Philippe VIII dans la nasse de Viviani

Cavalerie française 1914

Encore l’Union sacrée ? eh oui ! S’il fallait une preuve que derrière les grandes déclarations patriotiques tout n’allait pas autant de soi qu’on le répétait, l’insistance même qu’y mettent Maurras et tous ses collègues à l’été 14 est un indice. Et quel renfort est de plus de poids dans un journal royaliste que celui du prétendant lui-même ? L’article sur les ordres du roi du 12 août 1914 cite Philippe d’Orléans et illustre le processus : l’Union sacrée doit faire s’effacer toutes les différences idéologiques devant l’ennemi ? Alors la loi d’exil doit céder aussi et il doit pouvoir s’enrôler dans l’armée française… las, Viviani — le promoteur même de l’Union sacrée —, a une autre interprétation : la loi demeure, et le prétendant se retrouve à jouer les ambulanciers pour la Croix-Rouge belge. Ce qui ne l’empêche pas de prêcher à ses partisans l’union autour du gouvernement, de l’armée, des élus, bref autour de la France républicaine quoi qu’on en dise. Le piège fonctionne sous nos yeux et démontre que l’Union sacrée est à sens unique : les républicains y gagnent le silence de leurs ennemis, les royalistes y sont bâillonnés et n’y gagneront que de se sacrifier. Se sacrifier pour qui ? pour la France ? pour la République ? pour ce qui sortirait du conflit, c’est l’évidence. Mais que pouvait-il sortir du conflit sinon la République continuée puisque l’Union sacrée se résumait à mettre en sourdine toute considération politique ? Encore une fois il ne s’agit pas de contester la tragique nécessité de ce choix, ou de nier que personne alors ne pensait à une guerre si longue qu’elle épuiserait bien des forces et changerait durablement les sociétés européennes : il n’y avait pas d’autre choix, la République y avait travaillé de longue main. Le piège n’en existait pas moins, d’autant plus redoutable dans ses conséquences qu’il était à peu près inévitable de s’y engager.

Maurras nous prouve ensuite, dans un passage qui n’est pas repris en 1916 dans Les Conditions de la victoire, que l’espionnite avait ses limites, même dans le journal de Daudet. Certes il faut être vigilants, certes les espions allemands existent, mais il ne faut pourtant pas céder à une panique qui mettrait tous les étrangers dans le même sac : il y a des alliés, il y a des ennemis, c’est à l’État de faire le tri, pas à la foule ni à l’opinion.