L’enseignement du latin

Le 3 novembre 1943, la zone Sud est occupée depuis bientôt un an. L’actualité n’est pas rose et la censure ne laisse rien passer. Maurras choisit, pour sa chronique dans Candide, d’offrir au public conservateur de ce journal un sujet qui ne fâchera personne : la défense de l’enseignement des humanités classiques, et de la langue latine en particulier.

Ce thème qui peut paraître aujourd’hui aussi décalé que la vénerie ou l’héraldique mérite d’être plus précisément resitué dans son contexte. On pourra alors remplacer « latin » par « histoire », ou par « culture générale », pour donner à ce badinage d’érudit une signification actuelle. Continuer la lecture de « L’enseignement du latin »

Le déferlement du n’importe quoi

Ne pas vérifier ses sources, se tromper et ne pas se donner la peine de rectifier, considérer que toute erreur que l’on commet soi-même est vénielle par définition, tels semblent bien être les canons du journalisme contemporain. Le vrai et le faux se valent, et une préférence systématique va au n’importe quoi.

Et si rien ne distingue au fond le vrai du faux, la réprobation ne doit pas tant toucher celui qui a proféré une énormité que le mauvais coucheur qui l’a dénoncée. Quel attardé, quel fâcheux, en effet, que celui qui s’obstine à exiger l’exactitude et à vitupérer l’inexactitude, alors que seule compte, selon les cas, l’émotion suscitée ou l’indi­gnation brandie !

Généralement, nos modernes râleurs attribuent ces défauts à l’air du temps, ce temps frelaté que nous vivons, alors que jadis la bonne éducation, le scrupule et la probité intellectuelle étaient de mise. Ah, qu’elle était chérie et recherchée, la Vérité, au doux temps d’autrefois… Continuer la lecture de « Le déferlement du n’importe quoi »

Jacquard, une préface en passant

Il y a peu de biographies de Joseph-Marie Jacquard, l’inventeur du métier à tisser. Si vous en recherchiez une, vous aurez de bonnes chances de tomber sur un livre édité à Genève en 1943. L’auteur en est un certain François Poncetton, et la préface est de Charles Maurras.

Mais que faisait donc Maurras en cette affaire ? C’est d’autant moins clair qu’il ne s’en explique guère, et qu’il précise au début de son texte qu’il n’est ni Lyonnais, ni en rien spécialiste du tissage, donc doublement peu qualifié pour cet exercice. Quant à François Poncetton, son nom est bien oublié aujourd’hui. On ne trouve pas trace de lui dans d’autres textes de Maurras, du moins dans les plus connus et accessibles.

Il se trouve que la Société des Gens de Lettres distribue chaque année un Prix Poncetton. Mais la documentaliste de cette Société s’est avérée incapable de nous en dire davantage sur cet auteur, sinon que son Prix avait été institué en 1970 à la suite d’un legs fait par sa veuve, suivant en cela ses dernières volontés testamentaires. Et aucune des références habituelles en matière de littérature ne semble contenir d’article Poncetton.

Nous n’avons pu réunir, par d’autres sources, que peu d’éléments. François Poncetton aurait été un médecin, né en 1875 et mort en 1950. Sa production littéraire est assez abondante ; outre Jacquard, il écrivit une biographie relativement connue de Duguay-Trouin, et de nombreux ouvrages traitant d’art ou d’ethnologie. Plus d’autres, sous des pseudonymes divers. Et, au milieu de tout cela, un opuscule paru en 1926, Paradoxes royalistes. Voilà qui nous rapproche du but.

Ces Paradoxes sont un dialogue entre deux interlocuteurs qu’il appelle « Moi » et « Mon Maître ». Sans préjuger davantage, on peut imaginer que les débatteurs y expriment des idées entre lesquelles l’auteur balance. Il y est question de la personnalité de Maurras, de la nature de la royauté, de la stratégie poursuivie par l’Action française et de son efficacité. Poncetton maîtrise parfaitement tous ces thèmes, montrant qu’il s’en tient informé, et qu’il a sans doute participé de près, mais on ne sait quand, aux activités du mouvement royaliste.

Ceci dit, Maurras ne s’en sort pas à son avantage. Certes, son génie est reconnu, de même que le courage et la droiture de ses compagnons ; mais en gros, Poncetton lui reproche de faire passer la France avant la royauté et d’avoir ainsi renforcé la République. Maurras n’aura sans doute que modérément apprécié la critique, même si Poncetton prend toutes les précautions nécessaires en la faisant endosser par le mystérieux « Mon Maître ».

En 1943, les nuages ont eu le temps de se dissiper et Poncetton, à la recherche d’un préfacier prestigieux pour son Jacquard, obtient l’accord de Maurras. Et celui-ci, qui ne peut ou ne veut se dédire, s’acquitte de sa promesse.

Mais on sent bien qu’il ne le fait pas avec le même enthousiasme qu’il mettra, quelques mois plus tard, à préfacer le Groumanduji de Maurice Brun. Un détail montre même qu’il n’a pas lu le livre, ne faisant que le feuilleter de loin ; lorsqu’il évoque le retour de Jacquard de l’armée, Maurras le décrit « heureux de retrouver sa chère Claudine », alors qu’il rentre désespéré par la mort de son fils qu’il avait accompagné au front. Et comme on comprend Maurras ! Le livre de Poncetton est fort médiocre. Si le style en est parfois brillant, ce style n’est mis au service d’aucun plan, d’aucune idée qui vaille. Les phrases s’allongent et s’égarent en festons inutiles ; ici l’on invente le détail d’un décor, là d’un paysage, ou même du temps qu’il fait. Ces images parfaitement inutiles et superflues n’ajoutent rien au sens, et ne parviennent pas à cacher la maigreur et les lacunes criantes de la documentation réunie.

Triste corvée dès lors, que d’écrire tout le bien qu’on pense d’un livre quand on n’en pense pas un mot ! Maurras ne se montre pas à son meilleur dans cet exercice de flagornerie. Et ceci nous renvoie bien entendu au contexte de cette fin de 1943, quand la guerre fait rage partout dans le monde, mais que la France, bien qu’entièrement occupée, semble rester miraculeusement en dehors du cœur du conflit. Maurras jouit d’un prestige inégalé, et les événements l’autorisent toujours à défendre, envers et contre tous, sa théorie de la ligne de crête, de la seule France, ni Axe ni Alliés ; isolé par sa surdité, par son entourage, par les hommages qu’il reçoit, ne voit-il pas que le monde bascule ?

Nous ne le saurons jamais, et nous ne connaissons que la suite de l’Histoire. Mais la voie reste libre, pour la fiction, pour l’uchronie. La préface du Jacquard nous en donne un petit élément.