« Tuer comme un chien » le ministre de l’Intérieur

Si les ministres de l’Intérieur sont facilement accusés d’instrumentaliser certaines forces politiques marginales contre les bons citoyens, d’utiliser la police de manière politique, de favoriser en tout les voyous contre les honnêtes gens ou encore d’être l’incarnation du parti de l’Étranger, il est plus rare qu’un journaliste menace publiquement par voie de presse de faire tuer le ministre de l’Intérieur pour le châtier de toutes ces noirceurs.

Il n’y a guère qu’un seul cas : celui de Maurras menaçant Abraham Schrameck le 9 juin 1925, dans cet article qui ne porte que le titre de rubrique « La politique », mais que les contemporains eurent tôt fait de baptiser « Lettre à Schrameck ».

Deux lettres en fait : l’une au préfet de police, plus précise quant aux reproches faits par Maurras après divers incidents graves et plusieurs assassinats ; l’autre qui recherche plus proprement la responsabilité politique d’Abraham Schrameck, alors ministre de l’Intérieur. Continuer la lecture de « « Tuer comme un chien » le ministre de l’Intérieur »

Le Zola désolant d’avant J’accuse

Émile Zola, l’icône incontournable de la bien-pensance sociale, la référence des références du courage, de la probité et de la droiture, l’homme qui avec Jean Jaurès et Victor Hugo compte une avenue dans chaque commune de France qui se respecte, Émile Zola, ce monument de la morale moderne, de l’humanisme démocratique, aurait-il eu des zones d’ombre ?

Ou du moins, est-il pensable qu’il ait pu être attaqué, critiqué, moqué, rejeté par des gens qui n’auraient pas été d’affreux cléricaux, des piliers de l’intolérance, des fourriers du fascisme ?

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Réussir le coup de force

Les années 1908 à 1910 peuvent, a posteriori, être qualifiées d’âge d’or de l’Action française.

Le mouvement s’affirme, séduit, recrute, innove, multiplie les actions spectaculaires ; le journal, devenu quotidien, étend son audience ; des intellectuels de renom se rallient ; tous les voyants sont au vert, il n’y a encore eu ni crises, ni scissions, ni déchirements…

Royalistes de tradition et nouvelles recrues du royalisme se côtoient et se sentent portés par une dynamique de succès et d’expansion. Appelant de leurs vœux la restauration, laquelle implique mécaniquement la chute de la troisième République, ils sont d’autant plus portés à imaginer cette échéance, et à la sentir toute proche, que le Prince en exil leur témoigne sa sympathie et semble déterminé à agir. Continuer la lecture de « Réussir le coup de force »

Rendons à Blériot ce qui est à Blériot

En publiant récemment l’article de Maurras sur l’industrie tel qu’il a été repris en 1931 dans le recueil Principes, nous confessions notre ignorance sur sa première date de parution. Tout au plus envisagions-nous qu’il ne soit pas sans rapport avec la première traversée de la Manche par Blériot, le 24 juillet 1909.

Un lecteur érudit nous a apporté la solution de l’énigme. Qu’il soit ici remercié ! L’article a été effectivement publié pour la première fois dans L’Action française du 7 août 1909, et repris en 1933, avec mention de la source, dans le Dictionnaire politique et critique — mais sous une rubrique de portée générale où nous n’avions pas eu l’idée de le chercher. En revanche il est bien absent, ce que nous nous expliquons mal, de Mes Idées politiques, et il a été explicitement composé à propos de l’exploit de Blériot, comme l’indiquent le premier et le dernier paragraphe, qui n’ont pas été repris dans Principes, ceci expliquant cela…

Premier paragraphe :

Il me faut répliquer aux taquineries amicales de quelques lecteurs un peu offusqués, disent-ils, de mon admiration désordonnée pour le vol du français Blériot sur la Manche et, généralement, pour toutes les prouesses de nos inventeurs, quels qu’ils soient. Mon péché est bien vieux, et je le commets cent fois le jour ; me sentant toujours prêt à le recommencer, mieux vaut s’en expliquer une bonne fois.

Dernier paragraphe :

Ceux qui m’ont reproché de leur faire perdre pied dans les nues avec Blériot remercieront le héros français de nous avoir menés, par un autre chemin, aux racines des choses, sujet coutumier de nos réflexions.

La passion de Maurras pour l’aviation ne se démentira pas par la suite, comme en témoignent nombre d’articles quotidiens du temps de la Grande Guerre, et cet extrait de la préface de La Musique intérieure de 1925 :

Tandis que ces pensées, et bientôt les vers et les strophes qui les élevaient à la dignité de la poésie, roulaient comme des astres sur les parties liantes de mon esprit, il était impossible de ne pas reconnaître qu’elles me ramenaient dans les voies royales de l’antique espérance au terme desquelles sourient la bienveillance et la bienfaisance d’un Dieu. Quelle synthèse subjective pourrait aboutir autre part ? Mais, parallèlement à ce chemin montant que suivait la méditation comme une prière, se développait, sans la contredire, autre forme du même effort, le grave cantique viril, circonspect, examinateur, mais nullement timide, jamais découragé, des entreprises de l’action et de l’invention, de l’art audacieux et de la science victorieuse. Lorsque j’étais enfant, du même esprit dont je suivais la céleste ascension des âmes et des anges, il m’était arrivé d’imaginer un type de navire volant qui tournât le dos à la nuit pour suivre, à vitesse d’étoile, le flot de pourpre et d’or de ces couchants vermeils qui font briller aux yeux, et par là même au cœur, un autre rêve d’immortalité de joie et d’amour : entre cet ancien rêve personnel ainsi ranimé et celui, plus ancien, de tous les esprits de ma race, la composition n’avait pas à choisir. Comme une barque prise entre deux mouvements trouve de la douceur à les suivre l’un après l’autre, je me confiais à ce double cours balancé, avec une espèce de foi obscure, quelque chose assurant qu’à défaut de mon âme, le Poème saurait aborder quelque part.

Citons également l’article que publie Maurras le 24 septembre 1913, lendemain de la première traversée de la Méditerranée par Roland Garros :

C’est le Temps des philosophes et des mythologues, le temps des horloges et des pendules que le splendide exploit de l’aviateur Garros semble menacer de plein cœur.

De Saint-Raphaël à Tunis, les vaisseaux mettent aujourd’hui une quarantaine d’heures environ. Garros fendant les voies de l’air a dévoré le même espace en quatre heures trois quarts. Ainsi une distance de 900 kilomètres s’est contractée au point de n’en figurer que la dixième partie au point de vue du temps.
On peut faire en 240 minutes ce qui en exigeait hier 2400. Que la même progression se poursuive, qu’un autre mode plus rapide soit découvert d’ici quelques années, le même vol s’opérerait en 24 minutes, c’est à dire en 1440 secondes et bientôt, de réduction proportionnelle en réduction proportionnelle (pourquoi pas ? ), en 144 secondes, et ces deux minutes douze secondes réduites à leur tour au dixième finiraient par composer une division du temps sensiblement égale à l’absence de temps, c’est à dire à la simultanéité ; on serait (ou bien peu s’en faudrait pour l’épaisseur de nos sens) tout à la fois à Saint-Raphaël et à Tunis, au même moment !

Voilà qui fait bondir le cœur de curiosité, d’orgueil, d’espérance, mais peut-être aussi d’inquiétude. Après avoir admiré la magnanimité héroïque de l’aviateur, aussi ingénieux et adroit qu’intrépide, il faut se représenter les conditions de vie nouvelle qui s’offrent au genre humain. On se plaint et on souffre déjà d’une vie trépidante ; que sera-ce quand la trépidation elle-même abolie, on jouira d’une espèce d’ubiquité ? Je me demande où sera la place de la pensée, de la méditation et de ses lentes mesures.
En glorifiant Vigny l’autre jour, on a généralement oublié les beaux vers gnomiques où le poète des Destinées a rappelé les conditions qui s’imposent non seulement à la Poésie, mais à la science à la sagesse et à toutes les conduites vraiment dignes de l’homme qui dirige, de haut, la Muse :

Car il faut que ses yeux sur chaque objet visible
Versent un long regard comme un fleuve épanché,
Qu’elle interroge tout avec inquiétude,
Et des secrets divins se faisant une étude,
Marche, s’arrête et marche avec le col penché…

La marche et le repos seront pratiquement abolis ; qu’en sera-t-il de la vie ?

La solution commune de tant de questions si diverses est invariable : discipline et discipline. Si, moralement, intellectuellement, socialement, les principes de l’ordre ne sont pas renforcés, l’homme ne pourra que rouler tout entier aux dissolutions.

Ici, Maurras sort quelque peu de son émerveillement devant les prouesses technologiques, et laisse sa place à l’inquiétude. S’il cite Alfred de Vigny, c’est qu’on vient de commémorer le cinquantenaire de sa mort (17 septembre 1863). Or dans son poème La Maison du Berger, on trouve de curieuses prémonitions sur les futures conquêtes de la science, notamment aux strophes 18 et 19 (sur 48) d’où est extraite la citation reprise par Maurras :

La distance et le temps sont vaincus. La science
Trace autour de la terre un chemin triste et droit.
Le Monde est rétréci par notre expérience
Et l’équateur n’est plus qu’un anneau trop étroit.
Plus de hasard. Chacun glissera sur sa ligne,
Immobile au seul rang que le départ assigne,
Plongé dans un calcul silencieux et froid.

Jamais la Rêverie amoureuse et paisible
N’y verra sans horreur son pied blanc attaché ;
Car il faut que ses yeux sur chaque objet visible
Versent un long regard, comme un fleuve épanché ;
Qu’elle interroge tout avec inquiétude,
Et, des secrets divins se faisant une étude,
Marche, s’arrête et marche avec le col penché.

Quand une bonne idée ne mène à rien

Qui n’a pas eu un jour, au hasard d’une lecture, d’une conversation, d’une pensée vagabonde, l’idée fugitive d’un beau principe universel éclairant les mystères du monde ? Et si ce principe, devenant central, puis devenu fonda­mental, se révèle d’une puissance et d’une portée inégalables, proposant en chaque circonstance, bonne ou mauvaise fortune, victoire ou chute, attirance ou répulsion, une explication convaincante et argu­mentée ?

Cela peut durer un moment, jusqu’à la folie de l’inventeur qui s’en est fait un système démiurgique et tente de l’imposer à l’entendement de ses semblables, ou jusqu’au trivial réveil qui dissipe les brumes d’un rêve trop bien agencé. Cela peut aussi ne jamais finir, et se métamorphoser sans cesse pour nourrir de nouvelles chimères.

Un certain Jules de Gaultier, critique et essayiste né en 1858, crut ainsi avoir trouvé la pierre philosophale dans l’œuvre de Flaubert. Du personnage d’Emma Bovary, il inventa le concept de bovarysme, le fait de se penser autre que ce qu’on est réellement, et entreprit de l’appliquer à toutes choses et en tous lieux.

Maurras commente avec une sympathie amusée ce Bovarysme publié en 1902, après un premier essai écrit dix ans plus tôt et intitulé Le Bovarysme, la psychologie dans l’œuvre de Flaubert.

À une époque où Spencer (que Maurras a étudié très jeune) s’est déjà longuement penché sur le sujet du dédoublement de la personnalité, mais où les acquis de la psychanalyse restent encore à venir, Maurras accorde à Jules de Gaultier un crédit d’estime : voilà un petit livre qui intéressera quinze à vingt personnes. Au passage, il délivre un satisfecit à l’auteur pour ses incidentes sur l’immigration : une société (la France) qui en vient à se penser à travers l’autre (les arrivants de fraîche date) cède toute entière au bovarysme et ne se maîtrise plus.

Voilà qui rejoint ce que Maurras appelle sa « théorie des Métèques ». Mais Jules de Gaultier n’en tire pas de conclusion politique ; et il dévie sur des considérations encore plus globales. Et comme qui trop embrasse, mal étreint, le « Grand Tout » se réduit à un vain petit rien, et son Bovarysme appliqué à chaque élément de l’Univers se dégonfle comme une baudruche crevée.

L’article de Maurras paraît dans la Gazette de France du 24 août 1902, et sera repris en 1925 dans le recueil Barbarie et Poésie sous le titre D’Emma Bovary au Grand Tout.

Maurras justifie ce choix dans sa Préface :

J’ai mêlé aux morceaux de critique […] des réflexions […] propres à élucider l’esprit de ces vieilles campagnes dont les prétextes renaissent toujours. Quelques études, fantaisies, parfois simples exercices de logique élémentaire, aideront à ce résultat, je l’espère ; qu’ils traitent du plagiat en littérature, de la longévité des membres de l’Académie française ou de l’essai de cosmologie générale qui prit pour centre une héroïne de Gustave Flaubert, la variété des points de vue successifs permettra au regard de mieux fixer l’objet.

Aimez-vous les anchois ?

Maurras parle parfois des anchois – par exemple dans les Quatre Nuits de Provence –, et tout porte à croire que c’est un mets qu’il appréciait particulièrement, sans doute lié à des souvenirs d’enfance méditerranéenne.

Un petit texte tout anecdotique tiré de l’Almanach de l’A.F. pour l’année 1925 nous le confirme : alors qu’il s’agit de parler des pâtisseries et alors que la plupart des régions qui vont suivre présentent des pâtisseries sucrées, Maurras prend la peine de signer la recette provençale : c’est une pâte à pain abondamment additionnée d’huile d’olive et où l’on glisse des anchois. Plutôt deux douzaine, précise-t-il.

Le nom de cette recette ? La Pompe à l’huile, dont il existe une version sucrée (et sans anchois !) appelée fougasse d’Arles, qui semble être la recette la plus communément citée de nos jours.