La première Provence de Charles Maurras

Illustration pour Anthinéa en 1927, par Renefer (détail)

La Provence occupe une grande place dans l’œuvre de Charles Maurras. Des textes de jeunesse ont été repris dans divers recueils et dans plusieurs livres d’art. Mais il s’agit pour l’essentiel d’une production tardive ; Anthinéa paraît en 1901, L’Étang de Berre en 1915, Les Vergers sur la Mer en 1937, les éditions d’art ensuite. Ainsi, nombre d’articles publiés au cours des années 1890, en général dans la Gazette de France, ne seront connus du public que longtemps après.

Nous publions aujourd’hui les premiers d’entre eux, ceux qui sont repris dans la dernière partie d’Anthinéa, après les chapitres sur la Grèce, l’Italie et la Corse. Ils sont au nombre de cinq, quatre petites notes de voyage et un texte plus charpenté, plus politique, qui préfigure, et même contient déjà en résumé, tout le combat que Maurras mènera au long de sa vie, l’Ordre contre le désordre, le classicisme contre le romantisme.

Ils sont réunis en 1901 sous le titre Le Retour et le Foyer, qui deviendra dans les Œuvres capitales parues en 1954 le Retour aux Sources. En fait, il faudrait parler des retours, qui ne sont pas tant ceux des voyages évoqués dans Anthinéa (Grèce en 1896, Italie et Corse en 1897, Musée Britannique en 1898), mais de ceux que Maurras faisait chaque année pour retrouver sa Provence natale pendant les vacances ou pour de brefs séjours. Car pour Maurras la Provence c’est l’enfance ; le 30 novembre 1885, à dix-sept ans et demi, après avoir obtenu son baccalauréat de philosophie, il part en effet pour Paris où il restera installé jusqu’en 1940. Chaque article sur la Provence, c’est un nouveau retour, sur soi, sur les paysages et les souvenirs d’enfance ; et, d’année en année, les retours en Provence diffèrent, selon les lieux, les saisons, les impressions. Quel contraste par exemple, en effet, entre les Collines battues du vent, publié en septembre 1892, qui respire l’inquiétude, voire l’angoisse, et le Faux printemps, qui est lui de février 1897, et dont on sort ivre de contentement ?

Il convient ici d’apporter quelques précisions sur le texte principal, celui qui oppose Marthe et Aristarchê. Maurras restera toute sa vie attaché aux thèses qu’il y défend mordicus. Les deux premières phrases des inscriptions du Mur des Fastes le disent en peu de mots :

SIX CENTS ANS AVANT NOTRE ÈRE, AU TÉMOIGNAGE DE STRABON, ARISTARCHÊ, PRÊTRESSE DE DIANE D’ÉPHÈSE, ACCOMPAGNA EN GAULE LES COLONS PHOCÉENS. SON MONUMENT A ÉTÉ RETROUVÉ À MARTIGUES.

CENT DEUX ANS AVANT NOTRE ÈRE, D’APRÈS PLUTARQUE, LE CONSUL MARIUS, COMBATTANT LES TEUTONS, PROMENAIT DANS SON CAMP LA PROPHÉTESSE MARTHE SYRIENNE. ELLE DONNA SON NOM À CE PAYS : MARTHICUM.

De nombreux archéologues ont contesté que la jeune femme figurant sur le bas relief exhumé des eaux soit la prêtresse Aristarchê. Pour certains, le seul fait que la thèse fût défendue par Maurras suffisait à rendre celle-ci nulle et non avenue. Sur ce point, nous laisserons les scientifiques s’exprimer. Maurras qui n’était pas un ignare en la matière s’était peut-être laissé emporter par son patriotisme martégal, mais il n’y a là aucun autre enjeu que l’amour-propre.

Quant à l’origine du nom de Martigues, nous touchons aux mystères de la philologie, et dès l’origine des amis proches de Maurras prirent leurs distances vis-à-vis de son interprétation. Mistral se demandait s’il ne fallait pas plus simplement chercher du côté du dieu Mars ; alors que Lucien Dégut, auteur de nombreuses études sur Martigues, penche pour une contraction des « mortes eaux », à l’envers de la ville d’Aigues Mortes. Et il conteste, avec beaucoup de révérence, l’hypothèse Marthe, arguant que dans ce cas le nom grec aurait comporté un théta et non pas un tau. Dans de nombreux échanges de correspondance, Maurras persévère, citant d’anciennes cartes où il est écrit « Marthègues », ce à quoi Dégut répond qu’il s’agit d’un apport parasite postérieur à l’apparition de la typographie. Nous nous garderons bien de trancher au fond ! L’essentiel est dans le développement de l’argumentation maurrassienne : Marthe est l’image de l’Orient brouillardeux et maléfique, des marécages de la pensée, auxquels il associera plus tard tantôt la Germanie, tantôt le romantisme, souvent les deux ensemble.