Lavisse retrouvé

Cavalerie française 1914

La République c’est aussi quelques noms. Parmi ces noms, il en est peu qui soient aussi liés pour nous à la Troisième République que celui d’Ernest Lavisse qu’évoque Maurras dans ce « M. Lavisse retrouvé » du 24 août 1914. Historien officiel couvert d’honneurs, sans cesse édité et réédité, personne n’a eu une plus déterminante influence qu’Ernest Lavisse dans la diffusion de ce qu’on est convenu d’appeler le « roman national », vaste reconstruction a posteriori et somme toute assez consensuelle qui servait les intérêts du régime en y incorporant pour les écoliers et les collégiens des éléments soigneusement triés et réinterprétés. Y figurait en bonne place ce qui pouvait sinon rallier les opposants, du moins désarmer leurs justes préventions en rattachant malgré tout la France éternelle à la forme républicaine de son organisation politique du moment.

« Tu dois aimer la France, parce que la Nature l’a faite belle, et parce que l’Histoire l’a faite grande. »

Quel royaliste ou bonapartiste ne souscrirait, se disant qu’après tout il y avait quand même un peu de la France dans le régime des Gambetta, des Ferry et des Combes ?

Maurras, dans cet article, rappelle le passé nationaliste de Lavisse, manière de sous-entendre qu’il ne fut pas toujours républicain, de cette République honnie depuis l’Affaire. Sans doute. Et peut-être même entre-t-il dans cette demi-réhabilitation de Lavisse du point de vue maurrassien un peu de malice ; Lavisse n’était-il pas le rival de l’une des bêtes noires de Maurras, ce Monod qui avait été premier à l’agrégation d’histoire quand Lavisse y était deuxième ?

Mais l’ancien précepteur du Prince impérial, volontiers critique de la République dans sa jeunesse, s’était entre temps complètement rallié au régime en 1877 après des pas soigneusement mesurés. Au point que c’est lui qui avait succédé en 1883 à Henri Wallon en Sorbonne — Wallon, l’auteur un peu malgré lui de l’amendement célèbre qui fit de la France une république en titre en 1875. Lavisse sera ensuite l’un des piliers du régime : qui dit Lavisse dit histoire républicaine par excellence, peut-être encore plus qu’en invoquant Michelet.

Aussi peut-on voir dans cet article plus qu’un simple constat sur l’Union sacrée : l’espoir d’un reflux du régime, l’idée que peut-être, si même Lavisse semblait revenir à ses convictions de jeunesse plus nationalistes que républicaines, il y avait là l’espoir d’un mouvement durable, d’une véritable conversion sinon de la République du moins du personnel républicain reforgé aux feux de l’épreuve. On sait qu’il n’en sera rien, et que les désillusions d’après-guerre seront cruelles une fois dissipées les ambigüités de la Chambre bleu horizon.