Le canon de 75 et Dreyfus

Cavalerie française 1914

« Vers Strasbourg » ? on sait bien qu’il n’en sera rien quoi qu’en dise cet article du 18 août 1914, que le conflit va s’enliser, les fronts s’enterrer et la guerre civile européenne faire rage pendant plusieurs années… il est facile de faire la leçon à un siècle de distance aux gens qui vivaient l’événement même, avec ses incertitudes, ses retournements et ses fausses apparences. Nous l’avons déjà souligné plusieurs fois à propos de ces articles de l’été 14, nous aurons encore l’occasion de le dire.

L’autre sujet de cet article du 18 août 1914, c’est le canon de 75. Ce fut un vrai progrès à la toute fin du dix-neuvième siècle : nanti d’un certain nombre de perfectionnements, il permettait un tir rapide et répété sans avoir à repointer l’arme après chaque recul, réalisant le rêve de générations d’artilleurs.

Mais on voit bien à la lecture de cet article que derrière le canon de 75 reviennent l’affaire Dreyfus et ses protagonistes : les prévoyants patriotes antidreyfusards qui firent adopter l’arme nouvelle, les déjà quasi-traîtres anti-dreyfusards qui n’en firent pas assez cas. Sans doute L’Action française et Maurras vont mettre en avant leur abandon du rappel quotidien des soubressauts judiciaires qui, de Rennes en cassation et de cassation en réhabilitation, ont marqué toute la période précédente. Mais, périodiquement, l’Affaire continuera de se rappeler aux lecteurs de l’AF sous forme de notes éparses certes moins systématiques qu’avant guerre, mais qui vont durer tout au long du conflit à la faveur des affaires d’espionnage ou, comme c’est le cas ici, d’armements.

Selon sa sensibilité ou son humeur, on y verra la marque d’une génération profondément engagée dans ces polémiques et qui peine à en sortir ou d’utiles rappels qui, derrière l’indispensable union sacrée, manifestent la pérennité des clivages politiques d’avant-guerre. La Chambre Bleu horizon pourra les faire croire dépassés pendant quelque temps, mais on les verra ressurgir, somme toute assez semblables à eux-mêmes, dans l’entre-deux-guerres. Au point que sa condamnation en 1945 sera pour Maurras « la revanche de Dreyfus ».