La mer, la mer, toujours ensorcelée

Le neuvième et dernier conte du Chemin de Paradis, troisième et dernier de la série des « Harmonies », n’est pas véritablement un conte, car il ne contient ni action ni personnages. C’est l’évocation d’une rupture amoureuse, déclinée en 28 chants, formant comme une suite d’hommages et d’actions de grâce à la Mer. Mais ces louanges ne sont qu’esquissées, drapées sous le fin voile de mystérieuses paraboles ; on n’y trouve rien qui ferait penser à un bruyant éclat de culte païen arrivant en finale d’un recueil dont maints commentateurs n’ont voulu retenir que les aspects anti-chrétiens. Continuer la lecture de « La mer, la mer, toujours ensorcelée »

La Chair, le Scapulaire et le Suicide

La Bonne Mort est l’un des plus anciens, et en tous cas le plus mystérieux, des neuf contes du Chemin de Paradis. Il a failli donner son nom, ou presque, au recueil lui-même, qui devait à l’origine s’appeler La Douce Mort. Charles Maurras, dans un extrait de lettre cité par Roger Joseph et Jean Forges, donnait des détails sur son projet de publication.

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Blasphèmes véniels et blasphème fatal

Nous poursuivons la publication des contes du Chemin de Paradis avec aujourd’hui le premier d’entre eux, premier de la série des « Religions » : Le Miracle des Muses, où Maurras met en scène le sculpteur Phidias, devenu amer et jaloux tant de la vilénie des hommes que de la perfection des Dieux qu’il a lui-même ciselés, au point de dénier à son art toute inspiration divine, ce dont il est immédiatement puni.

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Mon cœur est-il bien le centre du monde ?

Telle est la question qui sommeille en chacun de nous et dont l’éveil est mortifère. Maurras moque cet emballement de la sensibilité chez des auteurs comme la comtesse de Noailles ; il l’aura dénoncé en politique toute sa vie durant ; et dès son plus jeune âge, depuis la nuit du Tholonet, il en fait un thème récurrent de sa réflexion anthropologique.

L’un des contes du Chemin de Paradis, le second de la série « Voluptés », Eucher de l’île, est à ce propos sous-titré la naissance de la sensibilité. On y voit un rude pêcheur de Martigues nommé Eucher devenir sur le soir de sa vie un fin rhéteur, qui s’attendrit sur lui-même, puis tombe sous l’emprise totale de ses sentiments incontrôlés jusqu’à s’en donner la mort. Car, comme l’explique l’apparition marine qui le fascine :

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Quand les Sybarites périrent de plaisir

Nous commençons aujourd’hui la publication, qui se poursuivra sur plusieurs épisodes, des contes du Chemin de Paradis. Cette œuvre majeure de Charles Maurras est une collation de neuf textes publiés entre 1892 et 1894 dans diverses revues. Œuvre de jeunesse, de badinage philosophique, Le Chemin de Paradis se trouva bientôt au centre des attaques des démocrates-chrétiens qui y voyaient une entreprise païenne et blasphématoire. La réédition de 1921, et toutes celles qui suivirent, est expurgée des passages les plus « anti-chrétiens » et accompagnée d’une nouvelle préface (devenue ensuite postface) qui explique, justifie, relativise, minimise… mais cela ne fera pas taire la polémique, si bien qu’il est impossible désormais de lire ces Contes au premier degré, en faisant abstraction de toutes les interprétations que leur ont données admirateurs, contempteurs et exégètes.

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Mythe et Mystique d’une France ultra-profonde

Émile Pouvillon
Émile Pouvillon.
Imaginons une parcelle de France villageoise surgie des temps révolus, abyssale à force d’être rurale, profonde d’entre les profondes, fossile d’entre les fossiles. Plaçons-y des personnages plus enracinés dans leur terroir que les moules sur leur rocher, qui toute leur vie durant n’auront pas franchi la ligne d’horizon d’où l’on cesse de voir le clocher à l’ombre duquel on naît et meurt. Puis, de cette scène où rien ne se passe, où rien ne change, faisons un roman de mœurs…

C’est la gageure que s’était donnée un certain Émile Pouvillon (1840–1906), au temps du naturalisme triomphant. Mais alors que Zola situait ses créations dans le tourment de l’évolution, dans l’ébullition de la marmite sociale, Pouvillon les imagine près du zéro absolu, là où les corps chimiques ne révèlent que des proto-comportements, sa thèse étant sans doute que c’est là qu’on peut le mieux observer d’où nous venons et de quoi nous sommes faits…

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