La réponse d’Adolphe Retté sur Pythéas

Le Repentir de Pythéas écrit par Maurras en janvier 1892, était sévère pour Adolphe Retté et son Thulé des brumes. D’autant que Maurras était l’une des rares voix critiques dans un concert de louanges.

Adolphe Retté répondit en février 1892 dans La Plume (n° 68, 15 février) à l’article de Maurras paru dans l’Ermitage. Nous ne reproduisons ici que la deuxième partie de son article intitulé Écoles.

De par les résultats acquis, de par la valeur éprouvée de son fondateur, l’école romane est plus intéressante bien que MM. Moréas et Maurras aient fait, inconsciemment, et à maintes reprises, le possible pour empêcher qu’elle réussisse.

M. Moréas est un excellent poète ; nous l’avons dit plusieurs fois et nous nous plaisons à le répéter mais il est un exécrable théoricien absolument dépourvu d’idées générales. Les Premières armes du symbolisme, la préface du Pèlerin passionné viennent à l’appui de notre dire aussi bien que tel article du Figaro (toujours la réclame) par où M. Moréas voulut répondre aux attaques de M. Fouquier — comme si l’on répondait à un Fouquier ! Il était dit notamment dans cet article « Le symbolisme que j’ai en partie inventé…, le symbolisme est mort. »

Hé non, M. Moréas, vous n’avez rien inventé du tout. — D’abord parce que de tous les poètes qu’on s’est plu à ranger parmi les symbolistes, vous êtes bien le moins symboliste qu’on puisse voir. Allégoriste si l’on veut, oui, et rien de plus. D’abord, votre admirable rhétorique confinée dans le domaine du sentiment pur ignore trop toute émotion profonde, est trop en dehors de la sensation et de l’idée pour avoir jamais pu prétendre à ériger des symboles. Ensuite, le symbolisme comporte un trop grand nombre de personnalités divergentes et aussi intéressantes que la vôtre pour que vous ayez sujet de déclarer qu’il est mort. D’abord qu’est-ce que le symbolisme ? Si l’on interrogeait séparément chacun des poètes dits symbolistes, il est à croire qu’on obtiendrait autant de définitions qu’il y aurait d’individus interrogés. Aucun de nos confrères ne nous démentira à cet égard. Pour nous, nous ne considérons le terme de symbolisme que comme une étiquette désignant les poètes idéalistes de notre génération ; c’est une épithète commode et rien de plus. — L’art n’a rien à voir avec les étiquettes et les écoles, l’art c’est la vie vue en rêve, et non le symbolisme ou le romanisme.

Mais vous, mal content de n’être qu’un très bon poète vous avez cru devoir vous affubler d’un plumet roman. — Parce que vous vous efforcez à une laborieuse marqueterie où des mots du XVIe siècle s’enchâssent de mots du XIIIe parce que vous déployez à nouveau les guenilles de la défroque mythologique ; parce que vous restituez aux fleuves de la Russie méridionale leurs noms anciens ; parce que, surtout, vous avez dévoyé quelques charmants poètes non dépourvus de talent mais qui depuis qu’ils vous fréquentent refont Galatée, et emploient comme vous les vocabulaires périmés, les paillons mythologiques l’Arax et le Strimon, pour toutes ces raisons, ne croyez pas avoir fondé une école. — Tout au plus restera-t-il de votre tentative une sorte de Parnasse plus ennuyeux et plus mort que le premier. Quant à vos disciples quand ils seront las de vous donner du laurier et de clamer que si vous les accueillez au rang de vos poètes, leur front démesuré atteindra jusqu’aux cieux, ceux qui auront quelque fleur bien personnelle à cultiver retourneront dans leur jardin et vous laisseront seul animer les échos de votre Olympe déserté, — Les autres…, ce n’est pas la peine d’en parler ; ils seront votre école.

On est particulièrement peiné de voir M. Maurras employer son talent juvénil au los de l’école romane d’autant que cet écrivain aggrave son cas d’un rêve d’alliance entre M. Moréas et le félibrige.

M. Maurras, dernièrement, dans l’Ermitage nous prit à partie au sujet de nos prétendues tendances germaniques. Il négligea du reste de réfuter les arguments d’un article sur la question que nous avons publié ici-même en août dernier, et s’est contenté d’affirmer à nouveau et sans démonstration probante que Shakespeare représentait évidemment l’aboutissement de la Renaissance italienne et de déplorer notre penchant vers Siegfried et Brunehild. Il crut aussi pouvoir s’autoriser de certaines réponses de M. Oscar Wilde à un journaliste pour déclarer que ce poète applaudissait au romanisme. Comment M. Maurras ne s’est-il pas aperçu que M. Wilde avait très spirituellement plaisanté son interlocuteur ? Quant à l’opinion de M. Wilde sur l’école romane, nous pouvons avec presque certitude, nous porter garant qu’elle est loin de lui être sympathique. M. Maurras n’a sans doute jamais entendu dire, à M. Wilde parlant des théories de M. Moréas : « Oh ! ce n’est pas intéressant ! »

Nous concéderons à M. Maurras ceci : actuellement, un écrivain de talent ou de génie et de sang plus ou moins germanique n’est tout à fait complet que par une éducation gréco-latine ; mais de la plus forte part de son talent ou de son génie, il sera toujours redevable à son origine d’homme du nord. — Le midi pur ne donne (toujours actuellement et à peu d’exceptions prés) que des rhéteurs ou des adaptateurs habiles. Quant aux félibres, on peut les diviser en deux catégories. Les uns, patoisants honorables, produisent des poèmes égaux en intérêt aux poèmes bretons ou picards. Les autres ne sont que des entrepreneurs de tutupanpan.

Il n’y a qu’une langue en France, le Français. Et la meilleure preuve, c’est que M. Maurras lui-même écrit en français les Quatre âmes de mon pays qui sont une chose exquise.

M. Maurras devrait donc parachever cette œuvre au lieu de s’employer à réunir des brebis derrière la houlette de ce pasteur de l’Hymette : notre ami Moréas. Qu’il se pénètre de cette vérité au Nord comme au Midi, il n’y a pas d’écoles, il y a des individus.

M. Maurras a interrogé Pythéas afin de nous confondre ; nous, nous avons interrogé la grande Muse éternelle : « Déesse, lui disions-nous, est-il vrai que désormais les poètes devront élire l’un d’entre eux pour roi afin que celui-ci leur départisse les vêtements dont il ne voudra plus et les fasse obéir au geste de son sceptre ? Est-il vrai qu’il faut fonder des écoles ? »

Mais la grande Muse étoilée ne répondit rien. Un sourire dédaigneux fleurissait sur ses lèvres et ses regards terribles restèrent perdus vers les profondeurs éthérées.

Adolphe Retté.

Albert Jhouney, sur Maurras

Rapportée par La Plume (n°62 du 15 novembre 1891, p. 403) cette appréciation d’Albert Jouney — dit Jhouney — sur Maurras, parue dans une autre revue, L’Étoile.

M. Charles Maurras a les aptitudes natives d’un métaphysicien, ce qui communique à ses thèses une puissance systématique, une sève que la critique pure n’offre que trop rarement.

À ces puissances de haute abstraction qu’il n’étale pas, mais qu’on sent fortement présentes, il joint, ce qui fait souvent défaut aux esprits abstraits, un goût de couleurs, de mouvements, un appétit de l’art, un instinct passionné des mystères du soleil, une énergie de mer brûlante et de vent africain.

Aussi est-il de ceux dont je suis les démarches morales et intellectuelles avec le plus d’intérêt, et même là où le désaccord existe entre nous, je suis tenté par la chaude magie qu’exhale cette raison ardente. J’attends avec impatience le livre que Charles Maurras consacrera uniquement à ses propres méditations, celui où il développera toute sa force en liberté et déchaînera ses audaces personnelles. Je ne partagerai peut-être pas toujours ses théories, mais j’en admirerai la vigueur consciente, la hauteur, les rayons violents comme dardés par l’arc d’argent d’Apollon-Champion.

Jhouney, outre ses propres productions souvent dans une veine occultiste alors très en vogue, collabora à plusieurs ouvrages avec Papus ou Péladan et s’intéressa particulièrement à la cabale et au Zohar.

Le système des poètes romans

Revue La Plume
Revue La Plume, couverture.

La Défense du système des poètes romans a paru dans une revue un peu particulière, à laquelle Maurras collabora dans les années 1890 : La Plume.

Revue « artiste » : il y en avait tant à l’époque ! Mais à lire simplement les sommaires de ce bimensuel, on reste impressionné : il n’est pas rare que l’on trouve dans le même numéro les noms mêlés de Paul Verlaine, Jean Moréas, Anatole France, Émile Verhaeren, Willy (qui y tenait une féroce rubrique de critique musicale), Maurice Barrès, Léon Bloy, Banville, Coppée, Félicien Rops, Aristide Bruant… Et tant d’autres, dont Charles Maurras, qui y défendit en particulier les conceptions poétiques de l’École Romane, groupée autour de Jean Moréas, lequel avait rompu difficilement avec le symbolisme pour revenir à une esthétique plus latine, sinon grecque, à partir de 1891-92.

Dédicaces : Cocteau, De Gaulle, Guitry et Valéry

Quatre envois autographes à Charles Maurras : de Charles de Gaulles, de Paul Valéry, de de Sacha Guitry et de Jean Cocteau.