Déjà, le front et l’arrière

Cavalerie française 1914

« Contre les murmures » ? Que veut donc dire le titre de cet article du 26 août 1914 ? Murmurer ce n’est pas seulement parler bas. C’est aussi le bruit de la rumeur publique, celui de l’opinion. Et l’on sait qu’en démocratie l’opinion est un enjeu, qu’elle fait et défait les ministères et les politiques, qu’elle est faite par les journaux et ultimement par l’argent qui les possède.

Or Maurras vient de passer plusieurs articles quotidiens à batailler contre Gervais ou Clemenceau, contre ces politiciens que la guerre elle-même ne fait pas taire et qui continuent à pousser chacun son avantage en empilant les articles ou les tribunes. Croyait-il vraiment que l’Union sacrée mettrait un frein à leurs ambitions ? C’est bien douteux, et la déploration, pour être sincère, n’en a pas moins quelque chose de rituel.

Si les Chambres étaient réunies, on verrait ces messieurs à la tribune : ils n’ont que les journaux, ils s’en servent avec l’inconscience de l’automatisme et de la manie.

Ce n’est pas tant ce discours-là qu’il faut remarquer dans ce texte. C’est plutôt la discrète préfiguration d’un thème appelé à de grands développements durant la guerre et plus encore après : la distinction entre le front et l’arrière. Ceux qui sont au feu font une expérience que l’arrière ne connaît pas, ne peut comprendre, qui doit ou devrait imposer silence aux non-combattants. Le thème sera repris et aura l’importance qu’on sait dans l’après-guerre sur le ton « ils ont des droits sur nous ». Que Maurras le formule dès août 1914, même de manière encore imparfaite, c’est particulièrement remarquable.