L’union des latins

Le positivisme au Brésil

L’union des peuples latins n’a plus aujourd’hui aucune actualité ni aucune expression, qu’elle soit institutionnelle ou pas. Ce thème a complètement disparu des journaux et des réflexions. Bien plus : le concept d’une race latine comme pouvait le manier Maurras en 1922 a définitivement fait naufrage avec la Seconde Guerre mondiale ; il est devenu informulable, a fortiori ne peut-on en débattre dans le champ politique.

Dans les faits mêmes, constate-t-on une proximité quelconque entre l’Amérique du sud, l’Espagne, l’Italie, la France, le Portugal et la Roumanie ? Il n’y a ni préoccupations communes, ni expression d’une unité quelconque. Là où le monde anglo-saxon semble avoir un peu mieux résisté, où l’Allemagne semble retrouver une arrière-cour en Europe centrale, alors que d’autres régions du monde trouvent des pivots plus ou moins forts, la vaste vision que nous trace Maurras dans la préface de 1922 à La Fin de l’empire espagnol d’Amérique de Marius André, cette vaste fresque de la latinité vivante nous semble bien éloignée.

Mais a-t-elle jamais été une description ? Sans doute, ces idées étaient plus vivantes, et les années 1920 sont leur temps de gloire : on ne rêvait alors que coopération, fin des guerres, et il pouvait paraître naturel que la France se tourne vers des sœurs latines.

Cependant, on réprime mal à la lecture du texte de Maurras un sentiment de malaise : Maurras ne se laisse-t-il pas emporter ? ce qu’il nous montre, n’est-ce pas plutôt un grand rêve programmatique qu’une réalité vivante ? Il est vrai que Maurras suivait là d’autres pas, ceux du Génie latin de son vieux maître Anatole France en particulier. Si en 1922 son texte ne décrivait aucune internationale latine vivante, il bénéficiait d’une longue tradition littéraire, où l’influence d’Auguste Comte en Amérique du sud n’est pas une pièce négligeable : il n’est d’ailleurs pas oublié dans cette préface.

Au chapitre des réalités, il faut en compter une seule : le réveil italien et la possible ou impossible alliance avec cette puissance latine en renouveau, thème qui dominera une bonne partie de la politique française jusqu’en 1939.

« Ces graves dissidences n’effaceront pas l’essentiel de l’union durable. Mais, dès lors, l’union se resserrera dans la mesure où s’accentueront et se préciseront tant à Paris qu’à Rome les tendances réactionnaires et le mouvement patriotique. »

Mais la Grèce y rentre à peine dans ce rêve latin, et la figure tutélaire de Moréas est trop particulière à Maurras pour jouer un rôle dans la réalité. La Roumanie est un peu oubliée, sans doute au motif qu’elle n’est pas catholique. En revanche y rentrent l’Allemagne du sud et la Suisse, au nom des limites de l’Empire romain, même si leur place paraît marginale — des cousins dit Maurras. Il semble au total qu’on chercherait vainement dans ces années vingt qui seront celles de la désillusion une réalité qui corresponde à une union des latins, qu’elle concerne peuples, forces ou nations.

Mais paradoxalement ce caractère à mi-chemin de la réalité et du vœu politique est sans doute la chance de ce texte. Trop attaché à des réalités du temps, il serait mort avec elles, alors qu’il conserve un élan et un caractère utopique qui, sait-on jamais, pourraient un jour retrouver une actualité. Multa nascentur !