L’engagement politique et la peine de mort

xx

Dans un article d’actualité publié le 12 octobre 1909, veille de l’exécution de l’anarchiste catalan Francesco Ferrer, Charles Maurras se livre à une réflexion morale sur la responsabilité du penseur politique vis-à-vis des violences que ses paroles ou ses écrits auront pu contribuer à provoquer, et par delà, l’invite à regarder la mort comme un risque pleinement accepté :

Mourir pour une idée ne peut pas être un mal

écrit-il en conclusion. Maurras percevait vraisemblablement l’« Affaire Ferrer » comme un écho, une réplique, de l’« Affaire » tout court : que de similitudes, en effet ! Mais il avait aussi dans l’esprit l’évocation des journées de juin 1848 et de la Commune.

Cette fois, les émeutes et le procès se tiennent à Barcelone. Quel parti prendra le roi Alphonse XIII ? Clémence, ou rigueur ? Dans toutes les capitales d’Europe, et même aux États-Unis, le parti des droits de l’homme est mobilisé, les libelles circulent, le héros est proclamé innocent, prêt à revêtir ses habits de martyr. Voilà une situation bien actuelle. Maurras, qui a connu Ferrer parmi ses adversaires irréductibles, car celui-ci a passé l’essentiel de sa vie militante à Paris, est néanmoins prêt à lui accorder sa sympathie, à condition qu’il joue le jeu et accepte la mort comme le terme normal de son combat.

Attitude difficile à tenir de nos jours ; mais l’était-elle bien davantage il y a un siècle ? Maurras stigmatise la toute-puissance de la sensibilité et de l’émotion parmi ses contemporains ; n’aurions-nous donc rien inventé depuis ?

Maurras aura vécu ensuite la guerre d’Espagne, les procès de Moscou, les fusillés de la Résistance et de l’épuration, et son propre procès. Après lui, la peine de mort a été abolie, ravalée au rang de cruauté archaïque et incongrue. Et l’oublié Ferrer reste, pour quelques nostalgiques, l’innocente victime de la répression aveugle, le bon éducateur qui ne voulait faire que le Bien autour de lui. Sic transit…