Au service de l’Église et du catholicisme

L’ardeur de Maurras à défendre les vertus du catholicisme aura atteint son maximum pendant la Grande Guerre. Comme elle paraît alors lointaine, l’époque du libertinage quasiment païen des années de jeunesse, le temps de ces passages du Chemin de Paradis ou d’Anthinéa que Maurras retirera plus tard pour ménager les susceptibilités de l’aile dévote de son public ! Mais comme elle semble loin également, la page pourtant à peine tournée des âpres polémiques contre le Sillon et la démocratie chrétienne, de la guerre ouverte que lui déclarèrent une escouade de curés progressistes emmenés par l’abbé Jules Pierre… Il ne reste guère d’écho de tout cela dans les éditoriaux de guerre où Maurras prend la défense de l’Église, du Pape et de la doctrine catholique. Il s’en fait le premier avocat, et s’exprime comme s’il était le seul à porter le flambeau en tête du cortège. Il est en tous cas le plus ardent de toute la presse à dénoncer les menées anticléricales qui, malgré l’Union sacrée, continuent de fleurir dans les journaux de gauche et d’extrême gauche.

On sait que le zèle clérical de Maurras ne sera guère payé de retour. Ainsi, le 5 mars 1915, fait-il un éloge appuyé du cardinal Andrieu… celui-là même qui déclenchera, un peu plus de onze ans après, l’offensive qui devait aboutir à la condamnation de l’Action française par le Vatican.

Mais les textes des années de guerre doivent d’abord être lus dans le contexte de l’époque, et n’être que très secondairement éclairés par ce que nous savons de l’agnosticisme de Maurras, de ses écrits antérieurs et des événements qui vont survenir en 1926. Dès l’ouverture des hostilités, tout le pays est tendu vers l’effort de guerre ; l’Action française joue pleinement la solidarité nationale autour du gouvernement de l’Union sacrée, et prend acte de ce que les socialistes sont loin d’en faire autant. Pour eux, il est naturel que les royalistes mettent leur drapeau dans leur poche, que les catholiques en fassent autant de leur chapelet, alors qu’eux-mêmes restent naturellement en droit de poursuivre leur propagande — ce qui met bien entendu Maurras en fureur.

Seul le vieux révolutionnaire enragé qu’était Jules Guesde trouve grâce à ses yeux. Celui-là n’a-t-il pas déclaré, au congrès socialiste international d’Amsterdam en août 1904, que l’anticléricalisme des radicaux et des socialistes n’était qu’une manœuvre de diversion pour « berner le prolétariat » ?

Tous ces articles publiés dans L’Action française quotidienne ont été réunis en 1917 dans un ouvrage intitulé Le Pape, la Guerre et la Paix. Continuer la lecture de « Au service de l’Église et du catholicisme »

Les leçons inutiles d’une guerre l’autre

Les Conditions de la victoire : il s’agit de quatre volumes regroupant des articles de guerre. Le premier, que nous inaugurons avec sa dédicace à Camille Bellaigue, est sous-titré « La France se sauve elle-même » et regroupe des articles d’août à la mi-novembre 1914. Continuer la lecture de « Les leçons inutiles d’une guerre l’autre »

Et si le président devient fou ?

À la fin de l’année 1918, le président des États-Unis Woodrow Wilson est le personnage le plus puissant du monde. Il est aussi le plus prestigieux, le plus populaire, celui dont on espère tout, dont on attend tout. L’intervention massive de ses armées a assuré la victoire. Désormais apôtre de la paix, il dicte ses conditions aux pays de la vieille Europe. Il est écouté comme on écoute un oracle. Seulement voilà ; ses succès, sa toute-puissance lui montent à la tête. Faute de contre-pouvoirs, rien ne vient obliger son orgueil à composer. Et en quelques mois, il perd toute mesure, tout jugement.

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Féministe enragée et révolutionnaire fanatique

Elle s’appelait Paule Minck. Ou bien elle se faisait appeler ainsi ; cela importe peu. Qui s’en soucie aujourd’hui ? Il serait fort étonnant que les habitants de Revin ou de Narbonne, villes où une rue porte son nom, soient davantage informés.

On sait peu de choses sur elle, infiniment moins que sur sa consœur communarde Louise Michel qui bénéficie de tous les honneurs de la célébrité posthume.

Quelques moments de sa vie sont relatés à l’identique par diverses sources, sans détails ni contexte, ce qui jette le doute sinon sur leur authenticité, au moins sur leur importance réelle.

Née Paulina Mekarska, en 1839, Paule Minck consacra toute sa vie tumultueuse à l’action révolutionnaire la plus radicale. Elle fut de tous les combats, de la Commune à l’affaire Dreyfus, et de toutes les causes, à l’extrême gauche de l’extrême gauche. On raconte que c’est à la suite d’une conférence qu’elle donna en 1881 que le jeune Ravachol se convertit à l’anarchisme. Elle désirait prénommer son fils Lucifer Blanqui Vercingétorix Révolution, mais l’état civil lui refusa cette grâce.

Pour en savoir plus sur cette Paule Minck, il faudrait aller compulser quelques alcôves de bibliothèques anarchistes. Mais, comme c’est en ce genre d’endroit qu’on trouve le plus grand nombre et le plus grand choix de héros martyrs proposés à l’admiration des fidèles, et qu’ils y sont tous, égalité oblige, également saints, également dignes de dévotion, il y est malaisé d’établir leurs mérites comparés et de démêler le vrai du faux.

Mieux vaut dès lors faire confiance à un observateur de l’autre bord, et, concernant Paule Minck, nous avons la chance d’en tenir un, particulièrement avisé : Charles Maurras.

C’est le fédéralisme qui les fait se rencontrer. Il a alors 26 ans, elle 55. Ils sont de l’équipe de La Cocarde de Maurice Barrès. D’emblée ils s’affrontent, et peu à peu ils vont s’estimer.

Paule Minck mourut le 28 avril 1901. Elle fut incinérée au Père-Lachaise le 1er mai, mais l’urne contenant ses cendres a été perdue depuis, privant ainsi féministes et anarchistes d’un lieu de pèlerinage. La légende raconte que ses amis venus lui rendre hommage ce soir-là en profitèrent pour manifester bruyamment et se heurter à la police. Mais nous en apprendrons plus aujourd’hui sur Paule Minck, sur sa pensée et sur la logique de cette pensée, en lisant le bref article de souvenirs que Maurras lui consacre, le matin de ce premier mai, dans la Gazette de France, et qui sera repris en 1916 dans le recueil Quand les Français ne s’aimaient pas.

La tentation de l’Orient

Charles Maurras, dont le frère cadet fut médecin militaire en Indochine et mourut à Saïgon, n’a jamais lui-même visité l’Orient, qu’il soit proche, moyen ou extrême. Tout ce qu’il en a vu se limite à la contemplation, depuis le sommet du mont Hymette, des îles de la mer Égée. Et ceci se passa une seule fois, en 1896. Au sens propre, c’est un Orient bien limité, bien occidental, même si la ligne d’horizon lui évoque, par delà les Cyclades, la côte de l’Asie Mineure et, encore au-delà, toute la litanie des peuples et des empires de l’Est du monde méditerranéen.

Cependant cet Orient, tout virtuel qu’il soit, prend alors une place précise dans l’esprit de Maurras. Ce qu’il voit d’un côté, au nord-ouest, c’est l’Attique, qu’il vient de visiter, et c’est la civilisation : l’ordre, la régularité, la mesure et la beauté. Et voici que de l’autre côté, au sud-est, lui apparaît un monde on ne peut plus différent ; l’Orient immense, fascinant mais flou, nimbé de mystère, barbare, inorganisé. Le dangereux Orient qui, tel Baudelaire, sera toujours pour Maurras une tentation, qu’il rejettera avec toutes les forces de la raison sans jamais pouvoir l’éradiquer tout à fait.

Le récit de l’ascension du mont Hymette ne figure pas dans Anthinéa ; il paraît cinq ans après le voyage de Maurras à Athènes, dans la Gazette de France du 14 novembre 1901, sous le titre L’Orient. Maurras qui a passé la trentaine atteint la plénitude de son art littéraire et, s’il est déjà fortement engagé en politique, il n’y consacre pas encore tout son temps ; la critique et la littérature restent son activité première.

Anthinéa connaîtra de nombreuses éditions, mais L’Orient n’y sera jamais intégré, sinon en 1918 sous le titre L’Hymette, dans Athènes antique, un ouvrage illustré de grand luxe qui reprend quelques passages d’Anthinéa. Entre temps, il aura été publié en 1916 dans Quand les Français ne s’aimaient pas, sous le titre Le Mystère d’Orient ; puis repris en 1937 dans Les Vergers sur la mer, cette fois appelé L’Orient du Mont Hymette, enfin au tome I des Œuvres capitales.