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Préface à
L'Action française et le Vatican

À tous les amis de l'Action française

Nous venons de relire les épreuves de ce volume 1, simple recueil de textes, mais qui permettra à beaucoup d'entre-vous de se rendre compte de bien des choses ! Feuille à feuille, nous y voyons, quant à nous, non seulement pourquoi vous êtes restés fidèles à l'Action française, mais pourquoi un si grand nombre d'entre vous nous a rejoints à la suite des assauts qui nous étaient livrés. Plus encore que les sentiments d'une amitié tenace, c'est le patriotisme, c'est l'amour de la vérité qui vous ont ainsi conservés ou ralliés à notre œuvre, à notre pensée et à notre action.

Assurément, le débat aura été douloureux pour tous. Les catholiques étaient les mieux placés pour en souffrir dans leurs cœurs troublés, dans leurs esprits quelquefois remués jusqu'au fond ! Mais, eux aussi, les incroyants, de tout temps si émus des splendeurs du bienfait de Rome, si confiants dans l'immense service qu'elle rend à l'esprit humain et au genre humain, auront senti quelque chose se déchirer en eux devant les proportions de l'erreur commise et les cruelles conséquences qu'elle leur semblait contenir.

Cependant, ni les catholiques, ni les incroyants, n'ont pu se permettre de dire, par politique ou faux esprit de discipline, que le blanc n'est pas blanc ou que le noir est blanc : aucun de vous n'avoue ni ne peut avouer que nous ayons « osé... proposer de rétablir l'esclavage » 2, que nous ayons défendu « à Dieu d'entrer dans nos observatoires », que nous nous soyons servi de l'Église au lieu de la servir, que nous ayons enseigné la primauté de la politique sur la religion, recommandé l'usage de moyens illégitimes, ni entendu par nationalisme intégral un nationalisme sans frein. Personne au monde ne peut faire que de tels griefs soient vrais, ni qu'ils aient jamais été vrais. Comme nous l'a écrit un éloquent témoin de nos premiers jours, on peut nous arracher la langue, on ne peut pas nous faire dire : — Nous avons dit ce que nous n'avons pas dit.

De toute évidence, l'Action française était innocente. De toute évidence, elle était victime de mille erreurs de fait. Néanmoins nous avons voulu accorder à la discipline catholique tout ce qu'elle pouvait demander. Dès le début, nous lui avons offert, comme on le verra, toutes les garanties pour la foi et les mœurs. On n'a même pas examiné ces précautions que nous offrions de prendre contre nous-mêmes. Il a fallu finir par comprendre que ce que l'on demandait, c'était notre disparition, l'abandon de notre effort national.

Cette exigence manifeste nous a mis en présence d'un autre ordre de vérités qu'il faut bien appeler la certitude du bien que fait l'Action française et surtout des maux qu'elle épargne et peut épargner. Ni infaillibles, ni impeccables, certes ! faibles hommes exposés à tous les torts de l'humanité, nous poursuivons cependant une œuvre civique et politique nécessaire : d'abord nous travaillons au retour de la monarchie qui seule est capable de rendre au gouvernement du pays ce degré de durée, d'ordre, de raison, et, par suite, de responsabilité dont il ne peut se passer ; mais en y travaillant, nous multiplions, chemin faisant, les services rendus directement à la cause de la patrie et de la société. Ceux qui connaissent l'histoire de l'Action française et ne la travestissent pas savent fort bien que les services de cette sorte ont été incessants avant la guerre, pendant la guerre, depuis la guerre. Services d'une telle nature que personne n'a le droit de nous enlever à ce devoir public, ni de nous éloigner des hommes d'élite qui se sont groupés dans nos comités directeurs, ni de nous arracher à cette immense armée de ligueurs et de ligueuses dont les cadres sont constitués et remplis par ce que le pays compte de citoyens éclairés, dévoués, résolus pour toutes les formes du bien.

Déserter plus ou moins spontanément cette tâche serait un acte que les catholiques auraient le devoir de se reprocher comme un péché grave, et que les non catholiques qualifieraient au moins de crime contre l'honneur. Ni aux uns ni aux autres, personne n'a le droit d'imposer de semblables chutes morales.

Les hautes autorités qui ont commis à notre égard cette erreur sont profondément respectables. Nous leur avons toujours prodigué les hommages de ce respect, qui leur est dû. Si elles nous ont obligés à les contredire, on n'a pas obtenu de nous une parole qui suspectât leurs intentions ou offensât leur dignité.

Nous les avons même servies en rétablissant la vérité devant elles et en leur épargnant un abus de pouvoir. Notre résistance les sert encore, et elle sert l'ensemble des catholiques français parce qu'elle maintient la notion des justes indépendances de la politique nationale devant la hiérarchie religieuse. On dit : céder serait facile ! Mais cette facilité aurait des suites graves. À dater du jour où, ici, des catholiques, des amis du catholicisme, subiraient, comme on le désire, les directions politiques romaines, ils ne seraient pas seuls à perdre toute autorité, toute influence et tout crédit dans notre pays : leur discrédit s'étendrait à tous les catholiques de France, à tous les Français respectueux du catholicisme. À dater du jour où les deux directeurs et fondateurs d'un journal politique auraient, par discipline catholique ou respect du catholicisme, sacrifié leurs devoirs et leurs droits, il n'y aurait plus un seul catholique, fonctionnaire de l'État, de l'Armée, simple militant d'un parti politique, pour échapper à un soupçon perpétuel de devoir consentir,un jour ou un autre, le même abandon de poste, la même désertion sur des suggestions ou des injonctions de même origine ! Tous les catholiques de France seraient réduits au régime annoncé par Mgr d'Hulst à propos du ralliement de 1892 : « Je suis effrayé POUR LE SAINT-SIÈGE ET POUR LES CATHOLIQUES DE FRANCE de ce déploiement officiel de l'autorité pontificale dans notre politique intérieure. Je crains que l'on nous oppose avant peu cette ingérence pour nous contester le droit de parler et d'agir comme des citoyens libres. On nous dira : — Vous n'êtes que des commis de Rome, vous n'avez même pas la propriété de vos opinions politiques. » 3

Les suites de cette ingérence seraient d'autant plus insupportables aux Français que les conditions faites à d'autres peuples sont différentes. L'honorable Alfred Smith, gouverneur de l'État de New-York, a pu écrire tranquillement : « … Je ne reconnais aucun pouvoir aux institutions de mon Église d'intervenir dans la pratique de la constitution des États-Unis ou dans l'exécution des lois de mon pays. » Il n'a reçu de Rome ni réprobation, ni désaveu, ni remontrance. Ainsi, et pour ne dire rien de plus, cet Américain a su rester, selon la forte pensée de Mgr d'Hulst, le propriétaire de ses opinions politiques. Nous le sommes aussi des nôtres. On ne nous les enlèvera pas.

Comment, d'ailleurs, comprendre autrement que comme une triste dérision la liberté toute théorique qu'on nous dit laisser à ces opinions que l'on condamnerait à une vie immobile et muette, liberté sur l'exercice de laquelle un cardinal français a vainement réclamé des précisions ? Nul d'entre nous ne pouvait accepter ce sommeil, ni cette paralysie. En fait, l'injustice et l'erreur ont ajouté au rayonnement naturel de l'Action française l'éclat d'une persécution qui a déterminé le progrès général de sa pensée et de son action. Pour une raison ou une autre, le coup voulait être mortel. Chrétiennement reçu, ou stoïquement, il a stimulé toutes ces puissances de l'intelligence et du cœur français qui nous donneront la victoire.

Chers amis, nous voulions vous adresser nos remerciements, mais nous ne pouvons nous défendre d'y ajouter l'expression de l'immense fierté qui nous vient de vous.

Nous vous appartenons de tout cœur,

Léon Daudet et Charles Maurras.

Tableau chronologique

Pour rendre plus facile et plus utile la lecture de ce livre, il nous a paru expédient de mettre en tableau récapitulatif les principaux documents officiels publiés contre l'Action française et les pièce les plus importantes de sa défense.

Avant-propos

La presse de tous les pays a consacré depuis huit mois d'innombrables articles aux difficultés de l'Action française avec le Vatican. En France, on pourrait compter sur les doigts les journaux de Paris et des provinces qui n'ont pas donné sur notre « affaire » des exposés plus ou moins exacts ou qui n'y ont pas trouvé prétexte à des polémiques passionnées. En outre, des communications officielles que les Autorités ecclésiastiques ont fait faire aux fidèles, soit par l'organe des Bulletins religieux, soit par des lectures en chaire, des sermons, des instructions, des allocutions ont fait retentir le nom de l'Action française sous les voûtes de nos églises. Dans les conversations de la rue, des cafés, des cercles, des salons, nos démêlés avec le Saint-Siège fournissent des aliments à trop de discussions et de querelles.

Au milieu de ces passions déchaînées, la vérité des faits et des positions est souvent – et fatalement – méconnue.

Nous nous sommes efforcés quotidiennement dans le journal de rétablir les uns et de maintenir les autres. Mais les feuilles quotidiennes s'envolent, les réponses décisives sont oubliées : les erreurs volontaires ou involontaires subsistent. Par ailleurs, des scrupules que nous respectons peuvent empêcher des catholiques sympathiques à notre cause et, en tout cas, désireux de justice, de chercher dans nos colonnes la réfutation d'attaques qu'ils savent ou qu'ils soupçonnent être calomnieuses.

L'Action française a pensé que, les choses étant ce qu'elles sont jusqu'à nouvel ordre, il était de son devoir de réunir en un volume, pour les mettre à la portée de tous les esprits de bonne foi, les éléments essentiels des attaques dont elle a été l'objet et des réponses qu'elle y a opposées.

C'est une sorte de Livre Jaune 4 de ses démêlés avec le Saint-Siège, que l'Action Française présente aujourd'hui à tous ceux qui veulent porter sur ce douloureux conflit un jugement éclairé.

Le volume 5 s'ouvre sur la pièce initiale du procès qui nous a été intenté, la lettre de S. É. le Cardinal Andrieu, archevêque de Bordeaux, Primat d'Aquitaine, à « quelques jeunes catholiques  » et les réponses successives qu'y firent les dirigeants catholiques de l'Action française, l'Union des Corporations françaises et Charles Maurras.

Le chapitre II est consacré à l'intervention du Pape par sa lettre d'approbation au Cardinal Andrieu et aux manifestations de fidélité catholique dont elle fut immédiatement suivie de la part des Étudiants, des Camelots et des Commissaires d'Action française On y trouvera ensuite la lettre du Colonel de Vesins, Président de la Ligue d'Action française à Sa Sainteté. Nous donnons à la suite, et dans leur ordre chronologique, la lettre de l'Archevêque de Bordeaux au Pape, l'allocution du Saint-Père aux tertiaires franciscains de France, une lettre du Cardinal Gasparri au sujet des Étudiants d'Action française et une correspondance de S. G. Mgr Marty, Évêque de Montauban, avec La Libre Belgique.

Le chapitre III contient les principales déclarations faites au Congrès d'Action française, et les démarches du Président de la Ligue pour obtenir des aumôniers et théologiens, les réponses du Cardinal Dubois et du Nonce.

Au chapitre IV, nous donnons des réponses de l'Action française à certaines attaques de presse.

Au chapitre V, après l'allocution consistoriale du 20 décembre, nous donnons les déclarations des Comités directeurs de l'Action française : Non Possumus et le Discours du Nonce à l'Élysée, le 1er janvier.

Le chapitre VI relate la double condamnation, par le Saint-Office, de Charles Maurras et du journal L'Action française, la nouvelle lettre du Pape au Cardinal Andrieu, la déclaration de l'Épiscopat français et le décret de la Sacrée Pénitencerie apostolique et les réponses de l'Action française.

Le chapitre VII donne la plainte portée contre le Cardinal Andrieu devant le Saint Père, le 16 avril 1927, par les dirigeants catholiques de l'Action française.

Le chapitre VIII donne la lettre et le télégramme de Mgr le duc de Guise à l'Action française et diverses adresses de la Fidélité française.

Au chapitre IX on trouvera toute une série de documents relatifs à l'attitude de S. S. Pie X à l'égard de Maurras, ainsi que la lettre de Maurras au Pape Pie XI et sa correspondance avec le cardinal Gasparri.

Enfin en appendice figurent des pièces et articles justificatifs notamment sur la « Politique d'abord », et Anthinéa.

On sera étonné peut-être de retrouver en de nombreuses pages de ce livre les mêmes pensées exprimées souvent par les mêmes mots. Il aurait été facile de diminuer le nombre de ces répétitions et de faire disparaître ce qu'elles peuvent présenter de fatigant pour le lecteur, et, en apparence, de contraire aux règles de l'art littéraire.

Mais outre que la répétition des attaques a rendu nécessaire la répétition des arguments de la défense, nous avons tenu à donner exactement et complètement tels que les circonstances ont exigé qu'ils fussent les documents qui permettent de voir, de comprendre et de juger cet épisode de notre histoire.

Nous avons la certitude qu'il fera disparaître bien des préjugés, et hâtera l'heure de la justice.

Léon Daudet et Charles Maurras
  1. Paru en 1927 et sous la signature conjointe de Charles Maurras et Léon Daudet pour la préface, L'Action française et le Vatican est un recueil de textes et de documents en rapport avec la condamnation romaine. (n.d.é.) [Retour]

  2. Sur cette étonnante accusation, voir le premier chapitre du recueil, publié par nos soins sous le titre Charles Maurras et le cardinal Andrieu. (n.d.é.) [Retour]

  3. Lettre de Mgr d'Hulst au cardinal Langénieux. [Retour]

  4. On appelait Livre jaune le recueil des actes et documents régulièrement publié par le ministère des Affaires étrangères à l'appui de la politique française. (n.d.é.) [Retour]

  5. Le caractère très disparate des textes du recueil et le fait qu'ils ne sont pas tous de Charles Maurras nous conduit à les publier sous leur forme originale, les traitant en textes indépendants. (n.d.é.) [Retour]

Texte de 1927.

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