La colonisation française et les « races inférieures »

Qu’on nous permette deux citations préalables, assez connues au demeurant :

Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis à vis des races inférieures […] parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures. (Jules Ferry, devant l’Assemblée nationale, le 28 juillet 1885.)

et :

Nous admettons qu’il peut y avoir non seulement un droit, mais un devoir de ce qu’on appelle les races supérieures, revendiquant quelquefois pour elles un privilège quelque peu indu, d’attirer à elles les races qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de civilisation. (Léon Blum, discours devant l’Assemblée nationale sur le budget des colonies, 9 juillet 1925.)

Les deux citations que l’on vient de lire, difficilement attribuables à un nazisme anticipé ou à une quelconque extrême droite puisqu’elles viennent de deux des icônes pieuses de la gauche française, ne sont pas là par esprit de provocation.

Ou pas seulement.

Elles disent surtout combien ces conceptions raciales étaient largement partagées jusque dans l’entre-deux-guerres, combien la question des « races » y était abordée avec une liberté d’esprit et de parole que nous ne connaissons plus, l’antiracisme — ou plutôt son utilisation idéologique — s’étant depuis mué en l’un des sous-bassements moraux inquestionnables de la République.

Ces citations disent aussi combien faire grief de ce vocabulaire à Maurras serait un anachronisme au mieux un peu bête et plein d’une sensiblerie qui n’existait alors pas, au pire franchement malhonnête.

Maurras aborde donc la question des colonies et des rapports des races, comparant en particulier la colonisation anglo-saxonne et la colonisation française, dans cette conférence de 1934 dont l’Almanach de l’Action française pour l’année 1935 donne un compte-rendu assez long. Bien qu’il parle à l’occasion de l’orateur à la troisième personne ce texte est bien signé Charles Maurras et figure bien sous son nom dans la table de l’ouvrage, soit qu’il ait été trop long pour être publié in extenso, soit qu’il n’en ait pas existé de version intégrale et que Maurras l’ait reconstitué après coup sans prendre la peine de refaire par écrit toute sa conférence, se bornant aux points les plus saillants.

Louis XIV

On a souvent pu faire de Maurras un théoricien de la monarchie, en l’absence même d’une vaste synthèse sur le sujet, tant les textes paraissent abondants qui donnent cette théorie par bribes ou par pans plus ou moins étendus, qu’il n’y aurait ensuite qu’à relier entre eux par ce que l’on n’appelait pas encore des copiés-collés quand l’entreprise fut commencée, du vivant même du Maître.

Reste que cette manière de procéder, pour être utile et même irremplaçable, ne s’en fait pas moins au prix d’une certaine distorsion.

Certains textes sont utiles pour contrebalancer ce qu’elle a de systématique, de trop ordonné et parfois d’un système artificiel opposé aux intentions de Maurras lui-même. Ainsi ce texte sur Louis XIV tiré de l’Almanach de l’Action française pour l’année 1936 : loin des réflexions institutionnelles ou de théorie politique au sens habituel d’une réflexion sur les pouvoirs et leur organisation, elle part de la figure de Louis XIV, figure il faut bien le dire un peu rebattue, et le texte qui s’ouvre sur une évocation des mensonges de l’instruction républicaine muée en propagande grossière n’évite pas la difficulté : face au Louis XIV grotesquement travesti d’un maréchal des logis mal embouché, on attend le Louis XIV en image naïve et édifiante d’une certaine tradition royaliste.

Il n’en est rien : si les grandeurs du règne sont évoquées, passage obligé, ce n’est pas pour nourir une image pieuse ou fondre une statue équestre là où l’adversaire crayonnait une caricature. C’est pour évoquer l’utilité toujours présente du grand siècle et du grand Roi, en comparant la guerre de Succession d’Espagne et la guerre espagnole de Napoléon. Éprouvantes l’une comme l’autre, désatreuses même à bien des égards, mais la première « fertile » et la deuxième « stérile » écrit Maurras.

Ainsi l’excellence de Louis XIV, celle des conceptions royales à ce moment clef de notre histoire, ne se mesure ni à l’aune d’une image idéalisée ou caricaturée, ni à celle de conceptions politiques — soyons plus clairs : de conceptions idéologiques — dont procéderaient ces images contraires. Mais à l’aune de ce qui dure dans le temps et y perdure dans son excellence ou son utilité.

La guerre d’Espagne de 1709 nous soutenait encore en 1914. (…) Son [Louis XIV] art, son goût, son génie portent conseil, leçon, exemple, par les enseignes qui furent propres à sa grandeur : cette grandeur qui fait les délices et l’orgueil des élites du genre humain parce que son principe n’est pas de briller dans le temps, mais de lutter et de tenir énergiquement contre lui.

Cela écrit peu avant que ne s’ouvre une troisième guerre d’Espagne dont on avait déjà pressenti des signes inquiétants en 1935. Les élections de février 36 allaient tout précipiter, on sait que ne pas avoir à garder notre frontière pyrénéenne n’aura été d’aucun secours face à l’impréparation, aux erreurs et aux impuissances républicaines de l’été 40.