epub   pdf

Le Pape, la Guerre et la Paix

Le Pape, le Guerre et la PaixLe Saint-Siège et la France

Le Saint-Siège et la politique française

9 février 1915.

Les partis qui ont le plus violemment combattu la politique de Pie X recommencent contre Benoît XV. On verra ailleurs ce que cette hostilité éternelle à la papauté couvre d'hostilité foncière au bien moral et matériel du genre humain ; ces violences systématiques exercées contre le seul îlot de pure humanité que puisse montrer la planète nous arrivent aujourd'hui couvertes du masque du patriotisme blessé. On voit facilement ce qu'il faut en penser, du point de vue de l'Homme. Leur prétexte hypocrite ne doit pas moins nous indigner comme Français.

À supposer en effet qu'il se fût élevé un malentendu entre le centre romain et les Français catholiques, l'épiscopat a fait spontanément, avec une promptitude remarquable, tout ce qu'il fallait pour donner leur véritable signification à des termes qui n'étaient pas le moins du monde douteux. Successivement les félicitations du cardinal de Cabrières au cardinal Mercier, l'adresse des évêques de la province de Lyon à la tête de desquels marchait le cardinal Sevin, le document signé par tous les cardinaux français et finalement la traduction donnée par le cardinal Amette, en termes si clairs et si forts, de la pensée pontificale ont fixé l'opinion si elle eût été tentée de flotter. Ce flottement ne s'est pas produit. Le pays a compris. Supposons qu'il n'ait pas compris. Quel était le devoir des esprits politiques ? Assurément, s'interposer, unir leurs efforts à ceux de l'épiscopat et, par-dessus la divergence des sentiments ou des doctrines, s'employer vers le même but, qui était d'éviter au peuple catholique français tout sujet de trouble, comme aussi au Saint-Siège, du côté de la France, de nouveaux soucis. Il ne faut pas, disent les bons médecins, ébranler ce qui est tranquille : quieta non movere. À plus forte raison, faut-il se garder d'élever la température et le trouble dans ce qui s'agite avec fièvre. Nous avons, en France, à porter le poids d'une grande guerre extérieure. Ce n'est pas l'heure d'une lutte intérieure ni d'une guerre religieuse. Nous avons autrefois donné au Vatican toute sorte de griefs ; ce n'est pas le moment d'en allonger la liste.

Sans doute le Vatican ne compte pas pour les oracles de la politique anticléricale, mais, dès lors, comment se fait-il qu'ils ne parlent jamais que de lui ? Hé ! s'il vaut d'être éternellement mis en cause, il vaut aussi d'être respecté et traité de puissance à puissance. Les excitations de la presse radico-libérale représentent une bien dangereuse méprise. On voudrait nous aliéner les deux ou trois cinquièmes de l'Occident civilisé qu'on ne procéderait pas autrement.

Déni de justice ou défaut

— Mais le pape ne nous fait pas justice.

— Il aurait donc à nous la faire ?…

Ce serait un joli aveu. Sans trop le retenir ou sans abuser, notons que pour juger une cause il faut la connaître, pour la connaître avoir entendu les plaideurs, pour les entendre qu'ils se soient rapprochés. Or, si les porte-parole de Berlin, de Vienne et de Constantinople assiègent les abords du prétoire pontifical, notre représentant brille par son absence, nul envoyé n'y peut ester en notre nom. Nos alliés sont là pour le suppléer ? Mieux vaudrait qu'il n'y eut pas lieu à suppléance. Des lettres de crédit officielles et patentes ne suffirent jamais à un ambassadeur, mais elles ont toujours été son premier et très nécessaire instrument. Les censeurs de la papauté ne sentent-ils pas l'odieux de leur imputation de déni de justice adressée au tribunal qu'ils n'ont même pas saisi régulièrement du dossier et devant lequel ils font défaut depuis onze années ?

Si l'on réfléchissait au peu de consistance des opinions que les peuples nourrissent les uns sur les autres, si nous nous examinions nous-mêmes quant au peu d'importance que nous attachons à nos sentiments sur les riverains du fleuve Amazone et les habitants des Montagnes Rocheuses, ces fleuves et ces monts fussent-ils inscrits sur la carte d'Europe, nous nous dirions qu'il peut suffire à Rome, comme à La Haye ou à Madrid, de moins de rien, d'un souffle pour modifier les impressions essentiellement instables sur lesquelles reposent les jugements pour ou contre nous. Ce souffle, pourquoi le retenir quand il peut nous servir ? Pourquoi lier et enchaîner l'idée de l'amitié française à des constructions politiques et religieuses sans rapport étroit avec elle ? Comme Barrés le disait si bien, la France a de quoi être l'amie de tout le monde puisqu'elle a de quoi plaire aux esprits les plus variés. Pourquoi nous priver de leur aide à tous ? Nous qui n'avons que trop de divisions nationales, allons-nous diviser l'univers sur notre modèle ? Ce ne serait pas seulement un péché de sottise contre nos intérêts, en même temps qu'un acte de fou dédain pour les réalités extérieures : craignons de commettre une indiscrétion.

Nécessités d'État

24 février 1915.

Les nécessités d’État ne sont pas les mêmes en temps de paix et en temps de guerre.

Est-ce que, en temps de paix, M. Albert Sarraut, nourri de germanisme, comme toute cette école de Toulouse dont Jaurès fut intellectuellement le chef de chœur, aurait osé abjurer Gabriel Monod ? nier que l'Allemagne fût « la seconde patrie de tous les hommes qui étudient et qui pensent » ? affirmer, comme un simple suppôt de l'Action française, que cette seconde patrie s'appelle la France depuis la fondation de l'Université de Paris, c'est-à-dire le moyen-âge ?

Est-ce qu'en temps de paix, le même ministre de l'instruction publique ne se serait pas cruellement interdit de saluer, entre le Louvre et l'Arc de Triomphe, les mânes des « grands rois créateurs de l'unité nationale » ? Il y a huit mois, Albert Sarraut se sentait naturellement un peu plus républicain et un peu moins français. Il est aujourd'hui plus sensible aux forces qui assemblèrent la communauté nationale, moins sensible à celles des partis qui la décomposent ; je le crois donc, je suis tenu par ma raison de le croire, comme ses collègues, moins indifférent à des arguments de sécurité publique et d'ordre national qui les auraient tous fait sourire autrefois. Autrefois, j'aurais considéré comme inutile de demander sérieusement et de conseiller instamment à un ministre républicain le rétablissement de l'ambassade auprès du Vatican. Cette demande, je l'ai faite, ce conseil, je l'ai donné, sans croire dire ni écrire rien d'absurde, assuré que j'étais de la collaboration éminente des circonstances. Autrefois, on ne m'eût jamais résolu à parler soit à M. Sarraut, soit à un cabinet dont il eût fait partie, de la nécessité de protéger clergé ou cléricaux contre les calomnies ; aujourd'hui, non seulement je le ferai, mais il ne me suffira pas d'invoquer la nécessité de maintenir la paix et l'ordre public dans les villes et dans les campagnes, je profiterai de l'occasion pour ajouter d'assez bonnes choses, dont un ministre ou un autre pourra toujours faire son profit.

L'alliance du catholicisme

Prenant à part M. Sarraut, parfaitement ! celui de La Dépêche de Toulouse, je l'inviterai à se demander pour son compte et pour celui de ses concitoyens s'il n'y a pas lieu de réformer ses vues sur le catholicisme, le catholicisme et la France, dans le nouvel ordre européen que nos magnifiques soldats travaillent à constituer. Les ressources politiques et morales ne sont pas si nombreuses ! Comptées comme elles sont, il est sage de réfléchir avant de rompre décidément avec l'une d'elles. Comme tout le montre, l'Autriche est puissamment abaissée par l'abaissement de l'Allemagne ; quel héritage moral à recueillir ! Si vous ne le recueillez pas, il ira à d'autres. S'il va à d'autres, qu'aurez-vous ?

La Russie a le slavisme et l'orthodoxie, l'Angleterre pense récolter des amitiés et des influences partout où elle a semé des Bibles. Si vous espérez dans les idées démocrates et libérales, méfiez-vous, elles déclinent et nul appui n'est plus décevant ; si l'on n'a pour soi que cet élément révolutionnaire, on cesse toujours de l'avoir dès qu'il a triomphé et qu'il est devenu le pouvoir ; exemple, après tant d'autres, les Jeunes-Turcs que nous canonnons, comme disait Jacques Bainville, après les avoir tant nourris et engraissés ! Je vous conseille. Monsieur Sarraut, et vous aussi, Messieurs Viviani, Millerand, Delcassé, je vous conseille de chercher l'appui d'une idée positive et organique pour flanquer vos fallacieuses idées révolutionnaires. Mais laquelle ? Quelle est l'idée, l'influence, la force morale à servir et à utiliser dans le monde sans le catholicisme. L'idée latine elle-même sera stérile et entachée de germanisme luthérien si vous ne l'alliez carrément à l'idée catholique, idée latine et romaine par définition. Je vous assure que, pour un politique français à longs desseins le catholicisme est véritablement la carte forcée.

Monod l'a dit

Vous n'en voulez pas ? Écoutez une vieille page d'un vieil ami à nous tous, Gabriel Monod. Dans le plus déplaisant des petits livres, dans ses « souvenirs de campagne » d'infirmier militaire en 1870 qu'il avait intitulés Allemands et Français, il écrivit, lui protestant, peu ami de la France et de son esprit national, la curieuse page suivante :

Les zouaves pontificaux recrutés principalement parmi les jeunes gens des familles nobles ou cléricales, ou parmi les populations si religieuses de l'Ouest, ont montré ce que peuvent des hommes soutenus par une forte conviction. Royalistes, ils avaient seuls conservé, avec les souvenirs de la vieille France monarchique, une idée nette, un amour profond de la patrie ; catholiques, ils avaient le sentiment très juste que la défaite de la France était la chute du catholicisme. Ils ont combattu contre toute espérance, sans jamais reculer, parce qu'ils avaient la foi. Naïfs et chevaleresques, ils étaient convaincus que la bonne cause devait triompher.

« Idée nette », « sentiment très juste », disait Monod. Et cet homme naïf lui-même, pas méchant, souvent buté, s'exprimant avec gaucherie, écrivant, par exemple, chute du catholicisme pour éclipse ou pour blessure, Gabriel Monod vit très juste lui aussi sur ce point. Il saisit cette liaison de deux grands destins.

Ce que perdit la France en 1870, le catholicisme, en grande partie, le perdit, même au spirituel, puisque le vainqueur imposa sa philosophie et sa culture au monde. Ce que la France regagnera sera aussi regagné par la pensée catholique. On peut dire que c'est absolument couru… Il ne reste à savoir que si l'État français sera assez sot pour vouloir demeurer étranger à ce profit immense.

Monsieur Sarraut, Monsieur Sarraut, je ne parle pas en mystique. Ce que je vous dis là est d'un sens politique un peu épais, mais sûr, mais sensé. Croyez-moi, la cause de l'État français et celle du clergé de France ont beaucoup plus de connexités présentes et futures que vous n'imaginez. Servez l'une, vous servirez l'autre et (parole de temps de guerre, que chacun, même républicain, peut accepter de n'importe qui, même royaliste) vous rendrez service à votre pays.

M. René Bazin à Rome

5 avril 1915.

Comme nous l'avons dit, notre éminent compatriote M. René Bazin a fait une visite au Vatican, afin d'essayer d'y détruire le résultat des « efforts tenaces de l'ennemi » et, comme il l'ajoute, celui « de nos propres efforts » contre nous-mêmes. Aucun lieu de la terre où l'on fasse plus de politique, ni plus utilement ! L'ambassade d'Autriche, la légation de Prusse, la légation de Bavière y travaillent nuit et jour depuis toujours et dans le sens de leurs intérêts : or, il n'y a plus d'ambassadeur de France depuis onze ans ! Nous n'avons plus « l'homme chargé de veiller, l'homme informé, qui a le droit d'être écouté, qui peut suivre une affaire, négocier, demander, revenir ». Et cela au point du monde dont l'influence « s'étend à toute la terre » et qui va « jusqu'au plus profond des nations » !

Parmi nos défenseurs volontaires ne manquent ni les gloires ni les autorités. M. René Bazin nomme à ses fidèles lecteurs de L'Écho de Paris avec une respectueuse reconnaissance « ce très savant et très ferme cardinal Billot 1, rénovateur de l'enseignement thomiste ». « En maintes occasions, ce jésuite a été l'avocat de la France ». Le cardinal Gasquet, des Bénédictins anglais, a rendu aussi d'incomparables services. Mais tous ces efforts devraient être coordonnés et mis en mouvement par les avis et les requêtes du représentant officiel de la nation intéressée. Il est scandaleux que cette représentation n'ait pas été constituée dès la déclaration de guerre.

Les Anglais ont été autrement pratiques.

Chance et bonheur

M. René Bazin essaye de dissiper le ridicule préjugé qui nous fait croire qu'un Allemand qui plaide pour sa nation est nécessairement un personnage noir de péché, rouge de sang et ainsi reconnaissable au premier coup d'œil. La cautèle de ces brutaux est inventive, leur perfidie fertile, leur mensonge hardi et fort.

Cette campagne officielle de fictions dépourvue de contre-partie officielle, pouvait, devait donner un certain résultat comme l'effort d'une armée qui manœuvre contre un ennemi qui ne manœuvre pas… « Heureusement », dit par trois fois M. René Bazin, ce résultat commence à baisser et à décroître par l'effort réuni de la vérité des faits et des amis dévoués qui la font connaître. « Heureusement », il y a le cardinal secrétaire d'État qui a longtemps vécu chez nous et qui sait la France. « Heureusement » enfin, il y a Benoît XV, pénétrant diplomate, juge divinateur ; il y a celui qui a su condamner l'injustice en la forçant à se reconnaître, même à se dévoiler, car ceux qu'il a désignés en termes indirects « se sont sentis atteints », « et ils l'ont dit », et ils en ont fait des plaintes, odieuses et ridicules, mais déjà vengeresses…

C'est du bonheur, assurément, et il faut nous féliciter avec M. René Bazin de cette chance imprévisible. Cependant quel est le citoyen, quel est le père de famille qui, ayant à donner un foyer et un toit à leur progéniture, se borneront à la confier à la chance et qui, au lieu de pain, lui prodigueront leurs souhaits d'avoir le bonheur d'en trouver ? Un État français étendant sa fonction paternelle à toutes les familles de la patrie, doit mettre la main à la pâte pour assurer à la nation les instruments qui lui sont indispensables pour se tirer d'affaire. Notre chance et notre bonheur à Rome, c'est très joli ! Ne serait-ce que pour les fixer et les enchaîner à notre cause juste, rétablissons notre ambassade au Vatican.

Du Vatican au Secours national

2 mai 1915.

Le nombre des ambassades au Vatican continue à s'accroître. Les peuples mécréants ne veulent plus communiquer par détours souterrains avec le chef spirituel des nations catholiques. Ils trouvent que le jeu de leur attitude arrogante ne valait pas le bénéfice qu'en tiraient leurs rivaux, et c'est tout un cortège qui vient de l'est et de l'ouest, du sud et du nord. Après le Grand Turc, le roi d'Angleterre, empereur des Indes ; après lui, la reine de Hollande, qui s'est fait connaître à Paris par l'offre d'une gerbe au monument de son grand-père l'amiral Coligny. Il ne manquera plus que nous.

Immuablement paternelle et bienveillante pour la France en dépit des insultes calomnieuses, la papauté multiplie à notre égard les prévenances et les bienfaits. Le présent magnifique apporté par le cardinal archevêque de Paris au Secours national et l'admirable lettre du cardinal secrétaire d'État ne peuvent manquer de faire faire deux réflexions aux esprits renseignés. Réflexion politique : si le gouvernement français était retenu par la crainte d'avoir à faire « le premier pas », voilà qui est fini et réglé, ce n'est pas un pas, c'est cinquante et cent pas que Rome généreuse a faits dans notre direction. Réflexion financière : tous ceux qui savent d'où proviennent les ressources habituelles du Vatican, cette Belgique saccagée, cette France envahie, dont les trésors vont tous à la guerre, voudront adresser un hommage de gratitude et d'admiration à l'émouvante libéralité de Sa Sainteté Benoît XV. Jamais un don réel ne fit connaître de façon aussi concrète la magnificence du cœur.

Les objections à l'ambassade

Et cependant nos ennemis font des pieds et des mains pour nous noircir là haut. Oui, là haut sur ce toit du monde, dans le palais de la Sibylle, dans les avenues qui y mènent, sur chaque degré des escaliers qui conduisent à la Chambre supérieure où se tient l'héritier et le successeur du Pêcheur, ils ont agi, et manœuvré, et intrigué contre nous. M. Hanotaux qui en revient répète ce qu'a vu et dit M. René Bazin, des envoyés officiels de l'Autriche, de la Bavière, de l'Allemagne, de la Turquie. « Quatre ambassadeurs ou ministres sont à leurs postes, ils ne quittent pas les alentours du Vatican, on les trouve et on les retrouve partout. » Sans doute, le passé, le présent, l'avenir de la France sont de grandes idées, de taille à se défendre contre les hommes et les propos ennemis ; elles se défendraient mieux encore si des hommes étaient mis au service de ces idées.

Nous vivons un moment de notre histoire où nous n'avons le droit de rien négliger. C'est bien l'avis de M. Hanotaux, mais il hésite, il n'ose demander une ambassade ou une légation ! Il s'arrête à la timide demi-mesure d'un vague « porte-paroles autorisé 2 ». Et si on lui demande pourquoi :

« Personne, assurément, ne songe à soulever, auprès de l'opinion française et du Parlement français, le grand débat que provoquerait la question de la reprise des relations avec le Vatican. Il est entendu que nous écartons résolument tout ce qui nous divise. Ni une ambassade, ni même une légation, n'aurait une situation honorable et forte, si elle n'était pleinement approuvée par la volonté déclarée du pays et de ses représentants. »

Et voilà ce que donne le gouvernement des « débats », le régime de la discussion et de l'élection, dans une affaire où est ainsi engagé le salut public, comprenez le salut de tous, de tous les Français, cléricaux ou anticléricaux, partisans ou adversaires de l'ambassade vaticane. Nous avons un gouvernement qui ne croit pas avoir le droit de sauver ses gouvernés malgré eux… C'est un peu bête.

Bêtise d'autant plus lamentable qu'il n'y a rien de plus artificiel que l'anticléricalisme français. C'est un fruit de serre cultivé dans la rédaction de quelques journaux et payé à la caisse de quelques banquiers, simple moyen de « berner le prolétariat », comme disait fort bien M. Jules Guesde, et que M. Denys Cochin, avec qui me voici d'accord cette fois, explique très justement dans la Revue des deux mondes du 1er mai, par « l'embarras d'imaginer de nouveaux programmes » pour les anciens partis.

L'internationale pacifiste des socialistes ayant fait faillite, un regain de foi religieuse devant l'ennemi s'étant dessiné dans les âmes, il fallait tout reprendre en sous-œuvre ; c'est l'unique raison pour laquelle ils se sont remis à « faire de l'anticléricalisme ».

Franchement, c'est le pays qui est fait et qui est refait par de tristes faiseurs.

Les évêques, l'emprunt

1er décembre 1915.

Depuis le commencement de la guerre, nous assistons à une revanche de la nature. Les élus des partis, des volontés, des opinions, — un homme ! un suffrage ! — font ce qu'ils peuvent pour faire croire à leur utilité. Le sentiment qui leur est le plus favorable doit bien admettre qu'ils ne suffisent pas, puisqu'on est obligé de s'adresser aussi, comme à des collaborateurs nécessaires, aux pouvoirs naturels, aux forces historiques de la société sans en excepter la religion elle-même. Dès août 1914, lorsque se constitua le Secours national, qui, faisant de vastes et puissants appels de fonds, avait un vif besoin de la confiance de tous, on perçut l'évidence et on la reconnut si bien que l'archevêque de Paris y fut convié de plain-pied. L'hiver suivant, quand M. Carton de Wiart, ministre de la justice du roi Albert, parcourut la France pour visiter les réfugiés belges, on eut à contempler le curieux spectacle des va-et-vient continus de l'évêché à la préfecture et de la préfecture à l'évêché, car notre hôte éminent avait besoin de recommander ses infortunés compatriotes à toutes les autorités, à tous les genres d'autorités, celles du département, celles du diocèse. L'une de ces autorités était inscrite dans la loi ; l'autre, n'étant que dans les choses, n'était cependant pas, des deux, la plus petite. Enfin, voici l'emprunt. On le publie dans les écoles, les lycées, les collèges. On le recommande à l'armée. L'armée est dans la loi, l'enseignement public y est aussi. Mais la loi ignore la chaire. Si le Trésor public faisait comme la loi, il serait en déficit grave. Aucun Français ne le voudrait ; gouvernants, gouvernés s'ingénient à boucher cette fissure de la loi. Le clergé catholique, élément intégrant de la nation française, joue son rôle et tient sa partie dans la récolte du capital rédempteur.

Vous avez lu hier la lettre du cardinal de Cabrières, si spirituelle et si pressante en faveur de cet emprunt de la victoire. Et voilà donc l’Église séparée de l’État, indépendante de l’État et devenue sa collaboratrice ! Avait-elle jamais cessé de l'être au fond, en toute circonstance où l’État remplissait quelques-uns de ses devoirs envers l'ordre ou envers la patrie ? Ce n'est pas cette question que je veux poser, elle a trait au passé, et le passé importe bien moins que l'avenir.

La représentation

On nous demande quelquefois comment pourra fonctionner, selon nous, sous la royauté, une représentation nationale. Nous répondons parfois en termes trop abstraits pour être bien saisis. Ou nous entrons dans des développements historiques dont le tort est, si clairs soient-ils, de faire croire que nous voulons faire de la vie avec de la mort, alors que nous nous bornons à reprendre l'esprit d'un processus, qui fut fécond et qui, bien appliqué, le redeviendrait. Le recours aux évêques dans cette affaire de l'emprunt a l'avantage de faire toucher du doigt combien nos pères étaient pratiques !

Quand les Français réunissaient leurs assemblées nationales, ils y faisaient représenter l'état des choses et des personnes composant, à un moment donné, l'être de la France plutôt que les opinions ou les volontés ou les partis ou les factions qui divisaient le pays. Ils convoquaient d'abord la terre, et ceux qui la tenaient, et ceux qui trafiquaient, et ceux qui produisaient, les diverses communautés de forces matérielles dignes de considération ; mais pas seulement les forces matérielles auxquelles nous nous arrêtons quand nous osons rêver d'une « représentation des intérêts ». Eux, plus larges, trouvaient tout naturel d'enregistrer aussi les forces morales ; en effet, du point de vue de la politique la plus réaliste, ces éléments immatériels développent des influences ; connue aujourd'hui, comme de tout temps, ils peuvent lever des hommes et faire affluer l'or. Les États de la vieille France, qu'ils fussent locaux ou généraux, provinciaux ou nationaux, s'inspiraient de ce principe, plus ou moins heureusement appliqué selon les régions ou les temps, mais en lui-même invariable ; ils tendaient à composer un tableau loyal et vivant, réel et complexe de l'activité du pays. On votait dans l'enceinte des organisations représentées, pour en désigner les représentants, mais on ne votait pas pour savoir si l’Église serait représentée, ou les Métiers, ou les Communautés, ou les grandes Compagnies de la nation ou de la province ; cette représentation allait de soi, du moment que le corps à représenter existait.

Nous reprenons ce principe pendant la guerre ; cela ne vous donne-t-il pas certaines idées pour « après la paix » ?

Le cardinal de Cabrières

25 août 1916.

Nous avons publié depuis plusieurs jours la belle lettre dans laquelle le cardinal de Cabrières a commenté avec autant d'éloquence et d'esprit que d'à-propos patriotique un message de M. le Président de la République et son « rappelez-vous » poignant. Le mot de M. Poincaré était certainement allé au cœur de l'éminent évêque de Montpellier qui sent que la noblesse des cœurs, des races, des nations repose sur le fond de leurs souvenirs, si bien que notre Mistral a pu assimiler dans le même distique de la Comtesse :

Ceux qui ont la mémoire
Ceux qui ont le cœur haut…

Leibnitz faisait aussi entrer le beau don d'unifier le présent et le passé dans les conditions d'une âme vraiment humaine, sui memor… La faiblesse du régime républicain lient à son absence de mémoire centrale et, pour ainsi dire, axiale. Mais quand les Français s'avisent de corriger par l'initiative personnelle le défaut de l'institution, il faut applaudir doublement : au bien qu'ils font, au mal qu'ils empêchent.

On conçoit que l'âme forte et fière du doyen de l'épiscopat national ait correspondu volontiers à cet appel au souvenir émané du chef de l’État ; rien n'est plus naturel que cet écho apostolique dont s'enchante, avec une pointe de surprise, Le Temps.

Mgr de Cabrières est royaliste, sans doute ? Mais il est royaliste parce qu'il est Français, parce qu'il sait se souvenir de la France. « Tout ce qui est national est sien », même et surtout une idée juste de M. le Président de la République. Le Temps écrit :

L'évêque de Montpellier applaudit aux paroles de M. le Président de la République et son cœur de patriote s'émeut des espérances victorieuses qui s'expriment dans le message. Il s'associe aux sentiments de tous les Français avec une ardeur sans réserves. Il ne craint pas de dire son indignation contre les Empires du Centre, son horreur à cause de la Belgique envahie et des cathédrales incendiées.

Nul évêque français, nul prêtre français n'a éprouvé cette crainte… Il y a trop de bonne volonté sensible dans l'article du Temps pour qu'il soit utile de lui reprocher les pointes secrètes dont sa note est continuellement hérissée, les unes tournées contre tel ou tel évêque de France, les autres contre le Sacré Collège et le Vatican. Qu'auprès de cardinaux qui siègent de loin en loin aux conseils de l’Église, il y ait à Rome des cardinaux plus jeunes chargés du soin absorbant des affaires courantes, Le Temps ne croit pas pouvoir en admettre l'explication naturelle ; il lui faut des raisons ténébreuses tirées des grâces ou des disgrâces de cour et, naturellement, d'un népotisme, le « népotisme romain ». Je recommande au Temps une belle mine à creuser, l'étude approfondie du népotisme de Pie X ! Il y aurait aussi à dire et à redire sur la façon dont est présentée l'attitude des prêtres français du « début de la guerre ». Mais, baste ! il faut prendre les gens et les journaux comme leurs papas et mamans les ont fabriqués. S'il eût mieux valu que la réponse du plus grand journal de la République aux paroles ailées d'un prince de l’Église eût été moins rugueuse, plus unie et d'une amabilité moins rouée, si en outre il eût été meilleur de se dispenser de l'écriteau « Religion nationale », qui peut être naturel, mais qui peut aussi être lu comme une provocation, malgré tout ne nous défendons pas contre le plaisir de lire une parole de paix en un lieu d'où sont partis tant de cris de guerre ; sans entrer dans aucune des thèses du Temps, félicitons-le d'avoir rendu au moins justice à la « forte personnalité » d'un homme « toujours semblable à soi-même » et qui a pratiqué « la bienfaisance et la droiture ».

Cette droiture, cette bienfaisance, tous les Français, surtout peut-être ceux du Midi, les connaissent bien ! Les peuples du Languedoc n'ont pas oublié l'acte de confiance supérieure par lequel leur évêque ouvrit les portes de sa cathédrale à la foule anxieuse de ses vignerons révoltés pendant les nuits tragiques de 1907. La tragédie de la guerre a naturellement amplifié l'évidence des charités de ce grand cœur. Préfets, généraux, même hommes d’État et ambassadeurs étrangers qui ont défilé à Montpellier depuis août 1914 ont porté témoignage de son talent, de ses vertus. D'un vol lent, mais juste, la renommée apporte peu à peu cette gloire jusqu'aux parages supérieurs de l’État français. Voilà Le Temps averti. Peu à peu tout finira par se savoir à l’Élysée peut-être, au Quai d'Orsay, qui sait ? et ma foi, pourquoi pas ? à la Chancellerie de la Légion d'honneur.

Deux méthodes à l'étranger

18 septembre 1916.

Nous ne croyons pas que depuis le commencement de la guerre, il ait été imprimé par nous une ligne hostile ou seulement défavorable à des étrangers neutres ou même belligérants dès qu'ils faisaient un acte susceptible d'être le moins du monde utilisé par la France. Nous ne croyions pas être dupes en traitant avec une équité bienveillante, même avec sympathie, un Karl Liebknecht dans l'hypothèse de sa sincérité, fût-elle manœuvrée, hypothèse à laquelle, pour mon compte, je crois.

S'il y avait un chef spirituel des idées que nous n'avons cessé de combattre depuis vingt ans et que cet antipape fût en situation de rendre service à la France, nous n'avons pas besoin d'affirmer ce que savent fort bien nos pires adversaires ; il serait traité ici avec tous les ménagements dus non à sa personne ni à ses idées, mais au bien qu'il pourrait faire à notre pays. Et nous n'en tirerions ni avantage, ni fierté, ni effet politique. Cela irait de soi.

Il est à peine utile de faire remarquer ici que le pape n'a pas reçu de la part de nos adversaires, d'ailleurs gardiens ombrageux et fanatiques de l'union sacrée, le même traitement que cet antipape rêvé, et les radicaux anticléricaux n'ont pas songé davantage à lui accorder la centième partie de la considération qui est allée spontanément de notre part à Liebknecht. De quelque façon qu'il se prononçât et lors même qu'il rendait à la cause française où à la personne des Français malheureux quelque indiscutable service, il était répondu au pape par des ironies ou des insolences dont la moindre exprimait un « ce n'est que ça ! » bien senti. On avait rompu avec lui, on lui avait déclaré la petite guerre ; et, non contents de ne rien faire pour rattraper ces fâcheux souvenirs, on n'avait pas assez de journaux pour le traîner dans toutes les boues. Tout s'est passé comme si l'on eût formellement désiré, en perpétuant les mauvais rapports, l'induire aux mauvais procédés.

Il est possible que cette méthode recrute en France des ennemis à la Papauté, des adhérents électoraux à leur parti. Oui, cela peut être assez fort contre le pape à l'intérieur de notre pays. Mais au dehors, cela ne vaut pas cher. Il serait de simple hygiène politique de rallier des sympathies de toute nature et de ne pas nous mettre à dos l'opinion catholique. L'hygiène de nos partis a d'autres règles. Un des plus grands bonheurs du parti anticlérical est de se représenter le plus de cléricaux possible contre la France. Pour peu qu'un catholique nous fasse un signe favorable, le parti n'y voit plus, il ne comprend plus ; sa simplicité d'esprit naturelle se complique d'effarement.

Trois barrettes

17 novembre 1916.

S'il nous était annoncé que M. Woodrow Wilson vient de choisir pour en faire ses conseillers les plus assidus ou leur confier ses administrations les plus importantes trois citoyens de la Nouvelle-Orléans, d'antique souche française et passionnément dévoués aux intérêts de la France, la presse retentirait de justes cris d'allégresse et, à sa suite, ce pays, toute intelligence, toute vibration de cœur et d'esprit, se féliciterait avec raison de la continuité de l'étroite amitié contractée entre nos deux peuples au temps de Louis XVI et de Washington, de Benjamin Franklin et de Vergennes, de La Fayette et de Jefferson.

Et ce serait très bien. Mais voici qui est moins bien. Il vient de se passer non à la Maison Blanche, mais au Vatican, un fait du même ordre, sauf qu'il est d'importance supérieure, et sur lequel les conseillers habituels du peuple français semblent en vérité s'être donné le mot pour se taire. Le Souverain de trois cents millions d'hommes vient de faire asseoir trois Français au sommet de ses conseils. Ce conseil n'est pas un conseil ordinaire. Il a quelque chose de souverain puisque, au décès du chef, il en a la désignation. Nous avions jusqu'ici, dans ce conseil universel de la société spirituelle appelée l'Église catholique, cinq, six, au grand maximum sept barrettes de cardinaux. Depuis la promotion récente, il y en aura huit : les cinq titulaires antérieurs, qui sont Leurs Éminences l'archevêque de Paris, l'archevêque de Reims, l'archevêque de Bordeaux, l'évêque de Montpellier, le R. P. Billot de la Compagnie de Jésus, et les trois nouveaux promus, Leurs Éminences l'archevêque de Rouen, l'archevêque de Rennes et l'archevêque de Lyon. Huit voix de Princes de l'Église qui donnent à la France la certitude des avantages de toutes sortes attachés à l'honneur d'être représentée et d'être entendue à souhait dans le centre du monde moral, Urbem quam dicunt Romam…

La politique religieuse est une politique

On a trop insulté depuis deux ans le successeur de Pie X, ses paroles ou son silence, pour qu'il soit permis d'opposer la question préalable et de déclarer l'affaire dénuée d'intérêt. Car, à mettre les choses au pis, à supposer, ce qui n'est pas, l'hostilité personnelle du Souverain Pontife, il est très intéressant de savoir que S. S. Benoît XV vient de créer de lui-même trois moyens énergiques ou de combattre et de modifier les sentiments qu'on lui prête, ou de lui donner un successeur plus français. Ce phénomène politique vaudrait quelques minutes d'attention et de réflexion, peut-être mériterait-il quelques lignes de commentaires. Je n'en vois nulle part. L'opinion française serait-elle insensible à ce qui peut devenir de la grandeur, de l'influence, de l'action utile pour la patrie ?

Nullement. Mais elle ne sait. Elle ignore, par exemple, les beaux efforts multipliés par le défunt cardinal Sevin pour la cause de la France. Elle ne sait rien, cette opinion nationale dont le sort est en jeu pourtant, des interventions répétées du cardinal de Cabrières. On ne l'a pas avertie ! On ne lui a montré les choses de la politique religieuse qu'à l'envers, c'est-à-dire par rapport à nos divisions. Journalistes, mes frères, patriotes de tous les bords et de tous les partis, si nous nous mettions à parler (et d'abord à penser) des relations franco-romaines par rapport à l'intérêt commun des Français ? Les croyants auraient tort de s'en scandaliser ou les mécréants de s'en offusquer ; notre passé, notre présent, notre avenir en seraient mieux équilibrés, cela contribuerait à mettre dans le monde un peu de lumière et, ce qui ne gâterait rien, ce qui irait par-dessus le marché, un peu de paix au milieu de nous.

Ah ! le beau jour que ce serait ! Mais que ceux qui l'espèrent ne l'attendent pas pour remercier Benoît XV de la haute faveur accordée à la France. Ces aînés de la Nation ne doivent ni craindre, ni tarder d'ester et d'agir au nom des mineurs, qui n'auront qu'à marquer à leur tour la reconnaissance quand la réalité les aura mis en présence du fruit de ce bienfait sacré.

Le Pape et la France : lettre d'un positiviste

21 novembre 1916.

La Lanterne, journal qui ne comprend pas le français, nous a ignoblement injuriés pour mon article de jeudi : « Trois barrettes » où j'établissais quel avantage il y aurait pour le pays à ne pas laisser couvrir d'outrages le souverain de trois cents millions d'hommes. L'idée de se voir interdire d'offenser le pape met La Lanterne hors d'elle-même. Elle en profite. pour me jeter une fois de plus, outre les saletés dont elle est prodigue, toutes celles que la presse boche a lancées contre Mgr le duc d'Orléans. Je suis fier de me trouver avec le Prince, face à La Lanterne et aux journaux austro-allemands.

Comme pour ajouter au plaisir de cette légitime fierté, notre ami Antoine Baumann, membre de l'Exécution testamentaire d'Auguste Comte, a bien voulu nous adresser au sujet du même article une lettre du plus vif intérêt.

Antoine Baumann est du nombre de ces bons Français, Français patriotes, qui furent un moment victimes d'un malentendu avec le Vatican. Il juge que les catholiques français en ont appelé « au pape mieux informé ». Je ne crois pas que les choses se soient passées tout à fait ainsi. Mais peu importe. Antoine Baumann applaudit, en les estimant « justes », à nos « considérations sur les trois barrettes cardinalices ». Il se félicite de se retrouver ainsi avec nous tous dans « la tradition » de la France. Il ajoute ces lignes remarquables :

La tradition ! Jamais on n'aura mieux vu qu'une civilisation tire toutes ses forces morales de son passé. Comme le lutteur qui recule de quelques pas et s'arc-boute pour soutenir une attaque, la civilisation française, fleur suprême de la civilisation occidentale toute entière, a dû se replier sur elle-même pour résister à l'assaut violent de la barbarie. Elle a fait appel aux morts les plus illustres et les plus lointains dont elle avait recueilli l'héritage. Ces morts sont ressuscités pour venir à son secours. Nous avons revu Léonidas, Fabius Cunctator, des Rolland, des Turenne, des d'Assas. Nous avons revu, cent fois plus beau, l'élan patriotique de 1792. Il m'a semblé que Sainte Geneviève était réapparue ici et là et qu'en tels journalistes revivait la flamme de Démosthène. Je crois que, s'il eût été nécessaire, Jeanne d'Arc elle-même serait sortie du tombeau.

Le positiviste que je suis pense que si Comte assistait au terrible drame qu'il avait si peu prévu, il n'aurait pas hésité à faire appel au roi et même au pontife suprême du catholicisme. Il aurait répondu aux étonnés que quand on est dans la tradition, on peut être en retard, on n'est jamais dans la mauvaise voie. Puisque les morts gouvernent les vivants, il faut les aider dans cette tâche. Insensé qui voudrait exclure du cortège des reviviscences qui nous sauveront, la vénérable religion romaine, dont l'influence heureuse reste toujours si forte même sur les incroyants, s'ils sont issus de cette lignée.

Attila II voyait si bien quel obstacle terrible il en résulterait pour la réalisation durable de ses folles visées, qu'il avoua un jour avoir érigé le projet de la destruction du catholicisme, en but suprême de sa vie et de ses efforts. Or, toujours il fut sage d'aimer et de respecter ce qui excite la colère de l'ennemi. Une telle vénération ne court aucun risque de s'égarer.

Voilà comment s'exprime un esprit pratique lorsqu'il met avant tout la cause de la France et de la civilisation. Cela ne présente évidemment aucun rapport avec l'intérêt alimentaire et diviseur des partis dévorants qui ne comprennent qu'eux. Personne ne se chargera d'expliquer cela aux rédacteurs de La Lanterne. Personne ne leur demande de le comprendre. Un peu d'intelligence ou de sens national, cela les suiciderait.

Adresse au Saint Père

9 décembre 1916.

À l'occasion de la nomination de trois cardinaux français, de nombreux groupements avaient fait parvenir au Souverain Pontife, avant le consistoire, l'expression de leur reconnaissance et de leur attachement au Saint-Siège.

Voici le texte de l'adresse qui a été envoyée par la Ligue d'Action française. Elle est de la main de notre ami et collègue Louis Dimier :

Très Saint Père,

Tous les patriotes français ont ressenti profondément le témoignage d'affection accordé par Votre Sainteté à leur pays dans le choix auguste par lequel trois archevêques français ont été promus à la pourpre au cours du dernier consistoire.

Ce choix de Votre Sainteté porte à huit le nombre des cardinaux de notre nation, actuellement vivants dans le Sacré Collège. De tout temps, un nombre aussi élevé a été rarement atteint, et il l'est dans des circonstances qui le rendent d'autant plus précieux que le pays, traversant des épreuves plus rudes, discerne avec plus de vivacité dans cet acte de Votre Sainteté, la bienveillance qui l'a dicté.

Cette bienveillance. Votre Sainteté avait daigné la témoigner tantôt par des paroles et tantôt par des actes, qui, sans rien diminuer de la prudence imposée par la charge de pontife universel et de père commun des fidèles, se faisaient cependant connaître de ceux dont Votre Sainteté pansait les plaies et relevait les courages. Appelé à gouverner la Société spirituelle dans un temps où la barbarie semble redevenue la loi du genre humain, où les promesses d'arbitrage vantées pendant la paix avec une aveugle confiance reçoivent un démenti éclatant de la guerre la plus effrénée qui fut jamais, Votre Sainteté, placée au-dessus de la bataille comme pasteur des âmes, a patiemment recueilli et pratiqué ce que les révolutions laissaient entre ses mains, des garanties d'humanité observées par quinze siècles de société catholique. Au milieu de ce fracas d'armes sans égal, Elle a sauvé les restes du droit des gens.

La France, plus que nulle autre, en a senti le bienfait. Cependant, à son égard, nul acte de Voire Sainteté n'égale celui d'aujourd'hui, grâce auquel, dans la personne de huit de ses enfants, la France recueille l'honneur de contribuer de ses talents, de son esprit, de ses vertus, de son prestige, aux actes du Conseil suprême de l'Église, étendu d'un bout du monde à l'autre sur les millions de fidèles de la catholicité.

Très Saint Père,

Les membres des Comités Directeurs de l'Action française, présents à Paris, vous supplient d'avoir pour agréable l'hommage de reconnaissance qu'à titre d'amis et de conseillers de milliers de patriotes français, ils déposent humblement aux pieds de Votre Sainteté.

Charles Maurras
  1. Le commandant Billot, frère du cardinal, est tombé au Champ d'honneur. [Retour]

  2. L'attitude de M. Hanotaux était moins timide en 1914. [Retour]

Recueil paru en 1917.

Vous pouvez télécharger l'ensemble du recueil au format Adobe PDF ou au format EPub.

Retourner au sommaire de Le Pape, la Guerre et la Paix, à la liste générale des textes ou au blog Maurras.net

Ce texte est dans le domaine public en Amérique du Nord.

XHTML valide.