Sur un calembour mistralien

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Maurras cite à plusieurs reprises dans son œuvre une dédicace que lui fit Mistral :

Te mau-ras manjo e beù !

dans laquelle son patronyme, transcrit en provençal, prend le sens de mal rassasié, la phrase complète se lisant : « Tiens, mal rassasié, mange et bois ! »

Dans un court appendice de La Balance intérieure, c’est à dire dans les tout derniers temps de sa vie, Maurras nous éclaire sur l’histoire de cette petite phrase :

Il faut bien dire à quel propos Mistral fit à mon nom l’honneur de ce calembour.

Cela remonte à 1889. Il venait de publier la seconde édition, étendue et complétée, des Îles d’or. J’y avais naturellement répondu par un article d’enthousiasme heureux. Il m’en remercia. Mais La Reine Jeanne paraissait. Je ne recevais pas La Reine Jeanne ! Je réclamai ! Le poète me l’adressa tout de suite après avoir inscrit au premier feuillet une pointe pour le critique insatiable qui avait toujours faim et soif de ses vers.

J’eus le tort d’essayer de lui répondre dans un petit poème provençal bien mauvais.

Quarante ans plus tard, en recueillant mon œuvrette en langue d’oc, Mar e lono, je m’escrimai à refaire cette pauvre réponse qui n’en valut pas mieux. L’étincelante flèche d’or du Maillanais n’en vibre pas moins, dans toute sa gloire, au fond de ma pensée comme à quelques surfaces de ma vie et de mon action.

Mar e lono veut dire « Mer et lagune ». Quant au mal rassasié, si effectivement Maurras eut toute sa vie faim et soif des vers de Mistral, de Dante ou de bien d’autres, ces mots ont peut-être eu pour lui une autre signification, plus ambiguë. Ils nous renvoient en effet au menaçant « Vous n’en avez jamais assez ! » proféré par la Menoune du Mont de Saturne.

À force d’en vouloir toujours plus en politique, Maurras ne s’est-il pas, par lassitude, après des décennies de combats et d’épreuves, quelque peu rassasié de sa situation ? Certes, il n’y eut jamais de rupture franche, un Maurras conservateur et désabusé prenant la place d’un Maurras révolutionnaire et insatiable. Mais il y eut coexistence des deux ; une petite place restait toujours ouverte à une expression dissidente, autocritique, souvent cryptée…