Les « Pédés », héritiers abusifs de La Tour du Pin

La Tour du Pin.
La Tour du Pin.
Que l’on se rassure, point de discrimination condamnable dans notre titre. Les Pédés, en 1934, dans les colonnes de L’Action française, ce sont les membres du Parti des Démocrates populaires, lointains héritiers des catholiques sociaux, qui ont abandonné en chemin l’essentiel du catholicisme et qui ont troqué la préoccupation sociale pour la démagogie électorale socialiste, comme va nous l’expliquer Maurras. La plupart de ces tristes et plats politiciens se retrouveront après guerre au MRP.

C’est qu’en 1934 Maurras marquait d’un long article le centenaire de René de la Tour du Pin. Y aura-t-il quelqu’un pour marquer le bicentenaire ? Et surtout avec quel écho ? Car malgré la ferveur des cénacles de royalistes sociaux, on trouverait avec peine une fraction du public, même cultivé, pour aujourd’hui connaître autrement que de nom le maître du catholicisme social…

En 1934, pourtant, la préoccupation sociale était dans beaucoup de textes et de déclarations, mais le socialisme politique et le communisme étaient eux aussi dans tous les esprits, l’Union soviétique de Staline faisait souvent figure de phare avancé de l’humanité, d’autant qu’elle paraissait bien résister à la crise qui frappait ailleurs, à coups de propagande et de statistiques truquées. Il y avait donc longtemps que les préoccupations sociales ne rimaient plus avec catholicisme ou royalisme malgré les efforts constants de l’Action française. On pourrait même se demander si la greffe du socialisme au sens de la doctrine sociale avait jamais vraiment pris au delà des textes du magistère, des déclarations ferventes et des théories éthérées.

Comme pour ajouter à cette difficulté initiale, Maurras aborde la figure de René de la Tour du Pin de manière curieuse, comme de biais, en commençant son texte par l’évocation de deux figures de femmes : Élisabeth Bossan, à la fois confidente, amie et secrétaire, qui vient alors de faire paraître un lourd volume du Colonel de la Tour du Pin par lui-même, et la cousine aimée longtemps en vain et épousée sur le tard, Marie-Séraphine.

Le tout donne une première section, « L’homme », où est longuement cité le texte assez médiocre d’Élisabeth Bossan, et où Maurras se laisse comme contaminer par elle en évoquant une sorte de cour d’amour courtoise transposée dans le Paris du second Empire et des premières années de la Troisième République. Le tout, qui forme comme une légende dorée des amours très morales et exemplaires de La Tour du Pin — disons-le sincèrement — paraît assez faible et n’est pas du meilleur Maurras, qui évoqua de manière bien plus convaincante ailleurs Dante, Pétrarque et les cours d’amour. Des sentiments si élevés et délicats ne gagnent pas à être rapprochés de nous dans le temps, il leur manque la patine qui en fait une construction poétique et intellectuelle séduisante sous les comtes de Champagne ; l’absence de cette patine que donne l’éloignement des siècles rend toute cette évocation un peu mièvre dans le Paris de 1870. C’est pire encore à le lire aujourd’hui et beaucoup de nos jeunes lecteurs auront quelque mal à réprimer leur surprise d’incompréhension complète devant la mère de La Tour du Pin qui menace doucement de s’enfermer au couvent si son fils épouse sa cousine tant aimée…

Où veut-on en venir avec ces réserves ?

D’abord à mettre en garde le lecteur contre le premier mouvement d’agacement qu’il ressentira peut-être à cette lecture dont l’entrée en matière est bien poussiéreuse et sent ses vertus d’album de rosières. S’il passe cette difficulté initiale, il trouvera un texte alerte, éclairant sur les enjeux et devenirs du catholicisme social à l’époque et sur la manière dont La Tour du Pin s’est rapproché de l’Action française quand d’autres héritiers de Le Play, et pas des moindres, prenaient d’autres chemins.

Il faut aussi dire un mot de la date de ce texte : avril 1934. Nous sommes moins de trois mois après le 6 février, la dissolution des ligues est en route, la répression s’abat sur les mouvements nationalistes une fois la peur passée sur le personnel républicain qui fait « l’union antifasciste », idée appelée à beaucoup servir par la suite. Et pendant ce temps Maurras, dont on comprendrait à la rigueur qu’il s’illusionne sur les possibilités politiques de faire entendre la voix du catholicisme social, nous cite longuement les fades bluettes morales d’Élisabeth Bossan et en rajoute même en ciselant ses phrases sur la moralité admirable des amours de son vieux maître… De tels textes jettent un jour un peu cruel sur le Maurras de ce début 1934, et d’autant plus quand on voit, dans l’AF quotidienne, les textes repris ici en un article-recueil mêlés aux considérations graves et urgentes de ce mois d’avril 34. Certes Maurras se reprendra vite, et les combats ne manqueront pas dans le contexte de la montée de l’hitlérisme, bientôt de la guerre d’Espagne et du Front populaire. Mais l’occasion sera passée, manquée, et les coups que la République aura portés en retour auront été sévères. Était-ce vraiment le temps de rêver sur d’improbables amours courtoises dans la France de la fin du second Empire ? Ou même celui de revenir si longuement sur une théorie sociale certes importante, mais alors devenue profondément inaccessible aux contemporains, dont la présentation aurait au contraire demandé une pédagogie longue et tranquille ?

Sans doute les anniversaires ne se commandent pas : La Tour du Pin était né en 1834. Reste que ces difficultés font qu’à lire certains paragraphes de notre texte d’aujourd’hui l’on comprend mieux le dépit amer d’un Rebatet auquel ces semaines après le 6 février feront écrire dans Les Décombres des pages d’amour célèbres pour un vieux maître, mais d’amour déçu.