Journées du patrimoine 2007 à Martigues

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Les 15 et 16 septembre 2007, la Mairie de Martigues a ouvert au public l’accès au jardin de la Maison du Chemin de Paradis, à l’occasion des Journées nationales du patrimoine. C’est la première fois que cela se produit depuis que la Maison est devenue propriété communale.

Le succès a été au rendez-vous puisque plus de 200 visiteurs se sont présentés. Même si rien, à l’extérieur, ne signale que la Bastide et son jardin étaient la résidence de Charles Maurras, il n’est plus possible de l’ignorer après un premier aperçu du jardin ; les inscriptions sur le mur des Fastes et sur les stèles aux alentours, les sculptures, le carditaphe, tout indique la farouche volonté de l’ancien propriétaire des lieux à façonner ceux-ci pour qu’ils lui survivent et perpétuent son souvenir.

Maurras écrivait à ce sujet dans une lettre du 20 janvier 1945 :

Je précise encore une fois ma volonté : qu’elle soit sacrée, comme d’un mort. Si je désire l’achèvement de cet ensemble, ce n’est pas pour le voir, ni pour en jouir, mais pour qu’il SOIT, pour qu’il EXISTE, et reste le monument de mon patriotisme municipal.

Certes, les visiteurs n’ont pu pénétrer dans la maison elle-même. Celle-ci n’est actuellement visitable que sur rendez-vous, le mardi uniquement, et pour de très petits groupes qui doivent s’adresser pour ce faire au Musée Ziem de Martigues. Beaucoup l’ont regretté, et nous les comprenons volontiers ! Mais il faut encore attendre pour que la Maison puisse à nouveau accueillir des visiteurs dans de bonnes conditions.

Il est bon d’apporter ici quelques précisions. La Maison du Chemin de Paradis a été victime de deux graves sinistres : d’une part un affaissement de terrain, provoquant des fissures dans les murs porteurs ; d’autre part une invasion de termites qui se sont attaqués à la bibliothèque. Et il faut hélas beaucoup de temps pour diagnostiquer, traiter, réparer, remettre en état, surtout lorsqu’il s’agit d’un bâtiment historique, qui plus est propriété publique.

Il a fallu d’abord comprendre l’origine des fissures. Des carottages ont permis de montrer que la Bastide n’a pas de fondations ; elle a été édifiée sur un affleurement de grès et n’a connu aucun problème de stabilité pendant plus de trois siècles. Mais tout l’écosystème environnant à été bouleversé ces trente dernières années ; l’assèchement des marais salants, l’édification du stade, la construction de pavillons et de leurs voies d’accès tout autour, tout cela a profondément modifié l’écoulement des eaux, et la canicule de 2003 aurait eu à cet égard des conséquences inattendues. Des témoins ont été placés sur chaque fissure pour mesurer et contrôler, quasiment au micron près, leur évolution ; quant au temps nécessaire pour que les architectes des différents services se mettent d’accord, que les budgets soient votés, que les marchés soient passés, on ne le mesure pas à l’aune de l’infiniment petit, mais à celle de l’infiniment grand !

Une centaine de livres environ ont été détruits par les termites avant qu’on ne vide les rayonnages. Heureusement, il ne s’agissait pas de livres précieux ou importants. Les autres ont été stockés dans des cartons, eux-mêmes placés en hauteur sur des tables pour être inaccessibles aux prédateurs. Il faut trois ans de délai pour être certain que le traitement anti-termite est terminé ; nous arrivons prochainement au terme de cette « quarantaine ». Il faudra ensuite refaire à neuf les peintures et les menuiseries, si bien qu’au jour de la réouverture, tout sera plus beau que cela n’a jamais été.

Selon la volonté de Charles Maurras, la bibliothèque sera accessible aux chercheurs. L’inventaire des livres, réalisé au début des années 1990 sur un des tous premiers logiciels de base de données, était donné pour perdu car il était impossible de faire redémarrer l’antique ordinateur et de lire la seule disquette contenant le trésor. Mais après maintes tentatives, le prodige se réalisa, et des magiciens informatiques parvinrent à récupérer les données longtemps endormies. Voilà qui est de bon présage pour la Maison toute entière !

Qu’il soit également précisé ici, avec fermeté, que la coloration politique de la Municipalité de Martigues n’est pour rien dans ces vicissitudes. Au contraire, tout nous laisse penser que nous aurions eu des difficultés sans doute plus sérieuses avec d’autres interlocuteurs. Nous aurons l’occasion de revenir sur la chronologie des événements qui ont amené la cession de la Maison à la Ville de Martigues, lorsque nous évoquerons plus en détail la mémoire du regretté Jacques Maurras, neveu et fils adoptif de Charles Maurras, sans lequel rien n’aurait pu être réalisé.

La nouvelle conservatrice du Musée Ziem, qui sera responsable de la gestion de la Bastide une fois restaurée, du Musée Maurras et de la Bibliothèque Maurras qu’elle abritera, pourra compter sur notre concours et notre dévouement. Quand aura lieu cette réouverture ? Nous ne pouvons encore le préciser exactement, mais nous pouvons d’ores et déjà annoncer que nous préparons un livre qui retracera l’histoire de la Bastide du Chemin de Paradis, depuis sa construction vers 1650 jusqu’à nos jours. Et si la Maison est ouverte avant la parution du livre, nous ne nous en plaindrons pas, nous ferons deux fêtes au lieu d’une !

L’Action française : culture, politique, société

Notre ami Tony Kunter, doctorant à l’université de Toulouse II – Le Mirail, a bien voulu nous transmettre les notes qu’il a prises les 21, 22 et 23 mars 2007 lors du colloque sur « L’Action française : culture, politique, société » organisé à Paris, dans le cadre du Centre d’histoire de l’Institut d’Études Politiques, avec le concours de l’Institut de Recherches Historiques du Septentrion (IRHIS) et du Comité d’Histoire Parlementaire et Politique (CHPP). Nous l’en remercions vivement.

Nous donnons ci-après l’introduction à ces notes. Le document entier peut-être téléchargé sous forme d’un fichier doc ou d’un fichier pdf.

Cette rencontre a pour origine une initiative de Jacques Prévotat (né en 1939 ; professeur d’histoire contemporaine, Lille III) et de Michel Leymarie (né en 1951 ; maître de conférences en histoire contemporaine, Lille III et IEP de Paris). René Rémond (1918-2007) a également largement participé à sa préparation.

Le colloque était annoncé comme le premier d’une série d’au moins trois rencontres. La seconde, prévue à l’horizon du printemps 2008, organisée par Olivier Dard à Metz, se concentrerait sur « l’Action Française et l’étranger », faisant écho à un ouvrage récent. Le troisième colloque (2009) s’attacherait à scruter l’influence du mouvement maurrassien dans le monde des lettres, en référence aux thèses de Pierre-Jean Deschodt et de Stéphane Giocanti.

Deux ans ont été nécessaires à la réalisation de ce colloque. Il faut dire que l’année 2005 avait un sens particulier pour les organisateurs : dix ans après la fin de la thèse de J. Prévotat (Les catholiques et l’Action française, histoire d’une condamnation) ; un an après la publication de son « Que sais-je ? » sur le mouvement d’Action française ; deux décennies après la disparition de Victor Nguyen. Dans le même temps, M. Leymarie terminait les relectures de son Albert Thibaudet, l’outsider du dedans (publié en 2006), qui lui avait donné l’occasion de redécouvrir l’une des rares références substantielles existante sur les idées de Charles Maurras. Enfin, René Rémond, un demi-siècle après la première mouture de sa célèbre étude sur La Droite en France (1954), achevait de se rallier à cette vision multidimensionnelle de l’analyse historique du politique. Toutes les conditions étaient donc réunies pour qu’ait lieu une révision de l’histoire de l’Action française, centrée sur le concept de médiation (héritage, diffusion, réception), approche de pointe en histoire des idées politiques, comme a pu le souligner M. Winock. (…)

L’Homme-Roi

Certes Louis XIV ou l’homme-roi sent un peu son texte de circonstance : c’était d’abord un article publié dans Candide en 1938, devenu livre d’art en 1939, et l’on y constate une idéalisation de la monarchie qui n’est pas tant la marque de Maurras que celle de son écriture journalistique. Il le reconnaît lui-même comme une triste nécessité dans la préface à la Musique intérieure :

Cela traîne plus qu’un remords, l’amer regret de ne pouvoir tout dire, si l’on ne veut se résigner à ne dire qu’un peu, conduit tout droit à dire mal, ce qui est trop souvent mon cas. Au reste, l’action a sa loi. Elle appelle, elle souffle, elle impose même ces enchevêtrements, ces répétitions, ces à peu près qui sont les maladies de la prose rapide : quand la formule tend au but, quand l’oreille et l’esprit sont éveillés au point sensible, peu importe le sacrifice d’élégance, il est jugé plus que payé.

Aussi sur quelques points secondaires, ce portrait idéal de Louis XIV et de son règne est trop flatteur : on sait que Mme de Maintenon n’a pas été la parfaite désintéressée que dit Maurras, qu’elle a aussi été la femme d’un parti et sans doute plus que Louise de La Vallière ; ou que le Testament de Louis XIV comportait, à côté des éléments que cite Maurras, une remise en cause du principe de succession sur lequel Saint-Simon n’a pas écrit que des barbouillages.

Mais l’essentiel est sans doute plus ici dans le mouvement même de la pensée de Maurras que dans l’éclairage flatteur de son sujet. Ce qu’il vise, citant Goethe, ce n’est pas tant la personne historique particulière de Louis XIV que « la fonction générique de l’homme-roi » et la manière dont le roi-soleil la représente de manière exemplaire.

Une communication de M. Raymond Triboulet

Nous venons de proposer à nos lecteurs Pour Psyché. Nous leur proposerons dans les semaines qui viennent, entre autres textes, l’importante préface à la Musique intérieure et La Bataille de la Marne.

Cela nous est l’occasion d’attirer l’attention sur une communication de M. Raymond Triboulet à l’Académie des sciences morales et politiques, en 1998, où il est question de ces textes : De la poésie pure à la musique intérieure.

Psyché et le vieux Faust

De ce poème Pour Psyché, voilà ce que Maurras dit dans un texte que nous vous proposerons bientôt, la préface à La Musique intérieure :

Mais j’aurais regretté de froncer le souverain sourcil de Jean Moréas. Il y avait deux ou trois ans que je voyais régulièrement chaque soir « l’Athénien honneur des Gaules » et me gardais de lui montrer ces copeaux de mauvais lyrisme. J’avais fait exception en faveur du petit poème Pour Psyché qui avait été imprimé dans l’année. Moréas avait jugé que « ce n’était pas mal », la juste indifférence du ton complétant au vif la pensée. Loués soient les dieux immortels qui placèrent sur mon chemin le génie rare, le puissant esprit inventeur et conservateur de ce nouveau Malherbe en qui la faculté du juge égalait le don du poète ! On se le représenterait mal en tyran des mots et des syllabes. Personne n’était moins puriste, ni plus éloigné du purisme. L’originalité de Moréas en critique était de considérer avant tout la conception, la pensée : forte composition et juste cadence. Que de fois il a daigné dire à d’ambitieux rivaux trop bornés pour concevoir même le sens de ses paroles, que le litige entre eux et lui portait « sur une question d’ordonnance ». Son souci de l’essentiel passait vite sur les détails et, comme il convient, les réglait sommairement tous. Ainsi l’ordre intellectuel rejoignait le moral. Il disait : « C’est sérieux » ou : « Ce n’est pas sérieux ». Glorieux d’apparence et d’allure, ceux qui parlent de sa vanité l’auront mal connu. Il était si désintéressé, si droit, si vrai, si libre qu’on cédait naturellement au désir de le prendre pour arbitre contre soi-même. Je n’ai connu personne de plus attentif à ne jamais laisser d’illusion aux jeunes esprits sur leur degré de chance et d’espérance de cueillir le rameau d’or. Mais ce qu’il trouvait « bien » balayait préventions, systèmes, partis pris. Le service du beau l’avait affranchi de lui-même. Dix ans peut-être après l’épreuve malheureuse de ma Psyché, je me laissai aller à lui réciter la petite chanson anacréontique qu’on ne sait quel démon m’avait emporté à traduire après Ronsard, Remi Belleau et Henri Estienne.

Aux taureaux Dieu corne donne
Et sabots durs aux chevaux…

Sur le trottoir que nous longions, Moréas s’arrêta vivement. Il me pria de répéter. Le sourcil haut, l’œil en fleur et les lèvres jointes, moins de contentement que de surprise, ne m’ayant jamais cru capable de mettre sur pied deux bons vers, il me dit les trois mots inouïs : « C’est très bien ».