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Le Pape, la Guerre et la Paix

Le Pape, le Guerre et la PaixLa seule internationale qui tienne

Le corps diplomatique du Vatican

8 septembre 1914.

Ne trouvez-vous pas que nous avons à Rome une situation ridicule ? Ce fut jadis celle du Carthaginois quand on lui reprochait de savoir vaincre sans savoir profiter de la victoire.

Nous venons de remporter un avantage d'autant plus brillant qu'il nous a coûté peu d'efforts. Les intrigues de l'ancienne Triplice 1 n'auront servi de rien ; autant que le feu pape, le pape élu est un ami déterminé de la France. Tous ceux qui représentent une amitié française dans la Ville éternelle témoignent ouvertement de leur joie ; le jour où le corps diplomatique était présenté à Sa Sainteté Benoît XV, c'est-à-dire hier même, il devait y avoir et il y a eu, du côté de l'Allemagne et de ses rares alliés dans le monde, quelques figures merveilleusement allongées.

C'était un triomphe pour nous, mais à la condition d'y être, à la condition d'avoir là un représentant qui pût s'épanouir devant la déception des autres et lui faire un pendant d'allégresse victorieuse…

Cette condition n'a pas été remplie. Ce contraste n'a pas eu lieu. Bien que S. S. Benoît XV ait fait sentir le regret de ne pas trouver devant lui un ambassadeur de la France (ce qui nous sauve un peu la face et ce qui entr'ouvre une porte à quelque retour de sagesse) notre absence est plus qu'un scandale et qu'une sottise, c'est une inconvenance et une laideur. Un peuple peut avoir le droit d'ignorer ou de mépriser ses intérêts les plus importants. Un peuple comme la France n'a pas le droit de se donner en risée, de faire mépriser son nom, de se laisser prendre pour un hurluberlu sans sagesse. L'heure est trop grave, les moments vécus sont trop durs pour que nous adoptions ce luxe d'imbéciles, qui consiste à dilapider son propre trésor.

Il n'y a qu'un trait de plume à donner, un représentant à nommer, un voyage rapide à lui faire faire ; ne serait-ce que pour aller respirer les beaux lauriers déjà fauchés en notre honneur par des mains amies, l'ambassadeur au Vatican devrait être en chemin depuis quelque vingt-quatre heures !

M. Poincaré, M. Delcassé, M. Viviani, leurs collègues auront-ils ce bon mouvement ? Plus il sera spontané, vif et prompt, plus il ressemblera à la France, à la France de cette année-ci, de ce mois-ci, et mieux il vaudra !

Le catholicisme et la paix

14 novembre 1914.

L'Encyclique 2 annoncée depuis les débuts du nouveau pontificat nous est résumée par le télégraphe. Comme elle a pour sujet la paix, il sera permis de renouveler d'abord à ce propos certaines remarques et certaines questions auxquelles on n'a pas répondu jusqu'ici.

D'abord voici la seule Internationale qui tienne. Toutes les autres défaillent ou tendent à défaillir. Pendant que les socialistes essayent vainement de se mettre d'accord sur la composition de leur bureau central et sur l'emplacement ou siège de ce bureau, les millions de catholiques pressés dans les armées et les États belligérants n'ont pas un doute sur la demeure du Saint-Siège ni sur la personne du Souverain Pontife. C'est au moins un sujet qui est hors de débat. Tout le reste est contestations, disputes, coups de plume, coups de sabre et coups de canon. Cela étant, comment se fait-il que les pacifistes du monde entier fassent si peu de cas de cette paix catholique romaine si fermement établie, dans son ordre, que, au milieu d'une mer si démontée, il n'y a plus la moindre banalité à en comparer les assises à celles du roc ? Le bon sens devrait suffire à faire sentir que, si l'on veut jamais obtenir quelque paix entre les hommes, il sera sage et prudent de tenir au moins compte de cet élément. Bizarrerie étrange ; non contents de n'en pas tenir compte, les pacifistes veulent plus ou moins le détruire. Tous, ou presque tous, sont anticléricaux et anti-catholiques.

Je ne comprends pas.

Il en est de même, et à plus forte raison, des socialistes. Pourquoi ? C'est ce qu'on devrait m'expliquer. Leurs trois journaux : Humanité, Bataille syndicaliste, Guerre sociale sont avec une franchise inégale, mais une intensité profonde, ennemis déclarés ou sournois de tout ce qui est catholique. Depuis qu'a été jurée notre concorde intérieure du 4 août, ces journaux charment leurs loisirs, amusent leur détresse en mangeant du curé ou en gémissant sur l'étroitesse de l'esprit de l'Église. Comment donc méconnaissent-ils le point d'appui, cependant clair et net que trouverait dans le centre romain leur propagande en faveur de la paix universelle et du désir de tempérer la concurrence économique par un esprit de cordialité et d'équité ? C'est leur secret 3.

De deux choses l'une : ou bien il y a dans l'effort du socialisme et du pacifisme des réticences cachées que l'on ne nous dit pas, ou bien, si l'effort est sincère, cette ignorance du catholicisme, cette hostilité au catholicisme demeure un scandale pour la raison. Qu'enseigne le pape ? La paix. Et l'autorité qu'il exerce, la continuité de son autorité, le respect dont l'entourent d'innombrables populations suffit à témoigner que cet enseignement pacifiste n'est pas un vain mot, il s'étend aux réalités, il porte sur les faits, les incline et les modifie dans son domaine avec une autre efficacité que n'ont fait, dans le leur, les Congrès pacifistes ou la Cour de la Haye. L'alliance et les concours généreux d'un tel pouvoir en faveur de la paix européenne seraient à solliciter, à tenter, à briguer, si les pacifistes étaient sérieux. Ils le répudient.

Ce sont des fols ! Ou quel mystère !

Portée politique et morale de l'Encyclique

17 novembre 1914.

Les paroles de paix du Pontife catholique romain auront-elles la force de vaincre la ruée de la haine internationale ? Les nations seront-elles sensibles à ce que S. S. Benoît XV appelle son premier « frémissement d'affection pour tout ce qui touche l'humanité » ?

C'est une autre question et qui porte sur un autre plan. Mais, là encore, il faut admirer la gravité, on voudrait oser dire le réalisme avec lequel l'Encyclique, pour viser l'avenir, s'applique à peser et à mesurer exactement les données du passé.

Au lieu qu'il est impossible de lire sans bailler les tirades oratoires qu'alignent les clients et confrères de M. d'Estournelles de Constant 4, ici les conditions normales de la vie humaine se trouvent envisagées telles quelles et comme chacun peut les voir. Certains points ne peuvent manquer d'échapper absolument à des profanes, mais d'autres concordent de la façon la plus saisissante avec les préoccupations nécessaires des citoyens. Personne n'y peut être insensible. Ainsi l'analyse des causes de la Guerre porte également sur la guerre étrangère et la guerre civile. Nous sommes chez les philosophes et non chez les rhéteurs ; s'il est horrible de se massacrer de peuple à peuple, il l'est plus encore de s'entre-tuer au sein d'une même nation.

Au nombre de ces causes, le pape relève l'injustice dans les relations des classes inégales qui pourraient s'aimer. Le pape donne aussi cette explication des guerres sociales : le mépris de l'autorité depuis qu'on a voulu assigner au pouvoir pour toute origine la libre volonté des hommes. Cela revient à désigner l'élément d'anarchie et de lutte intestine inclus dans la démocratie. Mais le point le plus digne d'être remarqué et médité est ce qui est dit du désir de bien-être matériel considéré comme un élément belliqueux. Notre jargon dirait : la cause économique. Certains ont exagéré le rôle de cet élément. Il ne faudrait pas le renier ni le trop réduire.

Tout le livre de Norman Angell, assez bien nommé La Grande Illusion 5, et qui n'est en effet qu'une illusion, mais sans grandeur, repose sur cette vue qu'il n'y aura plus de guerre quand on saura, quand on verra que la guerre ne paie pas ses frais.

Le vrai est qu'elle cessera quand on croira cela, c'est-à-dire jamais ; le grand producteur, le producteur effréné de richesses matérielles, le travailleur qui se prévaut de créer et de multiplier cette sorte de biens dont l'essence est d'être partagés crée autour de lui et en lui des puissances de destruction qui, en se développant, agiront à main armée. Car il créera des jalousies folles. Il s'enivrera lui-même de ses propres rêves et pour les mûrir plus rapidement, la suppression de toutes les rivalités s'offrira et s'imposera comme la plus prudente des ambitions. Il lui sera toujours possible de griser et d'entraîner dans un mouvement belliqueux ces éléments moyens qui d'eux-mêmes tendraient à préférer les douceurs de la consommation et de la jouissance. C'est ainsi que l'esprit d'équilibre conseillé par le premier degré du travail, de l'épargne et des autres arts dits pacifiques, est promptement rompu par l'esprit d'entreprise et d'initiative attaché à toute technique purement matérielle. Il faut dépasser la conception des richesses divisibles et susceptibles d'être volées pour abolir ce genre de guerre de rapine qui est à la société des nations ce que le vol est à la société des familles. Norman Angell aurait pu démontrer que le vol ne paie pas ceux qu'il envoie au bagne : mais les en a-t-il convaincus ?

Incomparablement plus sage, l'Encyclique conseille de déraciner d'abord l'avarice 6. On se battra moins pour le bien-être matériel quand les hommes et les peuples en seront un peu détachés. Hors de ce détachement, hors de cet esprit catholique, toutes les perspectives d'avenir sont guerrières fatalement. Si Karl Marx a raison, si M. le Ministre Jules Guesde a raison, si les fatalités du « ventre » doivent diriger de plus en plus les pensées et les sentiments de l'homme futur, il faut aussi compter que l'acier des faucilles et celui des charrues et des couteaux de table seront de plus en plus changés en armes de défense ou en instruments d'agression. Telle du moins me paraît être l'évidence. Ceux qui prétendent autre chose prononcent des mots décousus démentis par l'événement. La faillite du pacifisme humanitaire ne m'a pas étonné ; depuis longtemps, je ne m'étais étonné de sa monstrueuse irréalité.

Tout au rebours, le pacifisme catholique et pontifical se présente comme une doctrine intelligible, liée, rationnelle, supérieure aux réalités, mais en accord avec toutes les lois des choses. Si l'on veut un autre exemple du genre de satisfaction intellectuelle qu'on y rencontre, on peut lire au dernier numéro des Études fondées par les Jésuites l'article d'Yves de la Brière 7 sur « la guerre et la doctrine catholique » ; la question de la force et du droit s'y trouve abordée et analysée. Exception faite pour un article de Paul Bourget avant-hier, nous n'avions lu jusque-là, dans les écrits français et allemands, que des balivernes sur ce sujet. Là se retrouve enfin l'esprit des choses et la liaison des idées.

Même question : comment tous les profès du pacifisme ne donnent ils aucune attention à cela ? Je fais mon devoir d'écrivain en leur disant et même en leur criant de regarder un peu de ce côté. C'est très intéressant pour tout le monde. Cela devrait les passionner, eux. Comment est-ce tout le contraire ?

La communauté des âmes

9 janvier 1915.

M. Jean Bourdeau 8 ne disait rien d'excessif en parlant, l'autre jour, de la dissolution de la deuxième Internationale. La première avait cédé à la guerre de 1870. La nôtre, qui semblait plus forte et qui se vantait d'avoir empêché la guerre lors d'Agadir, s'est rompue comme verre au premier cri de l'Empereur et des Princes allemands menant leurs peuples à la curée de l'Europe. Y aura-t-il une troisième Internationale ? C'est possible, toute chimère peut revivre. Et la preuve de sa faiblesse sera sans doute réitérée au contact de semblables réalités.

En attendant, l'Internationale numéro 2 n'a rien obtenu. Notre classe ouvrière a vaillamment et solidement fait son devoir pour la France après avoir offert à la classe ouvrière allemande des possibilités d'action révolutionnaire commune qui ont été écartées comme irréalisables. Les intérêts nationaux ont tout emporté. Rien n'a été tenté ni conçu pour empêcher la guerre ni, cette guerre déclarée, pour en adoucir la rigueur. Rien pour adoucir les mœurs militaires, rien pour ces prisonniers, auxquels le pape Benoît XV est en train d'apporter une aide efficace… Mais que me fait-on lire dans Le Matin d'hier ? Cette dépêche d'Amsterdam qui est venue par Londres, deux voies qui ne sont pas suspectes de papisme :

Des télégrammes de Berlin annoncent que l'arrestation du cardinal Mercier a jeté la consternation parmi les catholiques d'Allemagne.

Les chefs du parti catholique (il s'agit des chefs de ce parti au Reichstag) expriment ouvertement leur regret de la mesure prise à l'égard du cardinal, mesure qu'ils considèrent comme une maladresse impardonnable.

Et cette annonce du murmure catholique, cette rumeur du mécontentement d'un groupe nombreux au Reichstag suivant de près la nouvelle des mauvais traitements infligés à un prince de l'Église, aboutit sans retard au démenti signalé hier et qui constitue soit le fait, soit l'amorce du retrait pur et simple des mesures prises contre le cardinal.

L'Internationale socialiste n'a rien pu ni voulu pouvoir dans les assemblées du Reichstag ; le Reichstag n'est pas réuni, et l'Internationale catholique y fait sentir tout de même quelque influence…

Que conclure ? Que penser ? Oh ! rien du tout. Ne pensons pas, ne concluons rien et mettons solidement nos poings sur nos yeux… Ou, sinon, voyons ce qui est et avouons-le franchement. L'Internationale ouvrière étant à sa seconde faillite, l'Internationale scientifique, si elle a jamais rêvé d'être, a été démolie par le manifeste des 93 savants 9 ostrogoths. Mais il y a, mais il subsiste, malgré tout, envers et contre tout, dans une mesure dont Pie X a pu regretter la faiblesse, puisque ce grand pape en est mort de douleur, il y a, il subsiste dans une mesure sensible, une communauté religieuse des âmes supérieures à la communauté des nations. C'est la communauté du catholicisme.

Il faut donc être fou pour rêver de paix entre les peuples par une organisation internationale en négligeant la seule puissance organisée qui soit douée de quelque internationalité véritable.

Le national, l'universel

2 février 1915.

Donc, tandis que dans l'Internationale scientifique, littéraire, socialiste, capitaliste, chaque groupe national a suivi le sort de la nation à laquelle il est attaché, le catholicisme conserve une existence distincte et une loi indépendante. Toutes les organisations européennes subissant la loi de la guerre, ont disparu devant l'État dont elles sont citoyennes ou, si elles tentent d'exister hors de lui, font la preuve publique de leur impuissance et de leur inexistence. Seule, l'organisation catholique a donné un signe patent de vitalité autonome. Cela s'est passé en Allemagne ; quand on y a connu la nouvelle de l'arrestation du cardinal Mercier ; l'émotion des Allemands catholiques a été telle que l'administration impériale a dû retirer ses décrets ou démentir ses actes. Ainsi, jusque chez les Barbares, il a brillé comme un rayon d'humanité intelligente. Et cela par la seule vertu de l'Église.

Est-il bon qu'une telle vertu de paix existe ? Jusqu'à présent, plus on se classait parmi les esprits « avancés », moins on jugeait utile de poser la question. Cela allait si bien de soi qu'on se croyait tenu de multiplier les pouvoirs internationaux de cette nature : tribunal de la Haye, Conférence de Berne, congrès scientifiques, littéraires, professionnels. À la vérité, pour des raisons obscures, on affectait de négliger le catholicisme, mais on allait, on avançait dans la direction du catholicisme, c'est-à-dire de l'Universel.

Un grand bienfait

La haine du catholicisme ou les préventions contre lui vont-elles obliger le monde démocratico-républicain à divorcer d'avec l'Universel ? Ce serait pittoresque, ce serait gai, c'est déjà drôle. Rien que dans Le Temps d'hier soir, on déclare en première page que le « caractère universel de certaines Églises est ici en défaut » (sur la question de la guerre et de la paix !) tandis qu'en troisième on écrit avec sévérité : « On voit actuellement où conduit le mépris de l'humain et de l'universel »…

Le Temps de ce soir ou de demain choisira peut-être. En attendant, nous sommes de ces nationalistes qui ne méprisent ni n'avons jamais méprisé dans les choses humaines l'humanité, l'universel, ni, par conséquent, la seule institution organique et vivante dont l'esprit soit universel, le catholicisme. C'est justement parce que les nations se font, au ras du sol, une guerre atroce, qu'il nous paraît honorable pour notre espèce que, dans le ciel, plus haut, plus loin que le chemin des taubes 10, existe un lieu où se rencontrent et puissent converger des prières de même rite, exhalées d'âmes ennemies. Il nous paraît aussi beau et bon, qu'il subsiste malgré tout des points communs sur lesquels établir plus tard des éléments de communication. Ces éléments sont, de nos jours, extrêmement réduits, même dans l'ordre religieux. Jadis ils débordaient cet ordre. Il y avait une camaraderie militaire qui, plus anciennement, formait la chevalerie. Il y avait un état d'esprit européen qui donnait des lois humaines à la guerre. Ces grands biens moraux sont perdus. Mais nous voyons le peu qui reste adhérer et se cramponner au catholicisme. J'avoue que ce fait visible et palpable contribue à me rendre extrêmement attentif et respectueux envers tout ce qui tient à l'essence catholique. L'affaiblir aujourd'hui, c'est affaiblir le dernier refuge terrestre de l'humain, de l'universel.

— Mais le pape n'a pas foudroyé les Barbares.

— Il ne saurait m'appartenir de mener le foudre du pape, ni d'en ménager les carreaux. Le pape fera ce qu'il devra et ce qu'il voudra. L'important, c'est qu'il existe et que l'« Homme blanc » continue à briller sur le tertre de la Sibylle. C'est pour cette autorité précieuse qu'il faut prononcer avant tout le prius vivere. Où qu'elle aille, quoi qu'elle fasse, tant qu'elle est là, elle est ; cette existence, à elle seule, est un bienfait immense, par ce qu'elle représente l'unité de centaines et de centaines de millions d'esprits et de cœurs. Elle incarne l'internationalité dans un siècle où les rivalités des nations se déchaînent et se déchaîneront de plus en plus. Avant qu'elle ait rien fait ni rien dit, comprenons qu'il faut la remercier d'être. Ce qu'elle ne fait pas aujourd'hui, elle peut le faire demain. L'espérance dont elle est le signe ne s'éteindra qu'avec elle-même. C'est donc elle qu'il faut défendre d'abord et sauver. L'historien protestant de saint François d'Assise, M. Paul Sabatier 11, qui critique le pacifisme de certains catholiques italiens, a tout à fait raison contre ces messieurs, mais on chercherait vainement dans sa critique la sérieuse promesse d'une base d'entente et d'accord pour le genre humain. Quand elle commettrait en passant une erreur politique quelconque, l'Église avec son pape et sa hiérarchie offre à l'humanité un point de rencontre que rien ne remplacerait s'il venait à manquer.

C'est pourquoi je me sens peu porté à la poursuivre de critiques ou même à l'environner d'appréciations, surtout en un temps où les jugements ne peuvent qu'être précipités par des passions rivales et des intérêts antagonistes. Ces passions sont sacrées en nous ? Ces intérêts sont légitimes ? Ah ! oui, mais ce sont des intérêts, ce sont des passions ; pour conserver à l'homme de tous les pays et de tous les temps l'avantage de son bienfait (position internationale, paternité universelle, juridiction œcuménique) la papauté doit se résoudre à commencer par s'abstraire même de sentiments qui sont pour nous non seulement légitimes, mais obligatoires. Et il lui faut se résigner à ne pas correspondre à tous les recours nationaux qui, s'élançant de divers théâtres de guerre, s'annulent les uns par les autres. Surtout enfin, il lui faut procéder avec autant de lenteur et de précaution que les peuples armés mettent de promptitude et de rage à se massacrer. Il devrait nous suffire d'imaginer une papauté tenant une autre conduite pour vérifier aussitôt que son pouvoir international deviendrait national, qu'elle tomberait de l'état de juge à celui de plaideur et du rang de père pacifique et silencieux au rang de fils armé et belligérant ; changer ainsi serait disparaître. Les aveugles qui souhaitent que la papauté disparaisse souhaitent cela.

Il est extrêmement visible que forte de son rôle et de son devoir, la papauté ne veut pas finir. Elle tient à ne formuler devant personne aucune parole de rupture qui puisse couper court à son ministère international. Le dernier discours prononcé par Benoît XV dit le droit, définit le bien, mais évite de s'attarder sur le tort et le mal, pour éviter de prendre aucune sanction directe immédiate. Si l'on s'étonne de cette procédure romaine, c'est vraisemblablement parce qu'on se figure que les papes du moyen âge commençaient toujours par lancer des bulles d'excommunication contre le prince criminel et par délier les sujets du serment de fidélité ! Autant voir le passé comme on lit trois lignes de manuel et se représenter le travail juridique et diplomatique de longues années comme une improvisation de journal ou de tribune bâclée pour agiter l'opinion ou pour la tromper. Autant imaginer aussi que tout ce qui se fait est rendu public instantanément, tout ce qui n'est pas dit, écrit et mis dans les journaux devant être réputé inexistant !

La diplomatie des journaux

L'inexistant, le frivole, hélas ! ce sont les commentaires et l'état d'esprit de la presse démocratique. Il a fallu la juste et opportune intervention du cardinal-archevêque de Paris pour faire comprendre à des esprits ignorants et brutaux que l'on peut demander humblement le bien de la paix aux Puissances mystérieuses sans vouloir conspirer contre la victoire ! Il faut d'autres explications pour rendre sensible l'absurdité de notre attitude religieuse officielle, ignorante du Vatican et que les affaires vaticanes obsèdent !…

Je notais tout à l'heure le caractère légitime et sacré de la cause française. Comment des intérêts aussi sérieux, des passions aussi saintes n'ont-ils aucun avocat, aucun représentant devant un tribunal dont l'importance européenne éclate au soleil ? Le Grand Turc est représenté auprès de Benoît XV, le roi George V l'est aussi. Leur cause est donc soutenue à chaque conflit par des agents armés des renseignements nécessaires capables de rectifier à tout instant les fables de l'ennemi, comme de déjouer ses intrigues et ses manœuvres. N'ayant rien de pareil, là-bas, il y a cela de bon dans notre système que nous nous plaignons amèrement d'y être manœuvrés et diffamés à tour de bras. Le stupéfiant, ce serait de ne pas l'être. Or, les plus stupéfaits sont précisément ceux que met en fureur la simple pensée de rétablir cette ambassade qu'ils ont supprimée il y a onze ans. Ces messieurs ne s'étonneraient pas de perdre un marché où ils n'envoient rien ; ils sont tous ahuris de n'être pas connus ou d'être méconnus par la puissance avec laquelle ils refusent d'avoir des rapports. Ils trouveraient naturel qu'un marché délaissé fût occupé par d'autres ; ils sont scandalisés de trouver l'Autriche installée tout au large dans la place qu'ils lui ont faite pendant ces onze années de carence et de désertion. Enfin, ils ont traité en ennemis de l'intérieur leurs concitoyens demeurés en contact avec Rome, ils les ont harassés de vexations grandes et petites, ils s'en sont même pris à leurs monuments religieux, ils leur ont infligé par la législation générale, par la législation scolaire et hospitalière en particulier, un régime fiscal si exceptionnellement onéreux que les œuvres du dehors par lesquelles l'influence française se faisait encore sentir, en ont souffert l'inévitable contre-coup ; maintenant, ces messieurs se scandalisent que les Français catholiques ne leur aient pas ménagé de meilleurs rapports avec le Siège romain. Que ne leur en avaient-ils laissé plus de moyens !

Les pantalonnades du Temps

8 février 1915.

S'ils lisent les journaux de gauche, le cardinal Amette, le cardinal Sevin, tous les cardinaux, archevêques et évêques de France et M. le curé de la Madeleine lui-même ont dû apprendre avec un certain étonnement qu'ils viennent de faire retour aux libertés de l'église gallicane, de rentrer dans la tradition de Bossuet et de la déclaration de 1681. Les ennemis de l'Action française l'ont assez traitée de gallicane, sinon de janséniste, pour qu'il lui soit permis de laisser échapper en ces graves matières, qu'elle connaît un peu, un éclat de rire plein de mépris.

Ainsi se vérifie une fois de plus l'exactitude d'un ancien diagnostic : les plus grands diffamateurs du catholicisme et de la papauté en sont surtout les plus grands ignorants. Le Temps qui s'est signalé avant-hier par un horrible salmigondis de théologie et d'histoire ecclésiastique est le même journal qui, la veille, parlait, en première page, de la « tradition de Rebecca disant à Isaac : — Ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu. » Nous qui croyions que ces paroles, assez fameuses, se trouvaient au livre de Ruth…

Si, au surplus, l'on nous réplique que les divagations ecclésiastiques du Temps de samedi ressemblent moins à son lapsus de vendredi qu'à son silence méthodique sur le rôle du général Mercier, si l'on nous assure que le grand journal dénature l'histoire de l'Église et de la France religieuse comme celle du canon de 75, dans un intérêt de parti, très républicainement confondu avec un intérêt d’État, nous n'aurons rien à objecter à cette vue tout à fait juste. Tant que le régime républicain durera, il y aura dans l'ordre religieux et dans l'ordre militaire une génération constante de dénis de justice et d'escamotages pareils.

L'opinion est reine. Pour la capter, il faut la faire, et pour la faire, la tromper. Ou changeons le gouvernement, ou résignons-nous à ce qu'il n'en soit jamais autrement.

L'internationale catholique

Beaucoup de catholiques français ont bien voulu me dire, en particulier et en public, dans leurs lettres et dans leurs journaux, combien ils avaient approuvé le point de vue proposé ici par notre nationalisme, sur le rapport du catholicisme et des nations. J'ai reçu en revanche, vendredi dernier, la contradiction aussi courtoise que ferme, mais aussi ferme que courtoise, d'un écrivain et d'un journal que je ne veux point nommer sans leur présenter à tous deux l'expression et l'hommage de nos sentiments d'admiration et de dévouement : Le Vingtième Siècle de Bruxelles, qui paraît aujourd'hui au Havre, et son directeur, M. Fernand Neuray, qui a suivi en exil son gouvernement et son État. Profondément catholique et patriote, le publiciste belge souffre deux fois. Il a droit à un double respect de notre part. J'ai lu son éloquente contradiction avec l'attention et la sympathie dont elle était digne, abstraction faite de la personne de son auteur. Et persistant dans le premier sentiment que j'ai énoncé, j'aurai, on le verra, la joie et le droit d'abonder dans le même sens que cet hôte et que cet ami.

Je l'appelle ami, comme allié, comme coopérateur, comme combattant, mais ce nom me vient aussi naturellement à la pensée parce que je lui vois exprimer sur les relations du nationalisme et de l'Internationale, quelques idées qui concordent avec les nôtres. Il y a « un dosage convenable du nationalisme et de l'internationalisme » qui fait la « santé des nations ». Ces sentiments sont « différents », non « exclusifs » : « il faut » et c'est là une parole aussi bonne que belle, « il faut, dit M. Fernand Neuray, que les hommes vivent sur la terre et qu'ils regardent au ciel ». Que le catholicisme soit la force internationale la plus bienfaisante, M. Fernand Neuray l'admet certes et l'admettrait encore s'il n'était pas catholique. Mais, dans sa douleur, il admet aussi ce que j'ai nié : l'internationale catholique a, selon lui, suivi le sort des autres internationales, elle a été emportée comme elles par la tempête guerrière, elle a fait la même faillite.

Certes, il met hors de cause le Saint-Siège ; pour des raisons de religion et de respect et aussi pour des raisons de justice et de bon sens, les raisons mêmes que j'ai présentées ici, notamment parce que l'action pontificale ne s'épuise pas dans ses seuls actes publics, lesquels ne sauraient donc suffire à la définir ! M. Fernand Neuray ne prend pas garde que voilà déjà une exception considérable à la règle de faillite universelle posée par lui. Qu'est devenu le Bureau de Bruxelles, qui présidait aux affaires de l'internationale ouvrière ? Cet organe central est dissous. L'organe central, l'organe romain, de l'internationale catholique subsiste et agit. Ce n'est pas tout que de garder sa tête sur ses épaules, mais enfin c'est déjà quelque chose : ce n'est pas rien.

M. Fernand Neuray veut parler uniquement « des communautés catholiques » : du corps. Mais, là, voyons avec précision ce dont il s'agit et ce que je disais, et ce que l'on me dit. Voyons surtout à quoi s'engageaient respectivement les différentes internationales en cause.

Catholicisme et sociale

L'internationale socialiste se promettait d'abolir en fait les actions guerrières en donnant dans chaque pays, selon la formule de Marx, au sentiment social des classes la prépondérance sur le sentiment national. Étant prolétaires, ouvriers, socialistes, avant d'être Belges, Français, Allemands, Autrichiens ou Russes, les adhérents de l'Internationale devaient, au moment de la prise d'armes, imposer par leur fraternelle abstention générale, l'observation matérielle de la paix. Cela, ils le promettaient, ils l'annonçaient, ils s'en vantaient. Ils étaient là pour qu'il n'y eût plus de guerre. Eux présents, il n'y en aurait plus. Or, qu'est-il arrivé ? L'État austro-allemand ayant attaqué, les socialistes d'Allemagne et d'Autriche ont attaqué aussi. La Belgique, l'Angleterre, et la France se sont défendues ; les socialistes de ces pays se sont défendus aussi. Pour une raison ou pour une autre (cela n'a aucun intérêt, au regard des faits à constater), tous ont rompu le pacte international. Faillite simultanée et complète, aussi nette qu'il était possible de la voir.

À quoi obligeait l'internationalisme catholique ? À empêcher les faits de guerre ? Cela n'a jamais été prétendu. Ce n'est pas en ce monde que le catholicisme déclare vouloir essentiellement établir en fait son ordre et sa paix. Le fait de la guerre ne comporte aucun démenti à sa doctrine, qui ne la nie pas plus que la peste ou que la famine bien qu'elle prêche énergiquement de travailler à la disparition ou la réduction de ces trois fléaux. À quoi s'engageait-elle, alors ? À pratiquer en fait les devoirs personnels et nationaux inscrits dans sa loi générale ou ses décrets particuliers ? Là, pour voir clair, il faut regarder distinctement ce qui est distinct.

Le catholicisme ne s'engage pas du tout à obtenir que ses devoirs seront mis en pratique sur terre, à toute heure du temps, à tout siècle de l'histoire et particulièrement aux siècles où son influence a été combattue ! L'internationalisme catholique ne saurait même être tenu pour équitablement obligé à ce que les vertus qu'il prescrit ou conseille soient pratiquées en fait par tous les peuples ou tous les individus qui ont gardé sa marque. Assurément il y conspire et il y parvient dans quelque mesure ; c'est à quoi il travaille de toute sa force. Tel est son but, l'objet de son action ; action heureuse, ou action malheureuse, action forte ou action faible, selon les hommes et selon les événements. Mais agir est une chose, et être en est une autre. L'action, signe et mesure de l'existence, est pourtant distincte de l'existence même. Pour que l'internationale catholique subsiste, pour qu'elle soit jugée tenir son engagement moral, il suffit absolument et largement que les catholiques en guerre restent attachés les uns aux autres par l'unité de foi, de tradition, d'obédience, de discipline. Ce que produiront ces sentiments, ces idées, ces faits peut être soumis à de profondes variations. On peut en estimer la dose insuffisante, on doit le regretter beaucoup ; tant que subsiste l'unité génératrice, étant donné son ordre, la nature de ses engagements et de ses promesses, étant donné aussi le siècle, un siècle de farouche développement des nationalités, l'internationale catholique ne fait pas faillite…

… Cette internationalité est véritable, elle est réelle, voilà ce que j'ai dit et ce que je maintiens. Si, à présent, l'on dit que cette réalité manque de la puissance qu'on lui voudrait, tout esprit juste et tout cœur bien placé le dira ; si l'on ajoute que son action, ébauchée sur un point, aurait dû s'exercer sur un autre, on me transporte dans un ordre d'idées tout à fait différent de celui où j'avais placé mes lecteurs. L'internationalité catholique limite la nationalité, voilà le fait que j'avais constaté. Mais la limite-t-elle assez ? Place-t-elle cette limite trop près ou trop loin ? C'est une autre question qui ne me regarde pas. Les soldats du roi de Prusse ont pu égorger des prêtres, violenter des religieuses, brûler des églises, saccager des trésors de science sacrée sans émouvoir les sentiments des catholiques allemands, et ils se sont ainsi avancés dans cette direction de telle sorte qu'ils ont paru pouvoir y progresser (si l'on peut dire) indéfiniment. Eh bien non. Cela leur a bien pu être permis, jusqu'à un certain point, mais jusqu'à un certain point seulement. Le point leur a été marqué par la personne, le rang du cardinal-archevêque de Malines. Guillaume II et ses soldats auraient bien voulu traiter le docteur de Louvain comme la bibliothèque de Louvain. Ils l'ont voulu manifestement, et non moins manifestement, ils ne l'ont pas pu. Ils ont rencontré là, d'une part, la force romaine, d'autre part, le propre sentiment de leurs compatriotes catholiques romains. Ceux-ci auraient pu et dû s'émouvoir plus tôt. Mais à la fin, ils se sont émus. On a dû démentir l'arrestation, en suspendre quelques effets ; on a dû ajouter au crime les hommages que l'hypocrisie rend à sa victime. C'est peu ? Sans doute, mais c'est quelque chose. Exactement, c'est tout ce qu'il me fallait démontrer.

Il y a quelque chose, il y a un grain d'internationalité résistante dans le catholicisme. Partout ailleurs, il n'y a rien. Le catholicisme est seul à combler cet abîme qui s'étend de zéro à un. Si donc, on veut aboutir tôt ou tard à un développement international de quelque sérieux, c'est sur le catholicisme que tous les politiques réalistes, sages et prévoyants, devront s'appuyer.

Les forces morales

La deuxième partie de la réponse de M. Fernand Neuray est un réquisitoire éloquent contre la mollesse et l'indifférence de beaucoup d'éléments catholiques dans les pays neutres. Le lecteur connaît notre avis là-dessus. Autant, nous réprouvons pour leur ineptie, pour leur sottise, pour leur mauvaise foi, les attaques dirigées par exemple contre le conservatisme et le catholicisme espagnols dans la presse républicaine officielle, autant les accents douloureux de M. Fernand Neuray nous vont au cœur et je crois ou j'espère qu'ils iront aussi au cœur de bien des neutres catholiques. « Le seul grief, dit-il, que l'on pût élever contre le peuple belge, c'était notre prétention à ne nous laisser devancer par personne quand l'Église romaine faisait appel au dévouement ou à la chanté de ses enfants. » Et plus loin : « La Belgique envahie, la Belgique martyre avait le droit de compter, dans les pays neutres, tout au moins sur le soulèvement unanime de l'opinion catholique. » En quelques lignes saisissantes, M. Fernand Neuray évoque les silences complaisants, les défections inattendues, les incroyables complicités qui sont venues aggraver le poids et l'amertume des malheurs de son noble peuple. Certes, de généreuses exceptions se sont produites. Il écrit :

Nous ne les oublierons pas. Nous avons trop souffert de l'ingratitude pour être jamais ingrats. Mais qui nous reprocherait de prendre des sûretés contre les désillusions, source de douleur plus vives et plus cruelles encore ? Nous avons été dupes ; nous ne voulons plus l'être.

Pour ne plus l'être, M. Fernand Neuray ne veut plus compter sur « la solidarité catholique internationale » qu'il appelle un bâton vermoulu, terme impropre, je crois. Le bâton est inexistant. Nous avons parlé d'une internationalité, nous ne sommes pas allés jusqu'à la dire assez puissante pour créer, de près ni de loin, une « solidarité », surtout d'ordre matériel. M. Fernand Neuray a raison de la traiter d'illusoire appui, qui « n'a protégé », dit-il, « ni notre sol, ni nos prêtres, ni notre université, ni notre cardinal ». Mais comment pouvait-il se faire « illusion » ?

C'est là que nous voyons nettement et distinctement un tort qui n'est certes pas belge, mais que les autres alliés et notamment les dirigeants français seraient sages de reconnaître pour y pourvoir à l'avenir. Ils ont trop cru aux forces purement morales. Ils se sont trop fiés à elles.

À moins de se reprocher l'héroïsme de leur conduite, héroïsme que l'Europe victorieuse se fera un honneur de couronner magnifiquement, je ne vois pas bien quel regret de cet ordre pourraient exprimer les sujets du roi Albert. Leur diplomatie a fait son devoir. Leur administration militaire et plus tard leurs armées sont allées même au delà du devoir. Dès le temps de Léopold II, les travaux de préparation militaire et maritime donnaient de hautes leçons de prévoyance aux autres États menacés. M. Neuray fait bien de promettre, au nom de ce peuple fier, de compter désormais davantage sur lui-même. Le conseil est de bonne hygiène morale et l'on s'en trouve toujours bien ; mais, enfin, proportionnellement à son territoire et à sa population, la Belgique, dans l'ordre de l'effort réel et matériel, la Belgique a fait le possible, la Belgique a fait l'impossible. Ce doit être le témoignage de l'univers.

Le droit et la force

Le droit pour s'imposer et même pour subsister a besoin qu'on le fasse valoir, qu'on le soutienne et qu'on le publie. Il suppose l'activité ou s'évanouit peu à peu, dans le sang et les cendres des hommes massacrés et des édifices incendiés, puis dans le froid sublime de ces espaces vides où s'éteint l'éclat de voix du plus véhément des rhéteurs.

C'est ce que les rhéteurs ne comprendront jamais. Ils passent leur vie à personnifier le droit. Mais les hommes d'action et les hommes d'analyse se demandent ce que peut être cette personne sans sujet, ce droit sans substrat vivant ; à leur tour de ne pas comprendre l'antithèse qui traîne partout, ce droit qu'on oppose à la force, cette force dont on veut faire l'opposé du droit ! Autant mettre en opposition le triangle et la couleur. Il y a des triangles colorés, il peut y avoir des couleurs étendues en surfaces triangulaires. Je ne conçois pas un droit qui serait abstrait d'une personne morale ou matérielle existante, et c'est-à-dire d'une force. Il y a la force, plus ou moins forte, qui a droit ; il y a la force plus ou moins forte qui a tort. Mais l'être de raison qui, sans aucune force, serait le droit ou aurait le droit, c'est ce que je ne puis concevoir. Au collège, on m'apprit, pour traiter des fractions, à commencer par les ramener au même dénominateur ; l'école de Droit commence par supprimer les dénominateurs communs sur lesquels on pourrait opérer et raisonner, après quoi elle dit à ses nourrissons de se débrouiller et surtout de parler beaucoup. Ils crient et se débrouillent certes, mais en embrouillant tout.

Le droit, qui a besoin de la force pour être, en a besoin encore pour être reconnu. Ce qui importe aux Alliés est donc, aussi bien pour l'action militaire que pour l'action de forces morales auprès des neutres, un problème de force et de puissance, un problème d'organisation générale et particulière ; générale, dans les améliorations apportées ou à apporter à leur gouvernement, les unes et les autres très sensibles en France et en Angleterre, améliorations particulières dans la mise en œuvre des moyens internationaux financiers, moraux, religieux, dont nous disposons. Un ambassadeur français au Vatican devrait être au premier rang de ces moyens vitaux. Il faut être borné et buté comme M. Clemenceau pour y contredire. Il faut être bien peu sûr de son droit et de son devoir pour craindre de passer outre aux fureurs de l'homme enchaîné. À l'ambassade du Vatican, il conviendrait de joindre une entreprise de propagande et de renseignements, étendue à tout l'univers.

La République le peut-elle ? Ah ! que je le voudrais. Car tout dépend de là : dire la vérité, dissiper les mensonges ! Pour en prendre un exemple dans l'histoire profane, incontestablement le général Mercier a choisi le canon de 75 en 1894 ; incontestablement, le pays ne le sait pas assez ; incontestablement, cela tient à ce que la presse qui dit la vérité est moins bien outillée, et d'une portée moins étendue que la presse qui fait silence. Incontestablement, le Temps, qui s'est conduit en cette affaire comme un …, ne peut être vaincu que par des moyens matériels supérieurs à ceux du Temps. Les arguments ne servent plus : problème de publicité, problème de force…

Encore les internationales

21 avril 1915.

Comme on l'a vu, les francs-maçons ne sont pas plus heureux que les camarades et leur internationale a craqué entre la Belgique et l'Allemagne, fin septembre, comme l'internationale socialiste s'était rompue entre la Belgique, la France et l'Allemagne dès les premiers jours d'août. Il n'y a donc plus qu'une internationale qui tienne, le catholicisme, mais cette vérité de fait observée par nous dès le commencement de la guerre doit renfermer quelque chose de bien dangereux pour les maîtres de jour, car leur principal affidé, Gustave Hervé, n'a pas laissé passer une occasion de la contester ou plutôt de la nier, comme seul Hervé sait nier, mais sans souci du vrai ni du faux, sans autre préoccupation que de mettre dedans son lecteur.

Je ne suis pas surpris de voir un petit nombre d'étourneaux, de hannetons et aussi d'habiles gens intéressés dans l'affaire, joindre leur murmure à celui de Gustave Hervé. Mais André Lichtenberger 12 nous avait accoutumés à plus de réflexion ou de jugement. Il me permettra de considérer avec étonnement sa mise en faillite d'une institution internationale qui peut mettre dans ses annales les quatre dates suivantes :

L'action et l'existence

En pleine conflagration, l'internationale catholique avait procédé avec un parfait accord, dans les formes les plus paisibles et les plus rapides, au renouvellement de son chef. S'il y a une opération délicate, pour les collectivités quelles qu'elles soient, c'est bien celle-là. Elle n'a déterminé aucune division ni séparation, et, depuis, ni les impulsions nouvelles, inévitables en tout nouveau pontificat, ni les problèmes extraordinairement compliqués posés par la guerre n'ont rien apporté qui ressemblât même à l'appréhension d'aucun de ces périls. D'autres affaires purent jadis donner à redouter des schismes, mais non point celle-ci. L'unité catholique reste ce qu'elle est. Et ce qui est difficile, ce n'est point de la maintenir, c'est, telle quelle, dans sa cohérence étroite et profonde, de la tourner en faveur de tels ou de tels. Problème d'action et de décision, comme on voit, mais non problème d'existence. L'existence n'est pas en jeu ; ce dont on discute, c'est de savoir comment cet être agira, s'il a agi, ou bien agi, ou agi comme il devrait agir.

C'est ce que veut dire Lichtenberger au fond. Avec la promptitude des hommes d'imagination (et peut-être de passion), peut-être aussi sans se douter ni s'inquiéter comme il le devrait du parti qu'on pourra tirer de ses paroles et, d'ailleurs, en se défendant de vouloir partir en guerre contre le catholicisme et ainsi froisser beaucoup de nos compatriotes, même en saluant les instincts nobles et profonds auxquels correspondent les sentiments religieux, il allègue que l'internationale catholique :

  1. prétendait arborer pour étendard un rêve de justice et d'amour ;

  2. n'a pas trouvé un seul mot de protestation pour flétrir un abominable déchaînement de crimes ;

  3. s'est montrée incapable de dominer les forces souveraines qui règlent la vie d'aujourd'hui.

Sur les trois points, ceux qui raisonnent comme Lichtenberger entassent les erreurs de fait et de droit.

De quelques confusions

Je ne voudrais pas chagriner Lichtenberger qui est, si je ne me trompe, d'origine luthérienne, mais enfin il se montre plus injuste qu'un autre en demandant à l'internationale catholique d'agir sur des forces qui, depuis quatre siècles, se sont dérobées à sa communion. Il devrait admettre cet élémentaire principe que dans l'internationale catholique il n'y a pas de protestants ! Nous reprochons aux directeurs de L'Humanité d'avoir été sans influence sur les rédacteurs du Vorwärts ; nous ne leur reprochons pas de n'avoir rien obtenu des Annales prussiennes ni de la Gazette de la Croix. Le seul ressortissant de l'internationale catholique du coté des empires germaniques était le vieil empereur d'Autriche et encore, depuis l'assassinat de l'archiduc héritier avait-il ses agents principaux dans un ministère hongrois aussi calviniste que Guillaume II en personne !

Ce ressortissant unique, on peut le rappeler, prétendait faire bénir ses armes par le feu pape, « Je bénis la paix », fut la réponse du magnanime Pie X. Pour savoir si les atrocités de la guerre n'ont pas été condamnées par le Saint-Siège, tribunal international, mais tribunal qui n'improvise pas ses arrêts et auprès duquel toutes les parties, notamment la nôtre, ne sont pas encore représentées, André Lichtenberger devrait bien feuilleter la publication si utile et si belle publiée sous la direction de Mgr Baudrillart par un groupe de catholiques, La Guerre allemande et le Catholicisme. Ce recueil des documents belges, français et romains s'adresse à tous les catholiques neutres et peut faire la plus avantageuse propagande à notre pays. Il mérite d'être donné en modèle d'une diplomatie aisée, souple, digne, vraiment efficace. Il suffira, pour aujourd'hui, d'en indiquer à André Lichtenberger les pages 215, 216, 217. Il y verra ce que le chef de la Catholicité déclare penser de « l'horrible et meurtrière catastrophe de ces derniers jours », comment il se prononce, dans quels termes, dans quelle mesure sur les questions de justice et d'injustice, d'agression et de défense, enfin comment il traite le peuple belge. S'il désigne les coupables au lieu de les nommer, cela peut mécontenter André Lichtenberger, Gustave Hervé ou Clemenceau. Mais s'il me fallait juger à mon tour le langage pontifical, bien que cela ne me regarde en aucune sorte, je déléguerais mon suffrage aux prisonniers blessés internationaux que les démarches pontificales ont mis depuis en liberté. Les journalistes auraient été plus satisfaits de voir le pape user de leur encre et de leur style. En parlant en pape, en conservant son rang, le pape a gardé aussi les moyens d'exercer des prérogatives pontificales en faveur de pauvres captifs.

Délivrer des captifs, dire ce qui est permis et ce qui est interdit à la guerre, consoler par de douces paroles les nationalités affligées, ce sont là des œuvres de haute vertu catholique ; quel qu'en soit le prix, malgré tout, ce n'est point là-dessus que l'internationale catholique est fondée. Elle a d'autres principes comme elle a d'autres objets. Ce principe n'est pas dans la vie sociale, mais dans le for intérieur de la personne humaine. Elle ne se propose aucunement pour fin directe de réaliser sur cette planète un plan de fraternité politique. Tout en spécifiant que l'observation de sa foi augmenterait la valeur des sentiments fraternels et les liens d'amitié entre les hommes, son royaume est ailleurs, et c'est en vue de cette vie future qu'elle a rassemblé les humains. Elle n'a pas promis l'extinction des guerres et, si elle déplore les guerres qui éclatent, personne ne peut lui dire ce que nous avons le droit de dire aux socialistes et aux francs-maçons : votre parole n'est pas tenue.

Jamais on n'a demandé à nos catholiques, sur les fonts baptismaux, ni au catéchisme, de ne pas tirer sur les catholiques allemands, jamais on ne leur a promis que leurs frères d'Allemagne ne tireraient pas sur eux et, plutôt que de déclarer la guerre, feraient des grèves, des émeutes ou des révolutions. Le centre catholique allemand est venu à bout de Bismarck et du Kulturkampf, on ne nous a jamais dit de ce centre, comme des cent socialistes élus au dernier Reichstag, qu'il rendrait la guerre impossible. Qui n'a rien promis de pareil n'a rien à tenir dans cet ordre. Où donc André Lichtenberger voit-il les éléments de la faillite rêvée ?

Les nations

Il est d'autant plus facile de lui reprocher cette opposition de rhétorique pure, que nous lui voyons reprendre d'autre part des idées qui sont les nôtres et que nous avons été les premiers à enseigner aux Français. Oui, nous vivons au siècle des nationalités. Oui, dans l'Europe d'aujourd'hui, dans l'ère où nous sommes, les patries, les nations sont les syndicats suprêmes, il n'y a pas de centre politique solide qui soit plus vaste. En deçà (provinces, communes, corps de métier) c'est trop faible et c'est trop étroit ; au delà, cela ne tient pas… Ceux qui voudront se reporter aux plus anciennes déclarations de l'Action française, celles de novembre 1899, verront que notre langage a peu varié 13.

Mais nous parlions de politique et de politique temporelle, nous ne confondions pas avec le temporel l'ordre du spirituel qui est tout autre, et cette distinction qui est dans la nature des choses nous permettait alors, et quand il était temps, d'élever la tension de nos dévouements à son maximum d'utilité nationale sans cesser de respecter les services sacrés que rend le catholicisme à l'humanité en la réunissant encore, malgré tout, par-dessus les tombes, par dessus des fleuves de sang et des mers de ruines, dans la conception et la vénération d'un plan extérieur et supérieur à la vie.

Il est douteux que les développements nationaux puissent être arrêtés ni même enrayés et tempérés avant longtemps. Mais, aussi longtemps que durera cette anarchie, elle pourra coexister avec l'internationale catholique, et voilà déjà un point d'appui d'assuré aux communications supérieures des hommes. Je ne dis pas qu'ils pourront toujours s'entendre par cette voie. Je dis que cette voie est et sera la seule qui leur sera ouverte pour le tenter, et si la tentative a quelque chance, un jour ou l'autre d'aboutir, ce sera forcément, tout l'indique, de ce côté-là.

Tous les avocats de l'internationalisme s'efforcent de dissimuler cette voie. Ils montrent simplement ce que l'homme sait faire d'une vérité qui déplaît.

La seule Internationale…

17 janvier 1915.

La seule Internationale qui tienne, disions-nous dès l'été de 1914, quand les cardinaux des pays en guerre s'étaient réunis et mis d'accord pour donner un pape à l'univers, la seule Internationale, c'est encore le Catholicisme.

Sur son plan et dans sa hauteur, il continue à vivre, à fonctionner en temps de guerre comme il vivait et fonctionnait en temps de paix. Il n'abolit pas les massacres qu'il ne s'est jamais engagé à abolir. Il ne fait pas vivre les individus ni les nations dans la béatitude du paradis, car il n'a jamais promis un tel paradis sur la terre. Mais son ordre spirituel garde sa magistrature visible, les rapports n'en sont pas altérés, ni même tendus, et l'autre jour, l'éminent évêque de Montpellier, cardinal de Cabrières, qui s'est placé au premier rang des patriotes français, pouvait néanmoins protester, sans provoquer nulle part aucune surprise sincère, contre l'idée qui lui avait été attribuée ridiculement d'avoir voulu adopter on ne sait quelle attitude de polémique contre un cardinal allemand. Les Académies ont rompu, les ententes inter-prolétariennes se sont dissoutes, une seule communication normale et régulière subsiste. C'est celle qui se fait sur le toit du monde par la coupole de Saint-Pierre et les terrasses du Vatican.

La magnifique lettre de l'épiscopat belge à l'épiscopat allemand permet d'admirer de plus près encore les caractères de haute humanité qui sont propres à des communications de ce genre. Certes, les termes sont aussi antagonistes que possible. Les rédacteurs et expéditeurs du message sont les premiers pasteurs de la Terre martyre, et les destinataires sont les chefs spirituels du peuple bourreau. Aucun échange de pensées ne semblerait possible entre ces extrêmes. Et cependant, en voici un auquel il sera vraisemblablement répondu. Nul langage ne paraissait devoir être commun, et non seulement il n'a même pas à se créer, mais ce langage porte un enchaînement de raisons intelligibles, un appareil de démonstration relevant d'un système de pensées que l'adversaire doit avouer et conduisant à des conclusions évidentes par elles-mêmes auxquelles l'épiscopat germanique sera bien obligé de répondre par des oui ou des non riches en conséquences.

Les savants, les critiques, les jurisconsultes des peuples alliés ont publié jusqu'ici des chefs-d'œuvre d'analyse persuasive. Les plus fortes de ces études destinées à convaincre la mauvaise foi germanique étaient seulement un peu dénuées de base logique ; or, c'est par là, en circonscrivant étroitement cette base, que les évêques de Belgique ont créé dans le ciel des pures idées une sorte d'enceinte neutralisée où le vrai et le faux, le bien et le mal, non relatifs aux nations, mais essentiels et universels se détacheront et apparaîtront une fois pour toutes. Un formulaire et un vocabulaire communs, un appareil dialectique commun, voilà ce que le catholicisme semble avoir assuré aux théologiens de Belgique et à ceux de la Germanie.

Dialogue possible

Les évêques allemands pourront sans doute s'en échapper. Mais à la condition de se mettre en fin de compte hors de l'Église et hors de L'Humanité.

Il leur est dit, en effet :

« Nous ne l'ignorons pas, vous répugnez à croire que des régiments dont vous connaissez, dites-vous, la discipline, l'honnêteté, la foi religieuse, aient pu se livrer aux actes inhumains que nous leur reprochons. Vous voulez vous persuader que cela n'est pas, parce que cela ne peut pas être.

« Et, contraints par l'évidence, nous vous répondons que cela peut être, attendu que cela est.

« Devant le fait, il n'y a pas de présomption qui tienne.

« Il n'y a pour vous comme pour nous, qu'une issue : la vérification du fait par une commission dont l'impartialité soit et apparaisse à tous indiscutable. »

On peut admirer la puissance morale de la proposition. Mais, la construction logique de son libellé est plus admirable encore : il n'y a pas à dire ni à croire que les Boches pourront donner des signes d'inintelligence. Ce langage est clair dans tous les langages du monde. Les chiffres ne sont pas plus clairs.

Notez que leurs vénérables correspondants ont évité de commettre aucune condamnation préalable. Une pétition de principe aurait tout gâté. Ils s'adressent à des « Éminences », à des « vénérés collègues ». Ils respectent toutes les règles du protocole antique de leur religion et de leur état. La hiérarchie commune sert ainsi de degré pour atteindre à la vérité et accéder à la justice.

Elle fait mieux. Elle révèle derrière le rideau mystérieux qu'on indique sans l'agiter en vain, la présence d'un tribunal réel et d'un juge vivant. Juge surnaturel sans doute mais représenté par un vicaire de chair et d'os. Il n'est pas encore question d'en appeler directement à ce vicaire, comme le voudraient tant d'esprits précipités. Mais on se réclame de son autorité. On cite ses paroles. Il est là. Il entend. Il ne peut être récusé. Tant que l'une des deux parties n'aura pas déchiré la robe sans couture du catholicisme unitaire, la cause sera entendue et plaidée régulièrement, de part et d'autre : par-dessus le grondement ininterrompu de ces armes qui ébranlent la terre, les eaux et les profondeurs mêmes du ciel matériel que l'homme a violées depuis peu, un ciel supérieur subsistera où des esprits aussi délivrés que possible du poids de la vie chercheront avec liberté où furent le juste et l'injuste, le droit et l'infamie, la vérité et le mensonge. Les échanges proprement humains se réfugieront presque tous de ce côté-là.

La guerre et la paix

L'expérience sera-t-elle poussée jusqu'au bout ? Je ne dis certes pas que les prélats belges obtiendront des prélats allemands l'aveu qu'ils sollicitent. Je dis que ces derniers devront traiter du sujet qu'on leur propose ou qu'on leur impose, d'un point de vue fort différent de celui de l'Empereur, des hobereaux, des armateurs et des grands syndicats ouvriers. La précision du thème rendra, comme on l'a déjà dit, les échappatoires et les diversions difficiles. C'est l'avantage du point de vue spirituel absolument pur : comme son point de vue matérialiste, absolument pur lui aussi, faisait l'extrême faiblesse de l'internationale socialiste ouvrière.

Les disciples de Marx traitaient d'une sorte de biens que tous les moralistes estiment précieux, légitimes et agréables, mais déterminés, mais comptés et de telle nature qu'ils diminuent quand on les consomme et qu'ils sont amoindris quand ils sont partagés. La communauté de ces biens ne peut être poussée que jusqu'à un certain point seulement, il vient toujours une heure où, qu'on le veuille ou non, il faut les rendre à la jouissance individuelle et les incorporer à un égoïsme personnel ou collectif, à un « ventre » comme dirait M. Jules Guesde, ou à soixante-sept millions de ventres. La guerre est donc presque inhérente au partage de biens semblables ; par leur nature même, ils la rendent toujours possible et même menaçante.

Au lieu que le propre des biens spirituels étant de pouvoir se multiplier à mesure qu'on les partage, les communications internationales qu'on leur confie ne portent pas en elles le germe de concurrence, de jalousie, d'envie et de haine. Il y eut des guerres que l'histoire nomme religieuses. Mais ce scandale exceptionnel montre que la vie proprement spirituelle ne met pas l'homme à l'abri du ferment guerrier ; par contre, sa vie matérielle l'y expose essentiellement, et la plus grande aberration du saint-simonisme, avant le socialisme, est d'avoir pu imaginer un seul instant le contraire. La transformation du monde minéral enchaîne les hommes à leur terre, et l'industrie croissante ne peut que les nationaliser de plus en plus. Ce n'est pas faute d'avoir été avertie par des critiques clairvoyants que la nation la moins industrielle s'est trouvée être la moins bien armée. Qui terre aura, guerre aura. On ne fait la paix qu'in excelsis.

Un article des Études, le pape et les lois de la guerre

9 février 1916.

Les Études religieuses continuent, dans leur numéro du 5 février, la publication d'un très curieux et très important article de M. Yves de la Brière sur le pape Benoît XV et le rôle international de la Papauté. Nous y avons souvent rêvé, il existe un pouvoir international, solide et ancien : pourquoi les internationalistes n'en ont-ils jamais parlé que pour le combattre ? Il existe une institution dont l'influence va aussi loin que les confins de l'humanité : comment les humanitaires, comme les rédacteurs des innombrables feuilles intitulées L'Humanité n'ont-ils jamais souci de l'institution humaine par excellence, la seule qui puisse se prévaloir d'être à peu près adéquate à l'humanité ?

Cet énorme problème auprès duquel on croit pouvoir passer sans le mentionner, comme si on ne le voyait point, la jeunesse le voit, le note, et note encore l'embarras des rhéteurs socialistes ou démocrates pour y faire face. Un jésuite, un curé se présente qui le résout. N'en doutez pas, notre jeunesse, étant sans préjugés, examinera ce que disent le curé et le jésuite : si les idées qu'ils développent tiennent, on ne peut répondre de rien quant à ce que pourra conclure cette jeunesse…

Il y a naturellement dans l'article de M. de la Brière une idée qui se tient. Avant de l'aborder, je voudrais vous montrer deux excellents points d'histoire qu'il fixe.

Waldeck, les syndicalistes, les conférences de La Haye

Savez-vous que Waldeck-Rousseau, dont la politique ne brilla ni par l'à-propos ni par le bonheur, était, dans l'intimité, assez clairvoyant ? Nos aînés nous l'ont dit, nos cadets l'admettront ; nous qui avons vécu les années 1897–1902, nous avons un peu de peine à le croire. Cependant, M. Yves de la Brière, qui nous paraît admirablement informé, nous rapporte un discours qui semble montrer que l'énergie mentale de cet homme politique était supérieure à son énergie morale. Voyant la vanité de ce qu'il allait faire, il le faisait tout de même, en se fiant… à quoi ?

Le collaborateur des Études pose l'inefficacité des conventions tutélaires de La Haye :

Dès l'époque de la première conférence de La Haye, en 1899, Waldeck-Rousseau, alors président du Conseil, avait prédit cette inefficacité avec le réalisme sceptique et réfrigérant d'un misanthrope qui (pour des raisons connues de lui, sans doute) n'avait aucune ombre d'illusion idéaliste sur le rôle de la vertu dans le gouvernement des peuples. « Vos conventions internationales », disait Waldeck-Rousseau à l'un des délégués qui représentèrent la France aux deux conférences de La Haye (et qui nous répéta ce propos plus de trois ans et demi avant la guerre de 1914), « vos conventions internationales vaudront tout autant que mes propres arbitrages dans les questions ouvrières. Les ouvriers syndiqués acceptent argent comptant les clauses de l'arbitrage qui leur sont favorables et refusent d'observer les clauses qui leur déplaisent, sans qu'on puisse les contraindre à s'y conformer. Les syndicats ouvriers n'ont pas de propriété corporative dont la saisie deviendrait un moyen de coaction. Alors, ils sont inviolables et mon arbitrage demeure lettre morte !

Pour vos conventions internationales, ce sera la même chose. Les seuls États qui les observeront seront ceux qui ne les trouveront pas trop gênantes. Les autres n'auront rien de plus pressé que de les violer quand ils jugeront que leur intérêt le réclame et quand ils se croiront assez forts pour le faire impunément. Vos conventions auront la même infirmité que mes arbitrages : pas de sanctions ! Pour mes arbitrages, le gendarme ne peut rien faire. Pour vos conventions, il n'existera ni juges ni gendarmes.

Cette attitude du pseudo-liquidateur de l'affaire Dreyfus est accusatrice pour la politique républicaine ; si les conventions de La Haye étaient jugées en 1899 ce qu'elles devaient apparaître en 1914, il fallait garder notre poudre sèche et notre épée aiguisée. Le patron de Gallifet et d'André, le destructeur du Bureau des Renseignements, l'adversaire de l'ancien État-major voyait le danger de la guerre ; non seulement il n'a rien fait pour nous en défendre, mais il a fait ce qui dépendait de lui pour nous y exposer. Ce n'est pas d'un homme très fort.

« États » et « puissances » à la conférence

On sait qu'il fut question d'inviter le pape à la Conférence de La Haye, et, plus vivement encore, de l'en exclure… M. de la Brière écrit :

D'après le texte du projet de convention qui avait été, d'abord, soumis à l'examen de la première conférence de La Haye, en 1899, la Papauté aurait été purement et simplement exclue. On n'envisageait comme possible, sous réserve du bon plaisir des puissances contractantes, que de l'adhésion éventuelle d’États non représentés à la conférence. Or, dans la terminologie actuelle du droit public, le mot État désigne nécessairement une souveraineté territoriale ; de sorte que, depuis la chute du pouvoir temporel, la Papauté n'est plus un État. L'exclusion du Saint-Siège paraissait donc absolue.

Mais voici l'admirable :

Mais un délégué français eut la délicate et noble inspiration de proposer, dans la rédaction du texte officiel, la substitution du mot puissance au mot État. Le mot puissance, en effet, a une signification plus générale et peut désigner non pas seulement la souveraineté territoriale d'un État, mais aussi la condition juridique d'un personnage diplomatiquement reconnu comme souverain, même sans territoire indépendant ; condition juridique qui est celle de la souveraineté personnelle. La Papauté n'est plus un État, mais elle demeure une puissance. Admettre la substitution du mot puissance au mot État dans la convention de La Haye était donc admettre la non-impossibilité d'une admission éventuelle de la Papauté au tribunal permanent d'arbitrage international. Le représentant du roi Humbert à la première conférence de La Haye, un vétéran de la diplomatie et l'un des artisans de l'unité italienne, spirituel vieillard dont les anciens de la Carrière (et notamment Albert Sorel) vantaient l'étonnante séduction, le comte Nigra, se montra beau joueur.

Lorsque fut soumise à la conférence la proposition de substituer le mot puissance au mot État, il cligna de l'œil derrière son monocle et dit en souriant : « Je vois bien pourquoi ! » Mais il eut l'élégance et le bon goût de n'élever aucune objection. La substitution de termes fut agréée en 1899 ; et la formule de 1907 reproduisit, sur ce point, la rédaction de 1899…

Ce petit détail d'histoire diplomatique nous est revenu en mémoire lorsque nous avons lu la lettre publique du cardinal de Cabrières, en date du 25 décembre 1915, sur son récent voyage à Rome. Le cardinal français résumait ainsi les pensées de l'ancien collaborateur de la secrétairerie d'État au temps de Léon XIII devenu maintenant le pape Benoît XV : « S'il ne croit plus devoir reconquérir par les armes un domaine temporel, il espère, en dépit des apparences contraires, que l'influence française s'emploiera pour lui à la réunion du Congrès de la Paix. »

On ne peut en douter, ce nouveau projet pontifical va exciter des protestations violentes à l'extrême-gauche. Qu'un Docteur habillé de blanc et vénéré par 500 millions de fidèles apporte à la cause du droit universel le prestige, le charme, l'influence, la majesté de son autorité, c'est là, paraît-il, une usurpation inadmissible, c'est un insoutenable attentat.

Peu importe que l'intervention puisse être efficace ; elle est papale, il n'en faut plus. Qu'un diplomate français fidèle aux usages de notre peuple, sinon de notre État, ait eu l'effronterie d'ouvrir les voies à une intervention de ce genre, qu'il ait soutenu les intérêts unis de la France et du genre humain, c'est un intolérable scandale. Je serais bien surpris si l'on n'en avait des nouvelles ! En pleine guerre, on demandera que ce diplomate, quel qu'il soit, soit exemplairement flétri pour avoir servi la nation et l'humanité. Il a honoré la France, il a essayé d'employer au profit de la paix du monde, c'est-à-dire on faveur de la vie de millions et de millions de jeunes gens de tous les pays, les puissances morales du catholicisme. Les injures qu'il recevra seront pires que s'il eût mis toute l'Europe à sang.

À quoi le Saint-Siège eût servi

M. Yves de la Brière n'est pas un esprit chimérique. Il ne croit pas, surtout dans l'état présent de ce globe, qu'il y ait un moyen pleinement efficace de prévenir toute guerre, de prévenir et de réprimer toute violation du droit international. Mais si on veut la paix, si on la veut bien, au moins conviendrait-il de ne pas se condamner au dédain et à la négligence de l'un des principaux moyens d'atteindre le fléau guerrier et de mettre au service du droit la force morale réelle, celle qui existe, qui est concrète, et opérante.

Si le pacifisme n'est qu'un mot en l'air pour berner et mystifier les bourgeoisies et les prolétariats, nous nous expliquons parfaitement la conduite des pacifistes prolétaires ou non. S'ils mettent quelque chose sous ce mot, comment se passent-ils de l'énorme appoint de l'influence de l'Église et de son chef ? Si l'on trouve que nous prodiguons cette question, c'est que la réponse n'est pas fréquente.

M. l'abbé de la Brière réalise par la pensée ces vues de logique évidente :

Imaginons, à présent, que Léon XIII ait été représenté à la première conférence de La Haye en 1899 et Pie X à la deuxième en 1907. Les règles tutélaires du droit international auraient bénéficié du prestige moral et sacré que leur aurait garanti la collaboration, l'adhésion solennelle de Rome. Les articles essentiels des conventions de 1899 et de 1907 auraient été vraisemblablement promulgués, commentés, à titre de règles obligatoires de la morale des nations, dans quelque document pontifical adressé à l'Église universelle. Les mêmes principes de la morale et du droit auraient été, en chaque pays du monde, inculqués à des millions de consciences par la prédication ecclésiastique, par l'enseignement théologique et catéchétique…

L'attitude adoptée par la papauté romaine n'aurait probablement pas été sans provoquer l'émulation des Églises dissidentes et des groupements non chrétiens ; de sorte que de puissantes influences religieuses, intellectuelles, sociales se seraient exercées le plus énergiquement possible à faire partout connaître, respecter le code nouveau et contractuel de la loi des nations…

Les nations, les armées auraient été imbues de ces principes directeurs ; en dehors même des sanctions ecclésiastiques concevables et prévisibles, le niveau des mœurs militaires en aurait été automatiquement relevé. On a voulu agir sans la Papauté. Il est de fait que le résultat de l'action est resté égal à zéro et même inférieur à zéro, si on tient compte de l'hypocrisie surajoutée par la Bochie écrivante et dogmatisante aux crimes de la Bochie militante. Rien, moins que rien et pis que rien, voilà le bilan du pacifisme propagé par une cinquantaine de « puissances » de l'Europe et d'ailleurs.

La fonction de l'Église au XXe siècle

Il est toujours facile d'objecter que la puissance pontificale n'eût rien ajouté à cela. Mais d'abord on n'en sait rien. Et ensuite on ne tient pas compte de ce que l'on sait, ce qui est certain et patent ; seule de toutes les puissances, le Saint-Siège est un pouvoir véritablement spirituel, capable d'enseigner et de faire enseigner des idées, de leur donner force de loi dans les esprits et dans les cœurs. Si une Puissance était capable d'opérer un changement moral dans le monde, c'était bien celle-là ; c'est justement celle-là qu'on a négligée. Ne sommes-nous pas fondé à demander :

— Voulait-on sérieusement ce que l'on voulait ? Et, sauf en quelques belles âmes à illusion, le pacifisme n'était-il autre chose que grimace de comédie ?

La réponse, une réponse que l'on croit terrible, est là, il est vrai, toute prête :

— Pourquoi, du moment qu'elle était outillée pour cette opération, pourquoi l'Église catholique n'a-t-elle pas procédé à cet enseignement de droit public européen ? Pourquoi ne s'est-elle pas occupée spécialement d'adoucir la guerre, de proposer la paix, d'imposer à l'une et à l'autre des règles senties et respectées des peuples et des rois ?

La question est au fond des imbécillités que publient là-dessus L'Humanité et que multiplient les Lanternes. La réponse, tout historique, est simple et claire : l'Église ne peut pas tout faire à la fois.

Quand elle était à peu près la maîtresse ou quand elle restait l'objet des respects unanimes, elle pouvait donner une partie de son activité à cette œuvre de législation internationale. Maintenant, il lui faut passer les trois quarts de son temps à se défendre contre des vexations de toutes les heures. Un bon proverbe de Provence dit que monsieur le curé ne peut pas porter la croix et chanter.

Il ne le peut absolument pas. Dans les circonstances actuelles, on ne laisse à l'Église ni le temps ni la force de faire toute seule ces besognes de droit public. Ceux qui lui enlèvent et ce temps et cette force sont particulièrement mal venus à lui adresser le reproche. S'il est sincère, ils devraient au moins associer l'Église à ce qu'ils tentent dans la même direction et le même sens. Mais pas du tout. Ils ont horreur de toute collaboration et de tout concours venu d'elle… Ce serait fou, si c'était sérieux. Plutôt que d'admettre cette démence fabuleuse, j'inclinerais à supposer un cas d'hypocrisie allemande, soufflée du pays d'où nous est venu l'esprit d'anarchie en politique et en religion.

International ou national

10 février 1916.

Nous exposions hier matin le rôle éventuel du Saint-Siège en matière de droit international, comme législateur de la guerre et fondateur de la paix. À peu près à la même heure, un journal italien annonçait que le représentant officiel du Saint Père à Bruxelles s'était fait l'intermédiaire de l'Allemagne auprès du roi des Belges et avait conseillé la mauvaise paix. Tout aussitôt, d'ingénieux publicistes se tournaient, de trois quarts, vers les catholiques en disant : — Le voilà, votre Saint-Siège ! il est boche ! Faites un schisme ou bien rentrez dans la catégorie des mauvais Français…

Le jour est à peine tombé sur ces conclusions, aussi lamentables du point de vue de la raison universelle que sous le rapport de l'intérêt public, et voilà que le Vatican a démenti dans L'Osservatore le roman imputé à Mgr Tacci. L'Allemagne ne s'est pas adressée au nonce romain à Bruxelles pour solliciter la paix séparée. Le nonce n'a pas eu à transmettre ses ouvertures. Le gouvernement du Havre n'a pu ni les accueillir ni les repousser. Le Saint-Siège n'est intervenu en tout ceci ni directement ni indirectement. Nos fabulistes en sont pour leurs frais.

Je néglige les fabulistes. Je parle aux gens raisonnables. Je leur demande de remonter à la racine des émotions superficielles et brutales ainsi propagées.

On veut ou l'on ne veut pas d'un pouvoir international. Si l'on n'en veut pas, la question disparaît, tout se simplifie. Nous sommes, nous restons entre races humaines dans la situation où se trouve l'humanité par rapport aux espèces animales hostiles. Tuer ou être tué, dompter ou être dompté, c'est l'alternative que la Bochie et la non-Bochie débattent à coups de canon, de grenade et de coutelas.

Mais si l'on veut d'un pouvoir international, il faut admettre les conséquences qui découlent de ce vœu-là. Quel que soit le degré d'autorité et d'influence de ce pouvoir, il suffit qu'il existe, le voilà, dès lors, naturellement et rationnellement placé pour servir d'intermédiaire et, si l'on me passe le mot, de « facteur » entre les races en guerre. Lui-même peut y consentir ou s'y refuser. Il n'en est pas moins, par position, désigné pour ce rôle, et ce rôle lui reviendra par la force des choses ; plus souvent qu'à son tour on s'adressera à lui de tous les partis. Tantôt ce seront les bons, à l'adresse des méchants. Et tantôt les méchants à l'adresse des bons. Cela est proprement la nécessité inévitable. Et un autre aspect de cette inévitable nécessité est que le pouvoir international dont nous traitons ne pourra qualifier comme nous les peuples en guerre. Si, avant tout examen, et tout procès et tout jugement, ce pouvoir international disait : Les bons pour notre groupe et pour le groupe adverse les méchants, ce pouvoir correspondrait à l'internationale des alliés, mais non pas à l'internationale proprement dite. Il serait le pouvoir commun à sept ou huit nations, il ne serait ni commun ni supérieur à toutes, ainsi que veut et doit l'être le Siège romain.

Il est donc obligé d'être impartial. Il est donc par là même exposé aux démarches, aux sollicitations, aux tentations même inconvenantes, même absurdes, même criminelles du parti qui n'est pas le nôtre. Il ne peut pas les recevoir comme nous les recevrions. Mais un certain accueil ne l'engage pas autant qu'on voudrait nous le faire croire. Ce n'est pas s'engager avec un parti que de communiquer avec lui ou de transmettre ses communications, et c'est, tout simplement, établir en fait qu'on n'est pas, qu'on ne peut pas être (par essence ou par position) d'un parti : c'est établir qu'on fait acte de pouvoir international.

Encore une fois, on peut vouloir ou ne pas vouloir d'un pouvoir de cet ordre. Si on le veut, il faut le vouloir avec ses conséquences.

Charles Maurras
  1. Ancienne Triplice : quelques jours avant la publication de cet article, l'Italie qui avait choisi la neutralité lors de la déclaration de guerre quitte complètement la Triple Alliance qui la liait depuis 1891 à l'Allemagne et à l'Autriche-Hongrie. [Retour]

  2. Ad beatissimi apostolorum principis, lettre encyclique du pape Benoît XV, datée du 1er novembre 1914, fête de Tous les Saints. Benoît XV avait été élu pape le 3 septembre précédent. (n.d.é.) [Retour]

  3. On en verra sans doute la clé dans la nouvelle préface du beau livre de Georges Valois, La Monarchie et la Classe ouvrière. Mais j'avertis que cette clé, ouvrant sur la conscience et sur l'intelligence des meneurs du Parti, ne les montre pas dans un très beau jour. [Retour]

  4. Paul Henri Benjamin Balluet d'Estournelles de Constant (1852–1924) reçut le prix Nobel de la Paix en 1909 pour son dévouement à la cause pacifiste et son action en faveur du rapprochement franco-allemand. (n.d.é.) [Retour]

  5. The Great Illusion : A Study of the Relation of Military Power to National Advantage est paru en 1910. (n.d.é.) [Retour]

  6. Cf. plus loin, les idées de M. Ferrero là-dessus. [Retour]

  7. Yves de la Brière (1877–1941) a commencé à écrire dans les Études en 1909 et continuera de le faire jusqu'à sa mort. (n.d.é.) [Retour]

  8. À propos de Jean Bourdeau (1848–1928), voir ce qu'en écrit Maurras dans L'Idée de la décentralisation, note numéro 93 dans notre édition. (n.d.é.) [Retour]

  9. Daté du 3 octobre 1914, l'Appel des 93 — Anruf der 93 an die Kulturwelt — ne fut pas le premier ni le seul de son genre, mais certainement celui qui eut le plus grand retentissement. Dès le lendemain, il fut repris par tous les journaux allemands et traduit en plusieurs langues ; Charles Maurras l'évoque pour la première fois dans L'Action française du 10 octobre, après avoir pris connaissance de la version italienne. C'est Le Temps qui en publie le 13 la « version française » complétée le 16 par la liste des 93 signataires, parmi lesquels les physiciens Max Planck et Wilhelm Röntgen. De multiples commentaires et contre-appels suivirent, dont le texte de Louis Dimier intitulé L'Appel des intellectuels allemands. Plus que le texte lui-même de l'Appel des 93, c'est le foisonnement de références et de stéréotypes associés qui conduisit les historiens à y voir le point de rupture de « l'internationale des savants » et l'enrôlement de ceux-ci dans la propagande de guerre. (n.d.é.) [Retour]

  10. Le mot taube n'existe pas et nous ignorons s'il s'agit ou non d'une banale erreur de typographie. Nous confessons n'avoir aucune idée de ce que Maurras a voulu exprimer. Dans le texte publié par L'Action française du 2 février 1915, ce mot apparaît en tête de ligne, et il est repris tel quel dans l'édition du Pape, la Guerre et la Paix. Nous avons préféré ne suggérer aucune rectification. (n.d.é.) [Retour]

  11. Le pasteur cévenol Paul Sabatier (1858–1928) n'avait aucun lien de parenté avec son homonyme prix Nobel de physique. Sa Vie de saint François d'Assise, ouvrage de grande érudition mais théologiquement fort controversé, parut pour la première fois en 1894. L'édition définitive date de 1931. (n.d.é.) [Retour]

  12. André Lichtenberger (1870–1940), écrivain prolixe, est surtout connu comme historien des précurseurs du socialisme. (n.d.é.) [Retour]

  13. Article 2. De toutes les formes sociales usitées dans le genre humain, la seule complète, la plus solide et la plus étendue, est évidemment la nationalité. Depuis que se trouve dissoute l'ancienne association connue au moyen âge sous le nom de chrétienté, et qui continuait, à quelques égards, l'unité du monde romain, la nationalité reste la condition rigoureuse absolue de toute humanité. Les relations internationales, qu'elles soient politiques, morales ou scientifiques, dépendent du maintien des nationalités.

    Commentant certaines déclarations de M. Ribot, l'Action Française disait le 25 mars 1917 :

    On ne saurait trop répéter aux Français qui veulent savoir et qui pour savoir ne demandent pas mieux que d'apprendre, les deux ou trois vérités de fait qui dominent cette matière. La « société des nations » n'appartient ni au présent ni à l'avenir : c'est une survivance des formulaires du passé. On ne la trouve pas en avant, mais en arrière. Nous n'y allons pas, nous en venons. Il y eut « une Europe » ; où est-elle dans la monstrueuse dualité déchaînée depuis près de trois ans ? Cette unité européenne elle-même était le reliquat moral et matériel de l'unité du monde chrétien ; celle-ci a été rompue à la Réforme, qui fit succéder à la communauté religieuse et morale du Moyen Age un émiettement, gros de compétitions et de rivalités.

    Elles n'ont pas manqué. [Retour]

Recueil paru en 1917.

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