Pour un réveil français

Curieux texte que Pour un réveil français. C’est un livre d’art, sous emboîtage, dont le tirage confidentiel semble avoir été réalisé dans des conditions quasiment clandestines.

D’emblée, la première page de garde nous avertit :

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Le texte lui-même est tant bourré de fautes qu’un errata sur quatre pages y est annexé, et l’errata lui-même fera ultérieurement l’objet d’un rectificatif. Il n’y a pas que des fautes ; il y a des bizarreries qui font penser que le texte a été composé à la main, caractère par caractère, et que le typographe a cherché à économiser ceux-ci en prenant quelque liberté avec les usages. C’est ainsi que « chute » devient partout « chûte », que « cela » devient partout « celà » et que la plupart des « et » sont remplacés par des esperluètes.

L’achevé d’imprimer vient confirmer notre hypothèse, mais ajoute par ailleurs au mystère :

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Or le texte ne peut avoir été imprimé le 25 juin 1943, puisqu’il fait notamment allusion aux débuts de la quatrième république. Plus précisément, Maurras y parle du Comte de Paris en précisant qu’il a quarante ans et onze enfants. Or le Comte de Paris est né en 1908 et son onzième et dernier enfant, le prince Thibaut, est né le 20 septembre 1948. Le tirage n’a donc pu qu’être postérieur.

Pourquoi, à cette date, avoir procédé dans des conditions aussi précaires et avoir cherché à brouiller les pistes ?

Maurras aurait effectivement prononcé en 1943 une conférence sous le titre « Pour un réveil français », qu’il aurait reprise ensuite plusieurs fois. Certains passages du texte pourraient donc bien avoir été rédigés en 1943, conservés puis repris tels quels quelques années plus tard. Quant au numéro « R. 2048 », ce n’est en rien une autorisation d’imprimer, mais le numéro d’écrou de Charles Maurras à la prison de Riom. Le livre contient également une photo, non datée, qui représente Maurras certes âgé, mais en costume de ville, donc peut-être en 1943 :

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Le texte est divisé en cinq parties : seules les seconde, troisième et quatrième sont, dans l’original, numérotées II, III et IV. Elles ne sont pas sous-titrées ; on pourrait les décrire ainsi dans un rapide sommaire :

I — Les origines gauloises et gallo-romaines de la France
II — La formation du génie français et ses spécificités
III — L’œuvre capétienne
IV — Le combat de l’Action française
V — Pourquoi la restauration monarchique est nécessaire.

En tout état de cause, qu’il ait été rédigé en 1943 et retouché en 1948, ou composé en 1948 sur la base de notes prises en 1943, le texte ne manque pas d’unité. Prenant la mesure du désastre de 1940, Maurras se demande comment la France peut renaître, « se réveiller » ; ce qui l’amène à explorer son histoire, ses chutes et ses réveils précédents, en analyser les raisons. En passant, c’est toute sa propre histoire politique et ses engagements qu’il déroule, pour conclure que le retour de la Monarchie traditionnelle reste la meilleure et la seule voie de salut.

Maurras justifie et exalte tous ses combats passés ; il ne regrette rien, ne revient sur rien, reste comme arc-bouté sur les positions qu’il a défendues au long de sa vie. Certains rares passages seraient aujourd’hui censurés ; dans d’autres, Maurras affiche sereinement, du fond de sa prison, la permanence de ses sentiments anti-allemands et va jusqu’à affirmer que la France finira un jour par annexer toute la rive gauche du Rhin. Peut-être autant qu’une réflexion intrinsèquement politique sur les longs cycles historiques, c’est la psychologie d’un Maurras atteignant ses quatre-vingt ans que ce texte illustre ; le souvenir de l’appui apporté au général Mangin et au mouvement séparatiste rhénan du Docteur Dorten, puis le combat pour le maintien de la présence française en Sarre viennent dans son esprit se surimprimer sur la situation de l’Allemagne occupée par les puissances alliées après 1945.

Au cours de ce qui apparaît aussi comme un catéchisme royaliste revisité et écrit dans une langue superbe, Maurras évoque de façon inattendue le rôle central de l’élément féminin dans le génie français, révélant par cet éloge vibrant de la féminité à quel point la troisième république, qu’il a combattue toute sa vie avec toute son énergie, a bien été le régime le plus misogyne que la France ait jamais connu.

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