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Les Conditions de la victoire — I

Le travail national

14 août 1914

Comme on peut trouver temps pour tout et que L'Action française s'est toujours donné pour premier devoir de maintenir la vérité, nous discuterons toutes les doctrines historiques, politiques ou sociales qu'on voudra bien nous proposer. On verra plus loin un débat que nous n'aurions pas engagé. Mais, vraiment ! à l'heure qui sonne, mieux vaudrait, de l'arrière où nous sommes placés, seconder l'héroïque effort de la belle jeunesse en marche vers la victoire. Nous ne partons pas, c'est entendu, et nous ne pouvons pas partir 1. Alors, au nom de ceux qui partent et pour l'amour d'eux tâchons de faire à l'intérieur du pays la concorde publique aussi active, aussi généreuse que nous pourrons afin qu'aucune arrière-pensée d'inquiétude ne détourne les combattants, afin qu'ils sentent derrière eux les foyers aussi tranquilles que la cité !

De toutes parts, dans les organes de la haute société bourgeoise, comme dans les feuilles socialistes, courent les mêmes conseils, les mêmes prières, les mêmes vœux : ce qui importe, c'est d'ouvrir le plus d'usines et d'ateliers possible, c'est de réunir le plus d'argent possible, de mobiliser le plus de bonnes volontés possible ! Un correspondant du Temps emploie ce langage, que je n'ai qu'à recopier. M. Jouhaux 2 écrit de son côté qu'il faut du travail, c'est le meilleur, le seul moyen de maintenir la « tranquillité intérieure. Venir en aide à la misère est bien ; prévenir cette misère par l'occupation des hommes valides est mieux. » Il faut favoriser « la reprise de la production utile », il faut créer « de la circulation ».

Je sais qu'on s'y applique. On m'a fait connaître des efforts admirablement combinés.

Il y a des maisons de commerce, des industries, des entreprises qui se sont honorées en continuant aux familles de ceux qu'elles emploient et qui sont partis pour la guerre, des traitements pareils ou sensiblement analogues à ceux de la paix. Il y en a qui ont réussi à occuper les femmes, les tout jeunes gens, les enfants et qui peuvent ainsi continuer à marcher. D'autres ont trouvé d'ingénieux procédés de demi-paie comportant la demi-journée du travail féminin. Cela permet à la machine de fonctionner, tant bien que mal, au rendement utile de se produire… Tout vaut mieux que l'arrêt et le désœuvrement.

Pour empêcher l'arrêt, pour parer au désœuvrement, n'y a-t-il point de mesures plus générales à envisager ?

Nous ne sommes ni socialistes d'État, ni socialistes tout court, mais la guerre fait très étroitement dépendre le libre facteur économique de l'autorité politique, et c'est à l'État que revient, dans ces conditions, le droit, le devoir, le pouvoir d'utiliser rapidement tout ce que la situation nationale comporte d'avantages moraux susceptibles de se transformer en avantages matériels. Le crédit qui n'est que le nom technique et financier de la confiance et de la foi dans un avenir prochain, le crédit de la France a pu être ébranlé dans la période incertaine qui a précédé et suivi le 4 août 3.

Au fur et à mesure qu'elle se définit, la situation s'éclaircit, chacun peut se rendre compte qu'elle est déjà forte et que de beaux atouts se trouvent réunis dans les mains de la France : il y a longtemps qu'elle n'a tenu un jeu pareil. Il n'est plus seulement permis de croire à la victoire, cette espérance est devenue la raison même ; tout ce que l'effroi de la défaite pouvait légitimement ébranler s'en trouve raffermi et consolidé. Et puis l'air est limpide, on voit droit devant soi, on se rend compte de la valeur propre des gages dont l'immense fortune française dispose. Ces garanties matérielles ne bougent pas. Les virtualités du travail national, un moment suspendu, ne sont pas abolies, elles subsistent, et quels que puissent être les dégâts de la guerre, des compensations soudaines, dans une mesure inouïe, s'établiront comme toujours quand reviendra la vie normale. Les financiers et les légistes ne peuvent se sentir bien embarrassés de trouver des symboles fiduciaires correspondant et suffisant à cette situation. Elle est très spéciale, mais les intérêts généraux du pays, les intérêts sacrés de l'humanité y peuvent trouver la matière d'un accord avec l'intérêt sainement entendu des bons citoyens.

La République et la paix 4

[À l'heure où les événements se chargeront de démontrer qu'aucun régime ne peut promettre une paix perpétuelle,] La Lanterne 5 proclame, en avouant son paradoxe, que « la République, c'est la paix. »

Supposons que la forme gouvernementale démocratique se soit imposée aux États de l'Europe et brusquement l'hypothèse abominable des luttes de violence et de brutalité est aussitôt écartée.

En vérité ? Cependant la forme démocratique républicaine s'est imposée à tous les États américains. Cela n'a pas empêché les guerres sanglantes de la Bolivie, du Chili, du Pérou, du Paraguay, de l'Argentine. Cela n'empêche pas les hostilités entre le Mexique et les États-Unis. Et ce sont les États-Unis qui ouvrirent en 1898 la période des grandes luttes du siècle par leur guerre contre l'Espagne. La Lanterne n'en écrit pas moins : « Sans empereurs et rois, pas de guerres dynastiques ; sans eux, pas de guerres économiques !… »

Alors la guerre de Cuba et des Philippines est un fait à rayer des mémoires si l'on veut que les faits concordent avec les théories ?

Si la civilisation n'est pas un vain mot, l'antipathie des races ne conduit plus à l'égorgement des peuples sans le signal des rois.

Il y a donc un roi à New-York, à Mexico, à Lima, à Santiago ?… Il y eut même un roi à Paris pour donner « le signal » de ces guerres coloniales qui remplissent l'histoire de la troisième République ?

[Sans guerre, sans mensonges (?), sans violences (?), sans diplomatie de bandits et sans procédés de pirates (?), les Allemands avaient pu s'établir partout dans le monde, accaparer chez les Belges le port d'Anvers et chez nous la haute finance.

Son harnais militaire rendait quelques services à l'Allemagne dans l'universel accaparement : l'épreuve des armes était seule capable de démontrer enfin que ce n'était à qu'un harnais.]

Charles Maurras
  1. Rappelons que la surdité de Maurras, qui l'avait privé d'une carrière militaire dans la Marine, l'empêchait aussi d'être mobilisé dans la réserve (ce qui l'aurait cantonné à des tâches à l'arrière) alors qu'il en avait encore l'âge en 1914.

    Les notes sont imputables aux éditeurs. [Retour]

  2. Léon Jouhaux (1879–1954), syndicaliste, secrétaire général de la C.G.T. de 1909 à début 1947, fondateur ensuite de la C.G.T.-F.O. dont il reste président jusqu'à sa mort. Il défendra toujours une certaine indépendance des syndicats vis-à-vis des partis politiques, prix Nobel de la paix en 1951. Quand Maurras écrit ces lignes, Jouhaux vient de rallier la C.G.T. à l'Union sacrée au prix de demi-renoncements très symétriques de ceux des royalistes, et faits pour les mêmes raisons patriotiques. [Retour]

  3. Le déclenchement de la guerre. [Retour]

  4. Nous négligeons la rubrique « Lettres de nos amis », que Maurras ne commente que de quelques mots convenus. « La République et la paix » est insérée dans le volume premier des Conditions de la victoire (1916) où cet article est repris ; c'est en fait la fin de la revue de presse signée Intérim dans le même numéro de L'Action française. Le texte du journal est plus long que celui retenu pour le recueil, nous donnons entre crochets les passages omis. [Retour]

  5. Journal anarchiste.  [Retour]

Ce texte a paru dans L'Action française du 14 août 1914, repris dans le premier volume des Conditions de la victoire.

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