François Villon, poète contemporain de tous les âges

Sait-on que Maurras se qualifiait lui-même de « vieux Villonniste », de « vieil amoureux opiniâtre de Villon » ? Pourtant, il n’était guère porté sur l’argot ni sur l’apologie de la pègre ou du scandale, étiquettes que l’on colle aujourd’hui, très systématiquement, sur l’auteur de la Ballade des pendus.

Eh bien, justement, répond Maurras. Amoureux et admirateur du poète éternel, il vitupère les dérives romantiques et académiques de ces critiques qui nous ont fabriqué un faux Villon sur le modèle de Jean Valjean, pour le noyer ensuite sous des flots d’intellectualisme obtus.

Contre les cuistres qui sanctifient le truand mais ignorent le poète, contre les Trissotins qui comptent et analysent les gros mots mais restent insensibles à la musique du vers, Maurras reprend des thématiques développées dans le Prologue d’un essai sur la critique : la dissection d’un texte devient perverse dès lors que, de moyen de mieux comprendre pour mieux apprécier, elle devient une fin, un simple exercice mimétique requis par les canons de la mode et les codes du pouvoir intellectuel.

L’occasion de cette diatribe lui est fournie par la parution, en 1913, d’un ouvrage de l’érudit Pierre Champion : François Villon, sa vie et son œuvre. Maurras est enthousiaste, et livre ses impressions dans un article paru dans L’Action française du 25 septembre 1913 sous le titre « L’historien de François Villon », article repris en 1934 dans le Dictionnaire politique et critique.

Et si Maurras y est amené à reprendre la trame de son Prologue, lequel est à cette date inconnu du public puisqu’il n’est pas reparu depuis sa première publication confidentielle en 1896, c’est que Pierre Champion fait dans son livre l’éloge appuyé de Marcel Schwob. Or Maurras confesse ne pas aimer Schwob ; s’il lui reconnaît de grands mérites, il lui fait le grief rédhibitoire de préférer le détail scandaleux et accessoire à l’essentiel, puis d’en faire gloire et commerce.

Marcel Schwob, mort huit ans auparavant, peut en effet être considéré comme l’inspirateur d’une certaine villonomania (laquelle ne cède en rien à la rimbaldomania), qui fait que les seuls poètes qui se vendent encore un peu aujourd’hui sont ceux dont le nom est auréolé d’un parfum sulfureux… Cependant Maurras n’est-il pas là quelque peu excessif ? Quand il s’en prend à Schwob, ne s’en prend-il pas d’abord à lui-même, lui qui ne parvient pas, malgré ses raisonnements et ses dénégations, à se départir de la fascination qu’il éprouve depuis son plus jeune âge pour Les Fleurs du mal ?

Sainte Beuve, qui clôt l’article, y semble omniprésent, et se pose en tous cas en arbitre de la querelle. Le saintebeuvisme est un art bien difficile, qui doit être manipulé avec précautions !