Les leçons inutiles d’une guerre l’autre

Marthe- film sur la guerre de 14

Les Conditions de la victoire : il s’agit de quatre volumes regroupant des articles de guerre. Le premier, que nous inaugurons avec sa dédicace à Camille Bellaigue, est sous-titré « La France se sauve elle-même » et regroupe des articles d’août à la mi-novembre 1914.

Pourquoi Maurras a-t-il cru bon de réunir ces articles des jours sombres ? Il s’en explique dans cette dédicace : c’est qu’il ne faut pas que l’expérience de l’épreuve soit perdue, oubliée, s’efface dans les mémoires au risque d’avoir à repasser par les mêmes causes produisant avec constance les mêmes effets, au risque d’attirer sur la France une autre guerre. Maurras était à l’été 1913 au dessous de la vérité quand il prévoyait « cinq cent mille jeunes Français couchés froids et sanglants sur leur terre mal défendue », mais l’enchaînement des causes et des effets lui paraissait clairement, il l’avait maintes fois évoqué. Daudet lui aussi ne parlait-il pas depuis plusieurs années de son « avant-guerre » ? Aussi importait-il de ne pas oublier la leçon, pour éviter des massacres à venir, de retenir la mémoire de l’épreuve douloureuse qui vérifiait les prévisions.

Nous qui savons la suite, qui pouvons remonter de la défaite de juin 40 au Front populaire, du Front populaire au briandisme que l’AF combattit, du briandisme aux illusions de la victoire et au prêchi-prêcha humanitaire du wilsonisme, nous sommes bien obligés de convenir que la leçon n’a guère porté : impréparation, querelles politiciennes qui instrumentalisaient la politique extérieure, rivalités de personnes assez misérables, primat de l’idéologie sur la nation et son salut —, sous les circonstances diverses, les maux seront les mêmes d’une avant-guerre à l’autre.

Entre les deux guerres le vieil ami de Maurras qu’était le critique musical Camille Bellaigue est mort, lui qui fut infirmier durant la grande guerre, qui était convaincu que saint Pie X avait protégé ses trois fils dans l’épreuve, et à qui Maurras avait donc pu dédier son recueil en 1916 comme à un homme qui savait déjà combien la leçon était précieuse à retenir.

Peut-être certains esprits, influencés, verront dans ce pays mal défendu, mal uni, mal préparé à se battre, qui coupe dans ses crédits militaires au profit de clientèles électorales une situation qui ne nous est pas étrangère… La République démocratique retombe toujours dans ses erreurs, puisque les causes de ces erreurs sont constitutives du régime lui-même : c’est la leçon obstinément redite par Maurras sous le multiple des événements. On peut souhaiter qu’elle faillisse à se revérifier, mais un souhait n’est — hélas — pas une raison, cela aussi Maurras nous le murmure avec obstination si on veut bien le lire.