Le duel Maurras-Cassagnac en 1912

Duel

Qu’on s’en réjouisse par humanitairerie ou qu’on le regrette en raison des services qu’il pouvait rendre pour contribuer au renouvellement des élites, le duel politique n’est plus dans nos habitudes.

Pourtant le dernier duel politique notable n’est pas si lointain qu’on croit puisqu’il opposa en 1957 Gaston Deferre – alors secrétaire d’État, maire de Marseille et président du groupe socialiste – à René Ribière, député du Val-d’Oise et ancien préfet. Gaston Deferre, qui avait quelque expérience de l’exercice, blessa deux fois son adversaire. Un an plus tard, un duel qui fut le dernier à vraiment faire sensation opposa le marquis de Cuevas à Serge Lifard ; le marquis avait pour l’un de ses deux témoins un personnage qui joue encore un rôle politique important aujourd’hui : Jean-Marie Le Pen.

Pour exotique qu’il nous paraisse, le duel n’est donc pas si loin de nous. Et la vie politique sous la troisième République est remplie de duels : ils n’étaient plus mortels que par accident au début du vingtième siècle – on s’arrêtait au premier sang – et ils n’étaient réprimés que pour la forme et après coup par une légère amende.

Parmi les duellistes forcenés de l’époque, une dynastie à la fois gersoise et bonapartiste se distingue : celle des Granier de Cassagnac. Le grand-père, Bernard Adolphe Granier de Cassagnac, est une personnalité importante du bonapartisme au dix-neuvième siècle et un conseiller influent de Napoléon III. Dès son exil à Bruxelles après Sedan il fonde un premier journal bonapartiste et il redevient rapidement élu républicain du Gers tant il est aimé de ses concitoyens. Il s’était illustré par un duel de jeunesse devenu célèbre : ayant épousé une guadeloupéenne, un journaliste local avait fait un article déplaisant sur son mariage. Cassagnac refit le voyage et tua le journaliste lors d’un duel au pistolet.

Bernard Adolphe meurt en 1880 et laisse quatre fils, dont le plus en vue est Paul Granier de Cassagnac. Journaliste, bonapartiste, il se bat contre tout ce que la profession compte de duellistes, et même un peu au delà. Il est député du Gers comme son père.

Lorsqu’il meurt en 1904, il laisse à ses fils Paul et Guy Granier de Cassagnac une position en vue dans la presse puisqu’ils co-dirigent le journal bonapartiste L’Autorité. Il leur lègue en outre le goût du duel. Paul en particulier, s’il n’égalera pas les records de son père, n’hésitera jamais à se battre.

Or une obscure polémique s’intaure en 1912 entre les frères bonapartistes dans L’Autorité et Maurras dans L’Action française. Cette polémique aboutit à un duel entre Charles Maurras et Paul Granier de Cassagnac fils. L’objet de la discorde ? Maurras et l’A. F. accusaient les Cassagnac de ne poser en anti-républicains que pour mieux accuser l’Action française de nourrir une certaine anarchie, et d’être commandités dans cette action par Arthur Meyer, du Gaulois, qui aurait agi là comme un agent d’Aristide Briand.

La polémique nous paraît aujourd’hui bien banale. Pourtant à la lecture de l’article de Maurras que nous vous proposons aujourd’hui, les deux Cassagnac estimèrent devoir se battre, et le dernier paragraphe du texte de Maurras semble indiquer que lui-même s’attendait à la demande de réparation. Le duel entre Maurras et Paul de Cassagnac eut lieu le 26 février 1912 à Neuilly.

Ajoutons à cette vidéo quelques photos issus du site de la Bibliothèque nationale :

L’Action française du 27 février rend compte du duel de la manière suivante :

Se jugeant offensé par un article de M. Charles Maurras, paru dans L’Action française du 23 février, M. Paul de Cassagnac a prié deux de ses amis, le comte Gilbert de Voisins et le baron de Heeckeren d’Anthès de demander à M. Maurras une réparation par les armes.

M. Charles Maurras a chargé M. Léon de Montesquiou et M. Lucien Moreau de le représenter.

Les quatre témoins se sont réunis aujourd’hui 24 février, et ont jugé la rencontre inévitable. Elle aura lieu après-demain, lundi, 26, dans la matinée.

Les conditions seront les suivantes : Épée réglementaire de combat. Chacun ses armes.
Chemise molle, gants de ville, chaussures à volonté. Reprises de deux minutes. Repos égaux. Quinze mètres derrière chaque combattant. Le terrain gagné restera acquis. Les corps-à-corps sont interdits.

Le combat sera alternativement dirigé par M. de Blest-Gana et par M. Léon de Montesquiou.

Le combat cessera quand l’un des deux candidats sera déclaré, par ses témoins, en état d’infériorité manifeste.

Fait en double, à Paris, le 24 février 1912.

Pour M. Paul de Cassagnac : A. Gilbert de Voisins, Baron De Heeckeren d’Anthès.

Pour M. Charles Maurras : Léon de Montesquiou, Lucien Moreau.

Conformément au procès-verbal ci-dessus, la rencontre a eu lieu, ce matin, aux environs de Paris. À la fin de la première reprise, M. Charles Maurras a été atteint à l’avant-bras d’une plaie pénétrante que ses témoins ont déclaré le mettre dans l’impossibilité de continuer le combat. Les combattants étaient assistés par les docteurs Graziani et Pouliot.

Pour M. Paul de Cassagnac : A. Gilbert de Voisins, Baron De Heeckeren d’Anthès.

Pour M. Charles Maurras : Léon de Montesquiou, Lucien Moreau.

Fait en double, à Paris, le 26 février 1912.

Le combat eut même droit à un court article outre-Atlantique dans le New-York Times (pdf).

Signalons enfin qu’il ne faut pas confondre cette affaire Cassagnac avec une autre, bien plus grave dans les accusations portées, qui opposera L’Action française à Paul de Cassagnac en 1921. Mais la guerre sera passée sur les mœurs journalistiques et à la demande de réparation de Cassagnac, Léon Daudet pourra opposer sans déshonneur un refus poli.