Les réponses avant la condamnation par Rome

Couronnement de Pie XI

La lecture des textes qui entourent la condamnation de l’Action française par Rome est parfois pénible car il faut y supporter d’invraisemblables fioritures de langue de buis : ce ne sont que dévotions filiales hautement proclamées, cœurs immaculés et autres règnes imminents du Christ dont on voit mal ce qu’ils viennent faire dans un débat simple et somme toute très clair d’idées politiques, sinon pour enrober ou confire dans une religiosité un peu mièvre et toute de mots une certaine hypocrisie. Cette hypocrisie finit d’ailleurs par éclater tant dans les textes d’Andrieu que dans ceux de Pie XI quand on en vient au principal de ce qui est en cause : la personne même de Maurras, accusé d’être un danger pour la jeunesse. On devine presque le sourire las de l’helléniste qui se voyait ainsi appliquer la plus éculée des accusations, celle qui avait servi contre Socrate, et qui se la voyait appliquer avec pour prétextes des phrases fausses ou des citations éhontément tronquées, dont il était, au nom de l’obéissance invoquée et dévoyée, presque interdit de souligner le caractère malhonnête et malveillant, pourtant évident.

Les textes qui précèdent la condamnation proprement dite, sont réunis aux chapitres deux à quatre de L’Action française et le Vatican, le chapitre V, qui présente les débats autour de l’allocution consistoriale du 20 décembre, appartient déjà à la séquence chronologique de la condamnation elle-même : la foudre romaine suivra de quelques jours l’allocution.

Aussi nous vous proposons aujourd’hui :

  • Le chapitre II de L’A. F. et le Vatican, qui regroupe divers textes consécutifs à la lettre de Pie XI au cardinal Andrieu, soit la première intervention publique du pape dans le débat.
  • Le chapitre III, qui présente les interventions de Bernard de Vesins, de Maurice Pujo et de l’amiral Schwerer au treizième congrès d’A. F.
  • Enfin un texte paru dans L’Action française le 15 décembre 1926 et que la reprise en volume intitule « réponses de l’Action française et de Charles Maurras » : la précision est assez significative pour qu’on puisse en attribuer au moins une grande part à Maurras lui-même puisque le quotidien ne le signait que de « l’Action française ». Ce texte clôt en quelque sorte la question du point de vue de Maurras et de son mouvement, il faudra la condamnation elle-même et la mise à l’index pour la rouvrir. Ce texte forme le chapitre IV du même recueil.

Que Pie XI en soit réduit à dire expressis verbis devant les tertiaires franciscains de France en visite à Rome qu’il n’y a pas de sens politique à ses interventions suffit à faire soupçonner le contraire ; quel besoin de cette prétérition inversée si le but n’était pas lisible par tous : prendre le contrôle de l’A. F. pour en faire une pâle démocratie-chrétienne aux ordres de la tortueuse politique romaine ? politique qui, alors, réussit au Mexique une seule chose : imposer aux Cristeros de se laisser persécuter par un régime fanatiquement laïciste et anti-catholique.

Du côté de l’A. F. ce ne sont que démonstrations de respect et assurances de soumission. Il faut bien dire qu’elles donnent une impression de convenu un peu raide qui ne vaut guère mieux que les pompes romaines ou épiscopales : au ballet des lettres pontificales réglées comme par un cérémoniaire en mots creux répondent des protestations guindées d’obéissance dont l’apparence reste bien peu convaincante et semble plus destinée au public catholique devant lequel il ne faut pas être pris en défaut qu’aux interlocuteurs romains.

Ces années de la décennie 1920 sont justement celles où l’un des creux importants du vingtième siècle se manifeste dans la quantification de la pratique religieuse. C’est aussi le moment où après la Guerre qui avait quasiment interrompu les ordinations on ne retrouve guère que les deux tiers de celles qui avaient lieu avant 1914, alors que les morts du front ne suffisent pas à expliquer entièrement et durablement cette évolution. Faut-il s’étonner de la perte d’influence – encore relative mais déjà rapide – de l’Église dans la société française quand elle en était réduite avec les catholiques les plus sincèrement engagés en politique à ces rapports compassés, crispés, d’où semble bannie toute sollicitude authentique ? comment, devant ces textes arides et sans substance sous leur decorum de convention, ne pas être d’une grande sévérité pour Pie XI et son désastreux pontificat qui se résuma, en France, à remettre en selle les Sillonnistes qui allaient devenir les principaux fourriers d’une réforme liturgique dévoyée, à laquelle on a prêté toutes les décadences qui suivirent ? – non sans excès, mais on ne prête, dit-on, qu’aux riches.

Aussi le dernier de nos trois textes, pour partie au moins de Maurras, met beaucoup de choses au point et renvoie Rome à la morale ou à la foi assez sèchement, en contestant avec raison que l’attitude politique des catholiques français leur soit soumise directement en termes d’ordres à recevoir du Vatican. Il fait souffler sur tout ce renfermé d’hypocrite sacristie un vent salutaire de vérité clairement dite :

Ce goût pervers d’envenimer une situation déjà pénible pour les catholiques de l’Action française, ces mensonges onctueux, ces textes, non pas même sollicités, mais grossièrement déformés, ces raisonnements boiteux et sophistiques (…) ce mélange de piété douceâtre et de haine recuite forment le morceau le plus répugnant qui soit. Pour diffamer plus sûrement l’Action française, est-ce qu’on veut se déshonorer ? Mais, après tout, il est heureux que ces pages aient été écrites. Nous avons là un précieux spécimen de la manière dont certains hommes d’Église entendent exploiter le plus sacré et le plus délicat des ministères. Ils donnent là au public une terrible leçon de choses. (…) ne susciteront-ils pas plutôt, dans les âmes droites, l’indignation et la nausée ?

Dès lors, c’était ou la fin de l’Action française en tant que mouvement politique indépendant de Rome ou sa condamnation par Rome. Rome condamnera. Rome doutera. Puis Rome reculera et corrigera son erreur. Mais elle ne reculera de manière décisive et publique qu’en 1939 : sans même parler des consciences catholiques troublées – et c’est un euphémisme – plus de dix ans auront été en partie gaspillés en luttes stériles, perdus pour persuader beaucoup des catholiques français de l’importance de réarmer face à l’Allemagne et devant la montée des périls européens. Il faut le rappeler tant on est parfois un peu trop enclin à ne souligner que les responsabilités du Front populaire dans les manquements répétés qui réuniront les conditions du désastre de l’été 1940 : une grande partie de l’épiscopat français qui machina la condamnation romaine et lui fournit prétextes ou fausses preuves est elle aussi responsable de la Débâcle dans une certaine mesure, puisque l’A. F. condamnée faisait partie des rares forces politiques qui tentaient de s’opposer à ce que fussent réunies les conditions de cette débâcle à venir. On n’est pas innocent de l’absence des effets heureux quand on a sciemment empêché les causes qui pouvaient produire ces effets ; on l’est d’autant moins qu’on s’est livré pour ce faire au faux et à la mauvaise foi en les déguisant sous les dehors de la religion. Qu’on ait été sacré évêque avant de se livrer à ces bassesses ne les sanctifie pas, bien au contraire.