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25 mars 1908
La Politique

Le vrai complice de Rochette

Il est bon, raisonnable, salutaire et satisfaisant que la loi sur la réhabilitation des faillis ait été votée le jour même de l'arrestation d'un financier qui venait d'escroquer 80 millions 1. Entre les amis, les conseils et, dit-on même, les complices de M. Rochette, on cite un vice-président de la Chambre, un ministre. On ne cite pas le gouvernement. Cependant la loi qu'il a fait voter hier dit très haut : — Ne l'oubliez pas.

Il ne s'agit pas du personnel du régime, mais de son élément générateur, de son essence : démocratie, république, prépondérance du principe d'en-bas. Le dix-huitième siècle a plaidé pour l'adoucissement des pénalités ; le dix-neuvième y a travaillé avec une persévérance que rien n'a lassée et, toutes les fois que l'idée libérale démocratique ou républicaine a fait un pas en avant, la législation en a fait un autre pour absoudre les crimes, excuser les fautes et en recouvrir toute trace. La loi d'hier semble toucher et même déborder un peu la limite idéale de cette évolution. Elle ne se contente pas de rendre aux faillis leurs droits électoraux, elle y ajoute la faveur du privilège : le commun des mortels doit demander à être inscrit sur les listes électorales, pour ces enfants chéris de la République, l'inscription se fera d'office. Les réhabilités reçoivent un petit cadeau.

Faudra-t-il une loi nouvelle pour que la cadeau devienne une prime ? La criminalité ne peut que monter lorsque la répression descend.

Quand l'historien des mœurs examine les traditions de probité scrupuleuse et d'honneur délicat qui distinguèrent l'ancien négoce français, il ne craint pas de les expliquer par bien des causes : religion, race, esprit, entraînement des bons exemples administrés de haut dans un monde bien constitué. Tout cela convenu, il reste aussi qu'on châtiait dur. Avouons qu'un châtiment rigoureux n'a pas seulement la vertu d'atteindre le coupable : en inspirant l'horreur du crime ou de la faute, il les raréfie.

À élargir le champ de l'indulgence et du pardon, on a fabriqué des consciences plus larges. Il en résulte plus de victimes et plus de deuils. L'humanitairerie, en matière pénale, est l'ennemie du genre humain.

Charles Maurras
  1. L'affaire Rochette est l'un des nombreux scandales financiers de la troisième République où de petits épargnants furent ruinés par des financiers véreux : à chaque nouveau scandale, on découvrait la complicité de quelque homme politique ou de quelque fonctionnaire important ; ce fut l'un des motifs principaux de l'anti-parlementarisme. Rochette venait d'être arrêté alors qu'il avait monté une série d'escroqueries que l'on appellerait aujourd'hui un Ponzi, payant les intérêts importants promis à ses souscripteurs avec le capital à lui confié par de nouveaux épargnants. Les bilans grossièrement maquillés auraient dû rapidement alerter les autorités, pourtant Rochette fit au total disparaître environ cent-vingt millions de francs. L'affaire Rochette à ceci de particulier qu'elle provoqua plus que d'autres une fugitive communauté de sentiments entre la droite anti-parlementaire et les socialistes ; Jean Jaurès a pu parler dans L'Humanité du « régime malsain qui laisse les aigrefins prospérer ». L'Action française du 25 mars 1908 comporte, outre le présent article de Maurras, de longs développements sur l'affaire. (n.d.é.) [Retour]

Article paru dans L'Action française le 25 mars 1908.

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