Du Chemin de Paradis… aux chemins du Progrès social

En 1920, Maurras entreprend une révision de l’écriture des neuf Contes du Chemin de Paradis, publiés vingt-cinq ans auparavant. La Bonne Mort sera totalement supprimée, ainsi que les deux tiers des Deux Testaments de Simplice ; les autres subiront des modifications plus ou moins importantes. L’ensemble est introduit par un Avant-Propos, sous-titré Réflexions sur un premier livre 1895-1920, dont une publication anticipée sera faite sous forme d’article dans la Revue Universelle du 15 janvier 1921.

Dans la première réédition du recueil ainsi refondu, qui n’est plus sous-titré Mythes et Fabliaux, mais Contes Philosophiques (de Boccard, 1921), l’Avant-Propos ouvre le livre et vient avant la Préface de mai 1894. Mais dès la suivante (Lardanchet, 1922), il devient Postface et se déplace en fin du volume. Il sera par ailleurs absent des éditions illustrées. Continuer la lecture de « Du Chemin de Paradis… aux chemins du Progrès social »

Maurras, inlassable avocat des langues régionales

De ses tout premiers engagements de jeunesse, Maurras a-t-il conservé l’idée que décentralisation et défense des langues régionales vont de pair ? C’est une hypothèse naturelle, tant la chose allait de soi dans la Déclaration des jeunes félibres fédéralistes de 1892. Mais ce n’est qu’une hypothèse, qu’il faudrait étayer par des études sérieuses qui, à notre connaissance, n’existent pas.

Lorsque Maurras construit son corpus doctrinal sur la République centralisatrice, les problématiques linguistiques n’y figurent pas en première ligne, ne serait-ce que parce tous les territoires ne sont pas concernés, ou pas également concernés. On pourrait dès lors formuler l’hypothèse inverse : le combat de Maurras pour la décentralisation, qui a donné lieu à un nombre considérable d’écrits, et son combat pour la langue et la culture provençales, accessoirement pour le breton ou l’alsacien, ont été menés quasi indépendamment l’un de l’autre, avec des rencontres qui ne sont que fortuites.

Pourquoi se poser cette question ? Simplement parce que l’ouvrage de synthèse que Maurras consacre aux langues régionales et à leur enseignement, Jarres de Biot, date de 1951, soit un an avant sa mort, alors que son équivalent L’Idée de la décentralisation a été composé en 1898. Continuer la lecture de « Maurras, inlassable avocat des langues régionales »

De l’Ordre injuste et du devoir de rébellion

Maurras, chantre et théoricien de l’Ordre, s’efforça toute sa vie d’expliquer la différence entre l’Ordre bienfaisant exercé par un souverain légitime et sa caricature, le césarisme. Contre une tyrannie qui bafouerait les principes supérieurs, « inécrits », de la civilisation, c’est la rébellion qui devient légitime. La figure emblématique d’Antigone a souvent été mise en avant pour nous donner un Maurras faisant de l’Ordre un moyen plus qu’une fin, et justifiant l’insurrection dès lors qu’elle a pour but de rétablir l’Ordre véritable ; ce fut le discours de Pierre Boutang, repris par plusieurs de ses continuateurs.

Cependant Maurras nous a laissé très peu de textes sur Antigone. Rien de comparable avec Jeanne d’Arc ! Nous en connaissons trois : d’abord des extraits d’une lettre à Maurice Barrès, datée de décembre 1905 ; puis un article de 1944 faisant suite à la première représentation de la pièce éponyme de Jean Anouilh ; enfin deux poèmes composés à Riom en 1946.

Ces deux derniers textes ont été réunis dans une plaquette tirée à 320 exemplaires chez un imprimeur de Genève, le jour même du 80e anniversaire de Maurras, le 20 avril 1948. À cette date, Maurras a quitté Riom pour Clairvaux depuis un peu plus d’un an. Contrairement à d’autres publications de ces premières années d’emprisonnement, Antigone Vierge-Mère de l’Ordre est une édition de luxe, soignée et sans coquilles. Continuer la lecture de « De l’Ordre injuste et du devoir de rébellion »

La préface du Venin

La première édition du Chemin de Paradis fut publiée chez Calmann-Lévy en 1895. La préparation de l’ouvrage et son impression ont dû prendre un certain temps, car la préface, dédiée à Frédéric Amouretti, est datée de mai 1894.

Bien que le recueil de Contes qu’est Le Chemin de Paradis ne soit pas la toute première publication de Charles Maurras, celui-ci le présente dès le début de cette préface comme « mon premier livre ». Il est vrai que Théodore Aubanel (1889) et Jean Moréas (1891) peuvent être considérés comme de simples brochures. Mais la vraie raison n’est sans doute pas là. Continuer la lecture de « La préface du Venin »

Vestiges et instruments de nos passions déréglées

La découverte des ruines de Troie, les progrès de l’ethnologie et de la psychologie, les travaux de Pasteur, les observations de Darwin et bien d’autres nouveautés ont profondément marqué la vie intellectuelle de la fin du dix-neuvième siècle, cette période est celle où le jeune Maurras curieux de tout lit, étudie, on pourrait dire dévore tout ce qui se publie, s’imprègne de tout ce qui se pense et se compose peu à peu sa propre synthèse, tant politique et anthropologique que spirituelle.

Ce sont des années où les courants de pensée naissent, s’hybrident, s’entrechoquent dans une sorte de tintamarre bien éloigné de notre actuel et morne consensus. La place de l’homme dans le monde, dans l’Histoire, dans la société ou devant Dieu est alors au centre de toutes les spéculations. L’eugénisme et le racialisme se déploient avec une bonne conscience qui figerait d’horreur nos modernes Pharisiens, d’autant que ces sentiments ne s’opposent pas forcément au socialisme ou du moins au progressisme social, de même que scientisme et occultisme savent aussi à l’occasion faire un étrange bon ménage.

En février 1897, lors de son voyage à Florence, Maurras rencontre l’une des figures marquantes de cette effervescence : le docteur Paolo Mantegazza, esprit universel, à la fois homme de lettres et savant versé dans quantité de sciences, correspondant régulier de Darwin, de surcroît homme politique et fondateur d’un musée qu’il fait visiter à son jeune hôte.

Maurras appellera ce musée celui « des passions humaines » car on y découvre tout un bric-à-brac d’objets témoins et instruments de ce que les sociétés humaines ont pu montrer de fureur, d’emportement, de vices et de cruauté. Une sorte de musée des « arts et traditions populaires » tourné vers le tragique dont Mantegazza semble attendre qu’en sortent, d’elles-mêmes, les clefs de la compréhension de la nature humaine. Continuer la lecture de « Vestiges et instruments de nos passions déréglées »

La servitude est abolie, chères ombres !

Ainsi parla Mercure, annonçant aux esclaves rassemblés aux Enfers que, là bas, dans le monde visible, la Liberté régnait désormais. Et ce, sur toute l’Humanité, anciens esclaves compris. La Liberté, c’est être le seul maître de soi, ne dépendre de personne…

Les esclaves ont reçu le gouvernement de leur âme. Ils ne sentent plus d’autres jougs que ceux de vivre et de mourir. Ils disposent de tout leur cœur.

Et il ne tient qu’à vous, ajoutait-il, de jouir de ce bienfait inestimable. Je vous offre la coupe du Léthé qui vous permettra de revenir dans le monde des vivants.

Mais les esclaves que Maurras met en scène dans son conte des Serviteurs refusent cette faveur. Ils ont retrouvé aux Enfers leur maître bien aimé. Certes, celui-ci savait parfois se montrer cruel. Mais qu’il était doux et simple de se reposer sous son autorité ! Le seule idée de devoir apprendre à se gouverner soi-même leur apparaît insupportable. D’autant qu’ils imaginent avec clairvoyance toutes les dérives de la société démocratique. Mercure en convient volontiers, et repart avec sa coupe. Les Ombres sont restées chez les Ombres. Continuer la lecture de « La servitude est abolie, chères ombres ! »