de jurisme et de pacifisme contradictoires la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen au nom de laquelle quelques Français ont présenté à tant d'autres Français ce dilemme de « la fraternité ou la mort » que l'on peut rapprocher du proverbe allemand. « Si tu ne veux pas être mon frère, je te défoncerai le crâne ».

Monsieur Pichon, Monsieur Pichon, on fait parfois ici un peu de philosophie et d'histoire, mais du simple point de vue diplomatique auquel vous devriez vous tenir, vous avez tort de diffamer la force ; c'est faire croire aux gens que nous ne l'avons pas. Vous avez tort de flatter le défaut des démocraties en donnant aux mots d'Esprit, de Verbe, le triste sens qui les exténue et qui tend à isoler ces forces précieuses du point auquel les appliquer. Ce sont les Latins qui ont dit que l'esprit soulève la matière. Mais, pour la soulever, il évite de s'opposer sottement à elle dans la plus creuse des antithèses ; pour la dompter, il en découvre et il en observe les lois. C'est à ces conditions que l'esprit rayonne et triomphe. Alors, monsieur Pichon, il ne meurt pas pour la patrie, il ne se fait pas écraser pour elle, monsieur Pichon ! C'est lui qui écrase, et l'ennemi est écrasé.

Charles Maurras
  1. Unter den Linden, la principale avenue de Berlin. (n. d. é.) [Retour]

  2. Alfred Croiset (1845–1923) fut un helléniste réputé. Premier au concours de Normale Supérieure et à celui de l'agrégation, il représente l'archétype de la sommité universitaire dominant son époque mais ne laissant rien d'original à la postérité ; ses idées vagues et généreuses en matière politique et sociale, qu'il rattachait à ses études sur la démocratie athénienne, sont d'une consternante banalité. (n. d. é.) [Retour]

  3. Gabriel Séailles (1852–1922), éminent professeur de philosophie, était un spécialiste de Kant dont il contribua grandement à propager l'influence dans l'Université française. Voir à son sujet le chapitre IV de La Politique religieuse : « l'individu contre la France ». (n. d. é.) [Retour]

  4. L'Avant Guerre a été publié en 1913 et Hors du joug allemand en 1915. (n. d. é.) [Retour]

  5. Article dans L'Action française du 13 août 1914 : « Le fédérateur allemand ». (n. d. é.) [Retour]

  6. L'Allemagne contre l'Europe, la guerre, paru en 1915. (n. d. é.) [Retour]

  7. Manifeste rédigé par Maurras en 1902, repris dans les versions successives de L'Avenir de l'Intelligence. (n. d. é.) [Retour]

  8. Maurras fait vraisemblablement allusion ici aux passages du Livre I de l'Énéide où Vénus, émue de voir les navires troyens fracassés par la tempête déclenchée par Junon, vient rappeler à Jupiter sa promesse d'assurer aux descendants d'Énée la domination du monde. Jupiter la rassure en lui confirmant qu'il en sera bien ainsi. Mais on ne trouve pas dans le texte de Virgile de raccourci tenant dans un « second hémistiche » ; peut-être faut-il chercher ailleurs ? (n. d. é.) [Retour]

Recueil paru en 1917.

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