La Barque et le Drapeau

Voici le texte d’une brochure parue en juillet 1911. Elle reprend un article paru dans l’Action française le 20 mai 1911.

On comprend l’histoire en lisant les premières lignes : le 4 février 1911, Maurras évoque dans l’Action française une photo du duc d’Orléans. On la lui réclame, mais il ne veut pas la publier ni laisser en éditer une carte postale. Puis le duc d’Orléans publie un livre, Chasses et chasseurs arctiques dans laquelle se trouve la photo. Du coup Maurras publie l’article dans l’Action française et fait éditer la brochure, chacun accompagné des photos.

Les deux photos évoquées dans ce texte ouvrent (celle de la cabine de la Belgica) et ferment (celle de la barque, en médaillon) le gros livre de souvenirs publié en 1927 par le docteur Récamier, intime du duc d’Orléans : L’Âme de l’Exilé.

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Le Chemin de Paradis en cartes postales

Le promeneur qui découvre aujourd’hui la maison de Charles Maurras à Martigues aura du mal à imaginer ce qu’elle était du vivant de l’écrivain, par exemple lorsqu’il y reçut la visite de Joseph Kessel, venu au début de l’été 1926 l’interroger sur le retour de Poincaré aux affaires.

Un plan réalisé en 1956 par Roger Joseph et publié dans sa brochure Martigues et le Chemin de Paradis montre qu’encore à cette époque, avant la construction du stade et l’assèchement des salines, l’environnement immédiat de la maison n’avait guère évolué depuis l’enfance de Maurras ; il était resté tel que l’évoquent les Quatre Nuits de Provence.

Les six cartes postales que nous reproduisons datent de l’entre-deux-guerres : Maurras était assez célèbre pour que son nom apparaisse en légende de la photo de sa maison, bien que certains éditeurs aient privé son patronyme d’un de ses deux R. Et la maison, suffisamment isolée, constituait un sujet simple à caractériser, pour une photographie touristique.

Au temps de Maurras, le Chemin de Paradis est un vrai chemin, un chemin rural. Au Sud, jusqu’à l’étang de Caronte qui assure le passage entre la Méditerranée et l’étang de Berre, s’étendent des salines. On n’y musarde pas, surtout le soir, à cause des nuées de moustiques. Et au Nord, le chemin est bordé de collines où il l’on ne distingue qu’une seule construction : la Bastide. Plus haut, au loin, le vieux moulin. Devant la Bastide, le jardin : l’allée des Philosophes, la muraille des cyprès… Et autour, rien : des prairies, quelques pins. Vue d’en haut, la perspective dans laquelle s’inscrit la maison n’est guère enthousiasmante ; on comprend pourquoi Maurras s’est tant attaché à soigner son jardin :

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Cette carte a été éditée par un certain Albert Jourdan, libraire. Au verso, on apprend que c’est la 27ème d’un série consacrée à la Venise Provençale. La légende en est : « Quartier Paradis, Propriété Charles Maurras ».

Aujourd’hui, ce paysage semble lunaire. Il n’y a plus trace des marais salants ; l’horizon est bouché par l’immense palissade que forme le mur extérieur de la Tribune Paradis du stade, dont les quatre pylônes portant les projecteurs écrasent toute perspective. Entre le stade et l’étang, c’est la nouvelle Mairie, et tout un quartier surgi du néant. Autour de la maison, le terrain a été entièrement loti en petites parcelles, toutes bâties, abondamment clôturées et comme irriguées par les voies d’accès pour les voitures ; la Bastide reste au milieu, cachée par les haies, témoin des siècles passés et porteuse de la mémoire d’un écrivain polémiste qui aura tant fait pour la renommée de sa ville, où peu de gens se souviennent de lui de nos jours…

Le jardin n’a pris son aspect actuel que tardivement et progressivement. Maurras s’en était beaucoup occupé pendant ses dernières années, surtout pendant sa détention ; il conçut et fit faire d’importants travaux de maçonnerie dont il ne vit jamais le fruit.

Le jardin descendait naguère plus bas qu’aujourd’hui ; la transformation du Chemin de Paradis en voie urbaine, après la construction du stade, le fit reculer de quelques mètres.

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Cette carte qui prive Maurras d’un R a été réalisée par les éditions Tardy, 40 quai du Port à Marseille. C’est une des rares vues de la maison prises de face.

La plupart des vues que l’on rencontre sont prises de côté, ce qui ne permet pas toujours de bien distinguer l’allée centrale. Sur la suivante, bien que prise du côté ouest, la structure du jardin apparaît assez clairement.

Les deux fenêtres du rez-de-chaussée ont leurs volets ouverts ; la photo a donc été prise pendant la journée, vraisemblablement le soir (pour que la lumière du soleil soit derrière l’opérateur). La majorité des photographies des cartes anciennes ont été prises en été, tôt le matin, pour ne déranger personne et avoir des rues dégagées. En contrepartie, les volets sont tous fermés. Ceci laisse penser que cette carte est assez récente (peut-être 1940 ?). Par rapport à la précédente, les amphores ont pris la place des jardinières.

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On retrouve au verso mention de l’éditeur Jourdan. La carte porte le numéro 1461, avec la légende : « La Venise Provençale : Martigues (Bouches du Rhône). La Maison Charles Mauras » (avec un seul R).

Voici une autre vue prise du côté ouest, cette fois avec un seul volet ouvert. L’éditeur est « Real Photo — Cap — Strasbourg — Paris ». La légende est au recto, toujours avec un seul R :

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Enfin voici deux cartes sépia avec une vue prise côté est, ce qui permet d’apercevoir au loin la tour du vieux moulin :

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La première est produite par les éditions Gauthier, à Martigues, la seconde par les éditions Fournier, cours du 4 Septembre, également à Martigues. Les locaux ont tous deux fait attention à bien mettre les deux R. Les deux cartes se ressemblent beaucoup, mais l’état de la végétation permet bien de voir qu’il s’agit de deux périodes différentes.

Dans les deux cas, les volets de la fenêtre de la bibliothèque sont ouverts, mais ceux du bureau sont fermés.

Une nouvelle copie du jeune Maurras

Nous revenons cette fois vers le jeune Maurras, puisque cette copie date de sa quinzième année. Il s’agit d’une dissertation sur Tacite, dont nous vous proposons le texte un peu complexe puisqu’il existe deux versions de ce devoir, l’une originale, l’autre recopiée et remaniée pour un « cahier d’honneur ».

La courte phrase qui suit la signature de Maurras, « une voix vertueuse pour réclamer (?) les droits du genre humain calomnié », vient en variante d’une phrase du dernier paragraphe, soulignée sur la copie.

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Comment Maurras est-il devenu royaliste ?

Il nous le dit lui-même dans ce texte intitulé Confession politique d’une manière un peu vieillie et que nous rebaptisons Comment je suis devenu royaliste.

Le texte, composite dès sa première publication puisqu’il comprend une longue Méditation sur Hécatée de Milet qui lui est antérieure, elle-même composée de deux parties écrites à des époques différentes, a subi quelques péripéties : publié en 1930 dans La Revue de Paris, il est repris un an plus tard dans Au signe de Flore, avant de subir des modifications importantes dans les Œuvres capitales en 1954.

La fin du texte fait explicitement référence aux Lettres des Jeux olympiques et à un épisode déterminant pour Maurras, qui a lieu sur le bateau du retour.

Hérodote, les Perses et la démocratie

En 1912, Maurras a 44 ans. Il est dans la plénitude de son art, penseur, polémiste infatigable, et désormais théoricien attitré de la Monarchie. Voici que l’occasion lui est donnée d’évoquer Hérodote, qu’il relit pour l’occasion dans le texte original. Dans ce court article paru dans L’Action française du 29 août 1912, et repris en 1932 dans le Dictionnaire politique et critique, il passe sans transition de sa passion pour la Grèce antique, dont cependant il fustige l’anarchie politique, à l’analyse des arguments éternels en faveur du gouvernement d’un seul contre le gouvernement de plusieurs, ou celui de tous, tout en jetant au passage quelques brèves piques sur l’actualité.

Hérodote n’a généralement pas bonne presse. On l’a accusé d’être un farceur. Sans doute notre bon Michelet, ou notre brave Lavisse, eux, n’ont jamais affabulé, jamais ! Sans doute les historiens français et allemands du 19e, pour se limiter à ce siècle-là, n’ont-ils jamais été en désaccord sur rien, n’ont-ils jamais tiré vers eux ni la saga napoléonienne, ni les secousses de 1848, ni la triste guerre de 1870-71 ! Eh bien, on en veut toujours à Hérodote d’avoir été Grec et de ne pas avoir été Perse. Dans un roman par ailleurs remarquable, l’Américain Gore Vidal s’est inscrit tout naturellement dans cette caricature.

Curieusement, Maurras nous fait entendre Hérodote faisant parler les Perses, et les faisant parler de façon on ne peut plus sage et plus clairvoyante. Mais il est vrai que c’est pour condamner la démocratie et en brocarder les effets pernicieux. Au fond, ce que les modernes reprochent à Hérodote, c’est de ne pas les conforter dans leur culte béat d’une démocratie athénienne idyllique qui n’a existé que dans leurs rêves.

L’historien de la Monarchie de juillet

À l’âge de vingt ans, en 1988, Charles Maurras publie dans La Controverse et le Contemporain, revue éditée par un comité de professeurs des facultés catholiques de Lyon, une longue critique de l’Histoire de la monarchie de Juillet de Paul Thureau-Dangin. Sur les sept tomes que comptera finalement cette œuvre monumentale, quatre sont parus au moment où l’article est écrit.

Maurras se montre très élogieux pour l’auteur, et cette admiration ne faillira pas dans les années qui suivront, bien que les deux hommes ne partagent pas les mêmes convictions. Paul Thureau-Dangin est un libéral conservateur, très attaché au régime parlementaire ; Maurras admire en lui l’homme de lettres, son style, son érudition et surtout sa méthode d’analyse et d’écriture de l’histoire. En 1913, après la mort de l’historien entre temps devenu académicien, Maurras lui rend un bel hommage, tout en moquant avec courtoisie l’attachement du défunt au parlementarisme. Cet article sera repris en 1928 dans Les Princes des Nuées.

Mais revenons en 1888. L’actualité, c’est le boulangisme, et le régime en place, bien que parlementaire, n’a plus grand’chose de commun avec le parlementarisme « à l’anglaise » de la monarchie de Juillet. Aussi Maurras limite-t-il ses commentaires à cette période, et à la méthode historique en général ; et il trouve tant à dire, sur la société, les institutions, la littérature, les débats des années 1830 à 1848, qu’il s’y immerge avec volupté. Et le lecteur d’aujourd’hui ne manquera pas de voir, sous ces flots d’érudition précoce, que les idées que Maurras développera plus tard, et dont on entend souvent dire qu’elles lui sont venues pendant les années marquées par l’affaire Dreyfus, étaient déjà largement esquissées lorsque paraît l’article en septembre 1888.